La présidence Biden va durcir le ton sur la régulation des GAFAM

Si le nouveau président n'est pas l'adversaire le plus acharné des GAFAM au sein du parti démocrate, son administration n'aura rien d'un long fleuve tranquille pour les géants californiens de la technologie confrontés à une opinion de plus en plus critique sur la haine en ligne et les abus de position dominante engendrés par la Silicon Valley.
(Crédits : Reuters)

Dès son entrée en fonction, Joe Biden a entrepris de revenir sur l'héritage de son prédécesseur, abolissant dans une série impressionnante de décrets certaines mesures emblématiques de restriction migratoire et réintégrant l'accord de Paris sur le climat. Si le 46e président se pose à maints égards comme l'antithèse de Donald Trump, il est toutefois un domaine dans lequel son administration pourrait s'inscrire dans la continuité de la précédente : celui de la régulation des grandes entreprises technologiques.

Après une courte lune de miel au début de son mandat, durant laquelle Donald Trump a invité les grands dirigeants de la Silicon Valley dans la Trump Tower et leur a annoncé qu'il était là « pour les aider », l'ancien président a rapidement durci le ton. Plusieurs enquêtes pour abus de monopole ont été lancées contre les GAFAM, tandis que Trump et les élus républicains accusaient régulièrement Facebook et Twitter de discrimination à l'encontre de leur famille politique.

Or, dans une Amérique extrêmement divisée, l'idée que les géants de la tech ont trop de pouvoir et doivent être remis à leur juste place par le politique est l'un des rares points d'accord entre républicains et démocrates. Peu de chances, donc, pour que l'administration Biden s'accompagne d'un retour en grâce de la Silicon Valley à Washington.

Les liens entre Biden et la Silicon Valley


Dans le domaine des nouvelles technologies, l'un des premiers dossiers qui attendent le nouveau président est celui de la lutte contre les monopoles (Antitrust). En octobre dernier, le sous-comité antimonopole du House Judiciary Committee (un comité de la Chambre des représentants, composé de juristes, qui s'occupe notamment des affaires liées à la compétition et aux monopoles) a rendu un rapport de 449 pages, fruit de seize mois de travail, sur les pratiques anticoncurrentielles menées par Apple, Amazon, Google et Facebook. Une enquête antimonopole est actuellement menée contre Google par le Département de la Justice, et une autre est en cours à l'encontre de Facebook de la part de la Federal Trade Commission (agence gouvernementale notamment chargée du contrôle des pratiques commerciales anticoncurrentielles).

Peu probable que l'arrivée de Biden à la Maison-Blanche mette fin à ces dernières, selon Darrell West, chercheur à la Brookings Institution, un laboratoire d'idées non partisan basé à Washington. « La question qui se pose est celle de la fougue que l'administration Biden va mettre dans la poursuite de ces deux enquêtes. L'administration précédente voulait démanteler Facebook, et celle-ci va notamment devoir décider si elle compte revenir sur les fusions précédentes ou placer des limites quant aux futures acquisitions », analyse le chercheur.

Certes, Biden n'est pas un ennemi affiché de la Silicon Valley. Celle-ci a ainsi massivement financé sa campagne : une analyse effectuée par le magazine américain Wired juste avant l'élection conclut que 95% des donations effectuées par les employés de six grandes entreprises des nouvelles technologies (Alphabet, Amazon, Apple, Facebook, Microsoft et Oracle) sont allées au candidat démocrate. Les employés de Google se sont montrés les plus généreux, versant un total de 1,8 million de dollars à Biden. Une autre étude du Center for Responsive Politics, un organisme de recherche non partisan, conclut que les entreprises du web ont versé 26,8 millions de dollars à la campagne démocrate en 2020, contre seulement 3,4 millions pour la campagne républicaine.

À cela s'ajoute le fait que Biden ait servi comme numéro deux d'une administration Obama plutôt technophile, que sa vice-présidente, Kamala Harris, soit originaire d'Oakland (à côté de San Francisco) et perçue comme étant plutôt en bons termes avec la Silicon Valley, et que le président fraîchement élu n'ait jamais, contrairement à ses rivaux démocrates Elizabeth Warren et Bernie Sanders, appelé au démantèlement des Gafam durant les primaires de son parti. Son équipe de transition comptait enfin une dizaine de personnes ayant travaillé au sein des géants de la Silicon Valley.

Zuckerberg encore moins populaire que Trump

D'un autre côté, Biden a aussi répété à maintes reprises que ces entreprises avaient trop de pouvoir, vivement critiqué la façon dont Facebook gère la circulation des fausses informations, et appelé à l'abrogation de l'article 230, bouclier juridique qui garantit aux plateformes comme Facebook, Twitter et YouTube de ne pas être poursuivies pour les contenus publiés par leurs utilisateurs.

