Crise du Covid-19 : comment les GAFAM ont renforcé leur emprise

En pleine récession mondiale, les géants du Net profitent d'un double effet d'aubaine. La crise leur ouvre de nouveaux marchés et leur régulation est reléguée au second plan de l'agenda politique.
Anaïs Cherif
(Crédits : DR)

Qui arrêtera les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) ? Pas le coronavirus en tout cas. Les géants du Net américains traversent la plus grande crise économique du siècle avec une sérénité déconcertante. Mieux, ils se positionnent comme les grands gagnants de la crise. Déjà des acteurs incontournables sur leurs marchés respectifs, leur puissance ne cesse de se renforcer. Leur recette miracle ? Des services très populaires dans tous les domaines de la vie numérique, ce qui leur assure des réserves massives de cash pour continuer à recruter et à investir fait merveille même quand tout va mal.

Le confinement forcé de la moitié de la planète a eu pour principale conséquence une accélération inédite de la digitalisation de l'économie. Avec leurs solutions déjà prêtes et facilement déployables à grande échelle, les Gafam en ont profité plus que tout le monde en attirant des millions de nouveaux utilisateurs. Outils collaboratifs en entreprise, shopping en ligne, réseaux sociaux et messageries privées, divertissement, infrastructures de cloud pour faciliter le télétravail... Malgré l'explosion d'autres outils hors de leurs écosystèmes (Zoom pour les visioconférences, Netflix pour le streaming vidéo...), les géants américains sont sur tous les fronts.

Finances au beau fixe et records en Bourse

Par conséquent, leurs résultats financiers du premier trimestre 2020 étaient donc au beau fixe dans leur ensemble [voir ci-contre]. Si les géants américains s'attendent à une chute de leurs revenus publicitaires à compter du deuxième trimestre, couplé à une hausse de leurs dépenses pour respecter les mesures sanitaires (notamment pour les centres logistiques d'Amazon), ils devraient cependant traverser la crise sans casse grâce à la diversification de leurs activités, qui leur assure de nouveaux revenus.

Facebook, qui totalise 3 milliards d'utilisateurs dans le monde (Facebook, WhatsApp, Messenger et Instagram), a vu le nombre de messages échangés exploser sur ses plateformes. Le groupe en a profité pour observer les nouvelles de tendances de communication, comme la hausse des appels vidéo groupés à plus de trois personnes. Dans la foulée, il a lancé en avril une nouvelle application de visioconférence, baptisée « Messenger Rooms ». Mark Zuckerberg, PDG et cofondateur du groupe, va même jusqu'à qualifier d'« opportunité » la crise provoquée par le Covid-19.

« Il y a beaucoup de choses à construire pendant des périodes comme celle-ci, donc plutôt que de freiner à fond comme beaucoup d'entreprises pourraient le faire, c'est important de continuer à investir », a estimé le jeune milliardaire fin avril.

Même tendance pour les services en ligne de divertissement. Ainsi, la croissance de la plateforme vidéo YouTube a dopé l'activité d'Alphabet (maison mère de Google). Apple, qui a subi un ralentissement de production de ses produits (smartphones, ordinateurs portables...) dû à la fermeture temporaire des usines en Chine, s'est rattrapé grâce à ses services. Cette division (qui rassemble le streaming audio et vidéo Apple Music et Apple TV+, le paiement avec Apple Pay, le magasin d'applications App Store...), a généré à elle seule 13,3 milliards de dollars au cours du premier trimestre (+ 15,7 % sur un an). « Notre investissement de longue date dans une stratégie de services a payé », s'est réjoui fin avril Tim Cook, le PDG du groupe.

De son côté, Microsoft a dépassé ses attentes les plus optimistes en atteignant une croissance de 15 % de son chiffre d'affaires au premier trimestre. Le confinement a entraîné une hausse inespérée de la demande pour son système d'exploitation Windows, et il a aussi permis à sa messagerie collaborative d'entreprise Teams de doubler son nombre d'utilisateurs, à 75 millions. Enfin, l'activité cloud de Microsoft, Amazon et Google, les trois leaders mondiaux, a explosé. « Nous venons d'assister à deux ans de transformation numérique en deux mois », a déclaré Satya Nadella, le patron de Microsoft.

Intensification des investissements, recrutements et acquisitions

Le commerce en ligne n'a pas été en reste. Amazon, champion mondial de l'e-commerce, a dû recruter massivement pour répondre à la hausse des commandes, entraînant une chute de 30 % de son bénéfice net à 2,5 milliards de dollars au cours du premier trimestre. Ainsi, l'ogre du commerce en ligne a créé 175000 emplois rien qu'aux États-Unis en mars et avril. Ce n'est pas le seul à investir : Facebook a promis le recrutement de 10 000 personnes d'ici à la fin de l'année, et a lancé mi-mai Facebook Shops, une nouvelle fonctionnalité permettant aux marques de vendre et d'encaisser directement sur la plateforme.

Au-delà des recrutements, la crise permet aussi aux Gafam de faire des emplettes à bas prix. Depuis le 11 mars, date à laquelle l'OMS a déclaré le coronavirus comme pandémique, Facebook a investi 5,7 milliards de dollars dans le premier opérateur télécoms indien, Reliance Jio, et dans le cabinet de conseil Tech Matters. De son côté, Amazon a investi 3,8 millions de dollars dans la plateforme indienne BankBazaar et 15 millions de dollars dans Capital Float, start-up de prêts aux PME.

