Sorti le 11 novembre, le film documentaire français Hold-Up, qui entend démontrer "l'entreprise de manipulation globale" entourant la pandémie de Covid-19, connaît un grand succès. Vu potentiellement par au moins 3 millions de personnes ce lundi d'après un décompte du site France Inter (et encore, sans compter les téléchargements directs), le film de 2h43 rassemble une galaxie de sceptiques et d'experts en tous genres qui attaquent vigoureusement les mesures prises contre la crise du Covid-19, jusqu'à l'explication finale d'un complot mondial mêlant Bill Gates, les "big pharma", Jacques Attali ou encore le déploiement de la 5G.
La puissance du film, visionné par La Tribune, vient de sa capacité à distiller les fausses informations au milieu d'interrogations légitimes sur la gestion de la crise sanitaire, et de s'appuyer sur les contradictions et revirements réels du gouvernement pour déployer un argumentaire complotiste. Le film s'appuie sur des prétendus experts surtout connus pour leurs controverses, déforme les conclusions de certains rapports (notamment sur le port du masque), et maîtrise parfaitement l'art de l'insinuation grâce à la voix-off et aux effets sonores angoissants.
Retour sur quelques mensonges.
Les masques, des "nids à microbes" inutiles ?
Ce que le film dit. Selon Astrid Stuckelberger, présentée comme une docteure en médecine, "l'OMS ne dit pas que tout le monde doit mettre un masque". La dermatologue Claude Veres affirme que les masques chirurgicaux ne "sont pas très protecteurs" et que les masques en coton deviennent des "nids à microbes en quelques heures". Le film s'appuie fortement sur des propos du gouvernement qui, dans un premier temps, avait estimé qu'il n'était pas nécessaire pour le grand public d'en porter, avant de changer de doctrine.
Pourquoi c'est faux. Dans ses orientations publiées le 5 juin, l'OMS préconise, page 8, le port du masque médical (chirurgical) en priorité aux personnes manifestant des symptômes du Covid-19 et au personnel soignant. L'organisation conseille aussi aux autorités, "d'encourager le port du masque par le grand public [...], pour prévenir efficacement la transmission de la Covid-19 dans les zones de transmission communautaire, dans le cadre d'une approche globale de lutte contre la transmission du SARS-CoV-2".
L'OMS liste, page 9, les effets bénéfiques du port du masque (baisse du risque d'infection, création d'une habitude des gestes barrières autres que le masque comme le lavage des mains, création d'un filière économique de masques non-médicaux...) et aussi ses inconvénients (risque d'auto-contamination accru si mal utilisé, sensation possible d'inconfort...). L'OMS conseille également l'utilisation des masques en tissu, notamment dans les transports en communs, et rappelle que "l'Association de normalisation française (le Groupe AFNOR) a établi une norme pour les masques non médicaux définissant l'efficacité minimale de filtration et la respirabilité".
Encore récemment, le 20 octobre, l'OMS confirmait encore sa recommandation du port du masque d'une manière qui ne laisse pas de place au doute :
«Si le Covid-19 se propage dans votre communauté, protégez-vous en prenant quelques précautions simples, comme maintenir une distance physique avec autrui, porter un masque, bien ventiler les pièces, éviter les rassemblements, vous laver les mains [...]. Considérez le port du masque comme normal lorsque vous êtes avec d'autres personnes. [...] Portez un masque en tissu sauf si vous faites partie d'un groupe à risque. Portez un masque médical/chirurgical si vous avez plus de 60 ans, si vous êtes atteint d'une autre pathologie, si vous ne vous sentez pas bien, et/ou si vous vous occupez d'un membre de votre famille malade."
Non, le Covid-19 n'existait pas dès 2015 et n'a pas été fabriqué par l'Institut Pasteur
Ce que le film dit. Ancien pharmacien, Jean-Bernard Fourtillan assure dans le film qu'un brevet avait déjà été déposé sur "les tests pour détecter la maladie Covid-19, le 13 octobre 2015". Il affirme ensuite que le virus "a été fabriqué par l'Institut Pasteur".
Pourquoi c'est faux. Comme indiqué sur le site de l'Office européen des brevets, ce brevet a été actualisé en 2020 par son inventeur pour adapter la technologie initialement brevetée (des techniques d'analyse de données biométriques) à la détection du nouveau coronavirus. La technologie brevetée en 2015 peut donc servir à détecter le Covid-19, mais elle n'a pas été créée pour cela.
En ce qui concerne l'Institut Pasteur qui aurait fabriqué le Covid-19, ce mensonge repose sur un brevet déposé par l'Institut en 2004, mais qui porte sur le code génétique d'un virus cousin mais différent du SARS-CoV-2. Début novembre, la justice a condamné un internaute ayant diffusé une fausse information similaire pour "diffamation".