Enfin, l'opinion publique, qui était plutôt favorable aux GAFAM sous l'administration Obama, s'est désormais retournée contre eux. Selon un récent sondage du Pew Research Center, 72% des Américains pensent que les géants des réseaux sociaux ont trop d'influence. Un autre sondage montre que Mark Zuckerberg est encore moins populaire que Donald Trump.

L'ère où l'on considérait que Facebook et Google contribuaient à l'avènement d'un monde meilleur est belle et bien révolue, et après des années de scandales en cascade, ces entreprises sont perçues comme des menaces, selon Darrell West. « Biden va se montrer intraitable avec l'industrie de la tech car son parti a viré à gauche sur ces questions. Il y a également un rejet général de l'industrie, le public s'inquiète de l'extrémisme sur les réseaux sociaux, des risques en matière de sécurité, des biais et de l'invasion de la vie privée. Biden sera contraint de prendre ces craintes au sérieux, car les élus démocrates au Congrès se montrent vindicatifs sur le sujet. »

Deux anti-Gafam à la tête de la FCC et de la FTC

Les personnes que Biden a pour l'heure nommées à des postes clefs permettent de se faire une idée plus claire de l'attitude que le président compte adopter vis-à-vis des géants des nouvelles technologies. La Federal Trade Commission (FTC) et la Federal Communications Commission (FCC, s'occupe de réguler le secteur des télécommunications), sont deux agences qui jouent un rôle majeur dans la régulation des entreprises de la tech à l'échelon fédéral. Or, les personnes que Biden a choisies pour diriger les deux agences semblent annoncer des temps difficiles pour les GAFAM.

« Rebecca Slaughter, choisie pour diriger la FTC, souhaite que le gouvernement se montre beaucoup plus ferme à l'encontre des monopoles. Sa nomination va sans doute entraîner un durcissement du ton adopté par le gouvernement vis-à-vis de la tech. Jessica Rosenworcel, que Biden a nommée à la tête de la FCC, devrait également se montrer ferme vis-à-vis du secteur. Elle travaille sur les nouvelles technologies depuis de nombreuses années et connaît très bien ses dossiers » décrypte Darrell West.

Rebecca Slaughter a à maintes reprises évoqué la nécessité d'agir contre les monopoles technologiques et les risques que ces grosses entreprises font peser sur la vie privée. Mais là où son prédécesseur, Joe Simons, nommé par Trump, avait déjà commencé à s'attaquer aux Gafam, celui de Jessica Rosenworcel, Ajit Pai, a au contraire été critiqué pour sa politique ouvertement favorable aux géants technologiques, notamment à ceux des télécommunications. À l'inverse de celui-ci, Jessica Rosenworcel est favorable à la neutralité du net, et sa nomination amorce donc un virage à 180 degrés pour la FCC.


Les régulateurs vont jouer un rôle majeur


Mais la nomination la plus importante concerne la personne qui sera chargée de diriger la division antimonopole du Département de la Justice. Cette annonce n'a pas encore été effectuée, mais plusieurs candidats sont pressentis pour le poste. Renata Hesse, l'une des favorites, a servi au sein du Département de la Justice sous Obama de mi-2016 à janvier 2017. Mais elle a aussi travaillé pour le privé et conseillé Google, ainsi qu'Amazon lors de son acquisition de Whole Foods.

En 2018, elle défendait le monopole de Google sur la recherche en ligne, affirmant qu'elle découlait de la préférence des utilisateurs. Sa nomination serait donc plutôt une bonne nouvelle pour la Silicon Valley. « Un tel choix aurait pour effet de tempérer les ardeurs de l'administration sur les affaires antimonopole » décrypte Jessica Melugin, directrice du Center for Technology and Innovation du Competitive Enterprise Institute, un laboratoire d'idées libertarien.

Également pressenti pour le poste, Juan Arteaga a également servi au sein du Département de la Justice sous Obama de 2013 à 2017. Il a lui aussi conseillé un grand groupe technologique lors d'une fusion, représentant le géant des télécommunications américain AT&T lors de son acquisition de Times Warner. Quoique dans une moindre mesure que celle de Renata Hesse, sa nomination serait également le signe d'une politique moins frontale vis-à-vis des géants de la tech.

Reste Jonathan Kanter, dont le nom est également évoqué. Il a codirigé le département antimonopole du cabinet d'avocat Paul Weiss et est un critique affiché de Google et des grosses entreprises technologiques. L'aile gauche du parti démocrate appuie sa candidature, convaincue qu'il se montrerait très ferme à l'égard des monopoles technologiques.

Grâce à deux victoires surprises en Géorgie qui leur assurent une courte majorité (une voix) au Sénat, les démocrates contrôlent désormais les deux chambres du Congrès (le Sénat et la Chambre des représentants) en plus de la présidence, ce qui ne s'était pas produit depuis 2011, date à laquelle les démocrates ont perdu leur majorité au Sénat durant le premier mandat de Barack Obama. Joe Biden a donc théoriquement les moyens de mettre en place des réformes sur le plan législatif, mais sa marge demeure très faible.