Fidèle à ses habitudes, Apple a privilégié les acquisitions. Alors que la firme à la pomme croquée a acquis quatre entreprises courant 2019, elle a déjà mis la main sur quatre sociétés courant 2020, dont trois au cours de la crise du coronavirus (l'application météo Dark Sky, la start-up de reconnaissance vocale Voysis et la plateforme de réalité virtuelle NextVR). Apple « profite d'évaluations réduites des entreprises en raison de la pandémie pour les acheter à bas prix », analyse CB Insights.

Conséquence : les investissements avec prise de participation des Gafam ont déjà « atteint un niveau record au cours du deuxième trimestre 2020 », dépassant les montants déboursés sur la totalité de l'année 2019, selon une note d'analyse publiée début mai par le cabinet américain. Pour les Gafam, 2020 est pour l'instant « une année record malgré l'épidémie du coronavirus », poursuit l'étude.

Côté Bourse, les Gafam ont connu quelques turbulences, mais ils ont rapidement renoué avec leurs performances exceptionnelles d'avant-crise. Le titre Amazon a pris 30% depuis janvier, pour atteindre la valorisation astronomique de 1340 milliards de dollars le 26 juin ! Les cours de Google, Apple, Facebook et Microsoft ont, pour leur part, grimpé respectivement de 5%, 15%, 11% et 18% en six mois. Leurs valorisations s'établissent à la fin du semestre autour de 1500 milliards de dollars pour Apple et Microsoft, 930 milliards de dollars pour Google et 615 milliards de dollars pour Facebook. À titre de comparaison, le 29 juin, la valorisation cumulée des cinq géants atteignait 5905 milliards de dollars, soit presque un tiers de la valorisation du Nasdaq, composé de... 2250 valeurs.

Quid de la taxation du numérique ?

Ces performances hors normes relancent logiquement les débats sur la nécessité d'une meilleure régulation des champions du Net. Alors que la crise économique touche de plein fouet des pans entiers de l'économie, la question de la justice fiscale est plus que jamais d'actualité.

« Cette crise montre que ceux qui s'en sortent aujourd'hui le mieux, ce sont les géants du numérique simplement parce que leurs activités se poursuivent y compris pendant la crise, et pourtant ce sont les moins taxés », a ainsi déclaré le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, courant mai.

Mais la crise et l'urgence de mesures de soutien sectorielles à l'économie, font passer les initiatives de régulation du numérique au second plan de l'agenda politique. Un projet mondial de taxation des activités numériques des multinationales est en cours de préparation à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) depuis 2019. Une version finalisée devait voir le jour en octobre pour une application effective à compter de 2021. Pour que le projet soit adopté, un accord politique est nécessaire entre les 137 pays membres du groupe de travail de l'OCDE sur le sujet. Mais les États-Unis ont déclaré mi-juin vouloir « faire une pause [dans les négociations] » en raison de la pandémie du Covid-19. Si l'OCDE a appelé les autres membres à poursuivre les négociations, la perspective de trouver un accord d'ici la fin de l'année s'est réduite comme peau de chagrin. Bruno Le Maire a déclaré vouloir « appliquer quoiqu'il arrive une taxation aux géants du digital en 2020 parce que c'est une question de justice ».

A défaut d'accord international, le gouvernement souhaite donc appliquer sa « taxe Gafa » nationale, adoptée en juillet 2019. Les prélèvements de cette taxe, suspendus en 2020 pour tenter d'adoucir les négociations avec les États-Unis, pourraient donc être rétablis. C'est justement ce que redoute le secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria, pour qui la multiplication de mesures unilatérales ne fera qu'accroître les tensions commerciales internationales, dans une économie mondiale déjà en panne.

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DES RÉSULTATS AU BEAU FIXE

  • ALPHABET Chiffre d'affaires de la maison mère de Google: 41,2 milliards de dollars (+3% sur un an) pour un bénéfice net de plus de 6,8 milliards de dollars (+3% sur un an).
  • AMAZON Chiffre d'affaires : 75,5 milliards de dollars (+26% par rapport à la même période l'an dernier) pour un bénéfice net de 2,5 milliards de dollars ( 30%).
  • APPLE Chiffre d'affaires : 58,3 milliards de dollars (+1% sur un an) pour un bénéfice net de 11,2 milliards de dollars ( 2,6% par rapport à la même période l'an dernier).
  • FACEBOOK Chiffre d'affaires : 17,7 milliards de dollars (+18% sur un an) pour un bénéfice net de 4,9 milliards de dollars (+102% par rapport à la même période l'an dernier).
  • MICROSOFT Chiffre d'affaires : 35 milliards de dollars (+15% sur un an) pour un bénéfice net de 10,8 milliards de dollars (+22% par rapport à la même période l'an dernier).
Anaïs Cherif

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Commentaires 3
à écrit le 16/07/2020 à 19:06
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Dans l'ancien monde d'avant, ce genre de problème se gérait très bien avec des lois antitrust, et des démantèlements qui, au final, faisaient le bonheur des raiders, traders et autres gansters à coup d'OPA. Tout le monde y trouvait son compte, mais ...

à écrit le 16/07/2020 à 13:50
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Et tout ceci avec un nombre très réduis d'employés !

à écrit le 16/07/2020 à 12:03
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Le déclin oligarchique faisant qu'elle a envahi tous les postes à responsabilités et autres biens payés de sa filiation et communauté fait que le citoyen lambda n'a plus aucune opportunité pour s'enrichir, par son travail vu qu'il n'a plus que ça à p...

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