Cible privilégiée des conspirationnistes depuis le début de la crise sanitaire, l'Institut Pasteur fait l'objet de nombreuses fakes news, qui se propagent dans des vidéos virales sur les réseaux sociaux. L'une des rumeurs les plus partagées indique que l'Institut Pasteur ferait partie du groupe pharmaceutique Sanofi, ce qui est faux : son statut est celui d'une fondation reconnue d'utilité publique, à but non lucratif et indépendante, dont la mission est de contribuer à la prévention et au traitement des maladies. Pour la première fois depuis 1987, l'Institut Pasteur a porté plainte contre les auteurs de certaines vidéos diffamatoires publiées sur les réseaux sociaux en 2020.
Le confinement serait inutile car la Suède a été épargnée par le virus sans avoir mis en place de confinement
Ce que le film dit. A grands renforts de graphiques, le documentaire compare les pics de décès journaliers entre la France et la Suède, qui a mené une stratégie moins stricte que la plupart des pays européens face au coronavirus. Preuve selon les auteurs de l'inefficacité du confinement, la Suède comptait 115 morts par jour au plus fort de la crise mi-avril contre 1.483 en France. La France aurait donc eu 13 fois plus de morts que la Suède lors de son pic de morts de la première vague.
Pourquoi c'est faux. Une analyse plus détaillée montre que le film manipule les chiffres. Comme le souligne le site Libération, ce chiffre de 1.483 morts intègre le nombre de décès dans les Ehpad, qui n'est remonté que tous les trois ou quatre jours et qui indique donc plusieurs jours de décès cumulés. Le chiffre du pic français pris par Hold Up est donc surévalué et serait en fait pour la France de 974 morts le 9 avril. Rapporté au nombre d'habitants, cela fait 9,7 morts pour un million d'habitants en Suède, contre 14,5 morts en France. Autrement dit, la France n'a pas eu 13 fois plus de morts que la Suède lors de pic de décès, mais "seulement" 1,5 fois plus.
De plus, Hold Up oublie que même sans confinement officiel, le gouvernement suédois a recommandé à sa population de limiter au maximum les interactions sociales et les déplacements, et qu'il avait fermé les lycées et les universités, interdit les rassemblements de plus de 50 personnes et les visites en maison de retraite. Autrement dit, les Suédois vivaient quand même sous restrictions. Actuellement, face à la deuxièle vague, le pays met en place des mesures restrictives, notamment une loi, qui devrait être votée cette semaine, interdisant les restaurants et bars à servir de l'alcool à partir de 22h et les obligeant à fermer leurs portes à 22h30, du 20 novembre à fin février 2021.
Le documentaire oublie également de prendre en compte que les deux pays n'ont pas les mêmes problématiques de densité de population. La Suède compte 10,3 millions d'habitants et s'étale sur 450.000 kilomètres carrés, tandis que la France abrite 67,8 millions d'habitants sur 633.000 kilomètres carrés (en comptant les Outre-Mer). A titre d'exemple, Paris, avec 21.067 habitants par km2, est la 7e ville la plus densément peuplée au monde, tandis que la capitale suédoise, Stockholm, compte seulement 5 118 habitants par km2, quatre fois moins que Paris.
Non, il n'y a pas de complot visant à cacher l'efficacité de l'hydroxychloroquine
Ce que le film dit. De nombreux intervenants affirment que l'hydroxychloroquine est un traitement contre le Covid, affirmant que ce médicament promus par Didier Raoult a prouvé son efficacité.
Pourquoi c'est faux. Depuis le début de l'épidémie, le professeur Raoult a bien rendu publiques plusieurs études mais elles ont été largement critiquées en raison de leurs problèmes méthodologiques importants. Depuis, d'autres études, comme le vaste essai britannique Recovery, la française Hycovid, ou Solidarity, menée dans le monde par l'OMS, sont parvenues à la conclusion que l'hydroxychloroquine n'est pas efficace contre le Covid-19. Mais le film ne retient que le faux pas de la revue médicale The Lancet, qui avait publié fin mai une étude concluant à l'inefficacité et même à la dangerosité du traitement à l'hydroxychloroquine, et qui avait été retirée par certains de ses auteurs la semaine suivante en raison de doutes sur la fiabilité des données utilisées.
Non, le Rivotril n'a pas été massivement utilisé pour tuer des seniors dans les Ehpad
Ce que le film dit. Le pharmacien Serge Rader, très connu dans la galaxie des "anti-vaccins", affirme à propos des personnes âgées en Ehpad : "On leur a préparé la seringue de Rivotril avec un arrêté à la clé, pour les achever complètement alors qu'ils étaient en détresse respiratoire".
Pourquoi c'est faux. L'affirmation reprend une fausse information qui circule depuis le début de l'épidémie, selon laquelle l'Etat aurait, par décret, autorisé l'euthanasie des personnes âgées en leur administrant du Rivotril, qui est un sédatif utilisé en soins palliatifs. Mais s'il est exact qu'un décret a été publié en mars pour faciliter l'utilisation de cette molécule, son but était de pallier à une érosion des stocks de midazolam, une autre molécule utilisée pour endormir les patients en réanimation et atténuer la douleur en soins palliatifs.
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