Une réalité qui pourrait renforcer le rôle de la FCC, de la FTC et de la division antimonopole du Département de la Justice sous l'administration Biden, selon Darrell West. « Mettre en œuvre de grosses réformes sera difficile, mais Biden peut agir par décret présidentiel et par le biais des agences. C'est là que des actions musclées pourront être entreprises. »

La responsabilité éditoriale des plateformes en question

Outre les enquêtes anti-monopole, la question de l'amendement de l'article 230 est un autre dossier sur lequel l'administration Biden est attendue. Celui-ci donne aux plateformes web deux protections clefs. D'une part, si l'un de leurs utilisateurs publie un contenu de nature illicite, c'est lui qui peut être attaqué en justice, et non la plateforme. D'autre part, si la plateforme supprime un contenu posté par un utilisateur, par exemple parce qu'elle le considère comme offensant ou allant à l'encontre de ses règles de modération, elle ne peut pas non plus être attaquée en justice pour atteinte à la liberté d'expression. Cet article est issu d'une loi mise en place en 1996, soit bien avant l'existence de Facebook et Twitter, alors que de nouveaux sites et forums naissaient chaque jour sur le web.

L'idée était alors de permettre aux entrepreneurs du numérique d'innover sans craindre de recevoir des procès en cascade. La compétition intensive au sein d'un marché en pleine effervescence devant suffire à éliminer les mauvais élèves, tandis que les utilisateurs chassés d'une plateforme pouvaient se rabattre sur des centaines d'autres. Mais le web a bien changé depuis cette époque, et à l'ère où une poignée d'entreprises de la Silicon Valley détient un quasi-monopole sur les réseaux sociaux et l'accès à l'information, tout le monde s'accorde pour dire que cette loi doit être modifiée. Mark Zuckerberg et Jack Dorsey se sont eux-mêmes prononcés en faveur d'une mise à jour de la loi lors de leur audience devant le Sénat, en novembre dernier, et les républicains comme les démocrates (dont Trump et Biden) ont à plusieurs reprises demandé des changements en la matière.

Problème : les deux familles politiques américaines veulent réformer la loi pour des raisons opposées. « Les démocrates veulent que les entreprises de la tech censurent davantage la désinformation et les discours haineux. Les républicains, eux, veulent au contraire moins de censure. Il est donc peu probable qu'ils parviennent à s'entendre sur une nouvelle loi, malgré leur accord de surface », commente Mark Lemley, professeur de droit à la Stanford Law School, spécialisé notamment dans les nouvelles technologies et les régulations antimonopole. « S'il est possible qu'ils se contentent d'abolir l'immunité offerte aux plateformes, sans loi de remplacement, cette option me semble peu probable. Ce serait un changement drastique qui entraînerait la faillite de certaines entreprises web, tandis que les autres seraient débordées par la quantité de contenus à modérer. »

Enfin, concernant la régulation de l'intelligence artificielle, autre sujet important, Joe Biden a nommé une sociologue, Alondra Nelson, au poste de directrice de l'Office of Science and Technology Policy, agence qui s'occupe notamment de définir les standards au sein de l'industrie technologique. Le fait que le président ait choisi une sociologue pour ce poste traduit sa volonté de prendre en compte l'impact que des technologies comme l'intelligence artificielle et le traitement des masses de données ont sur la société. Les géants de la Silicon Valley peuvent donc s'attendre à davantage d'investigations quant à l'éthique de leurs algorithmes. Des technologies très controversées, comme la reconnaissance faciale, déjà interdite dans plusieurs villes américaines, pourraient quant à elles se retrouver sur la sellette.

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Commentaires 5
à écrit le 30/01/2021 à 21:55
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Ouf , on est sauvé Biden est arrivé ... lol La France n'est plus une nation ... On est abreuvé de toute la propagande US de l'oncle Sam, de pire en pire ... Rappelez moi comment les USA s'assurent d'avoir des états vassaux ... ? Il place des hommes ...

à écrit le 29/01/2021 à 18:51
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Ce sont les GAFA et leur censure qui ont fait élire Joe!

à écrit le 29/01/2021 à 18:42
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C'est sûrement un article comique 😂😂😂 Biden va durcir le ton avec ses employeurs 😂😂 c'est le pantin absolu, toute l'artillerie, censure médias H24 .... Pour l'avoir mis là et on veut faire croire cette gigantesque blague ! Comment oser dire des trucs...

le 30/01/2021 à 19:26
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Tout à fait d'accord...Joe Biden déclarait en octobre 2020, "vous ne pouvez pas légiférer par décrets exécutifs sauf si vous êtes un dictateur..."il vient de signer 40 décrets exécutifs en moins d'une semaine ....

à écrit le 29/01/2021 à 12:43
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Hypocrites politiciens français qui taxent les GAFAM mais accueillent à bras ouverts les entrepôts de amazon à savoir les pires conditions de travail pour les salariés qu'il soit. Maudite UE obsédée par son dumping social et donc son mépris du vivant...

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