« Nous savons protéger les élections du risque d'interférences étrangères » (Laurent Solly, Meta)

ENTRETIEN - Le vice-président Europe du Sud de Meta revient pour La Tribune sur les 20 ans de Facebook, explique le pivot de l'entreprise vers le métavers et l'intelligence artificielle et annonce le lancement de formations à l'IA avec Simplon dans huit grandes villes françaises. Laurent Solly estime aussi que la firme a appris du débâcle Cambridge Analytica de 2026, et qu'elle sait désormais empêcher les risques d'interférence étrangère sur les élections,
Laurent Solly, dans les locaux de Meta, à Paris, en octobre 2021.
Laurent Solly, dans les locaux de Meta, à Paris, en octobre 2021. (Crédits : LEWIS JOLY)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Facebook a 20 ans. D'un réseau social pour étudiants d'Harvard, l'entreprise s'est transformée en empire des réseaux sociaux, en champion de la publicité digitale et en l'une des entreprises pionnières de l'intelligence artificielle et du métavers. Elle a même changé de nom il y a deux ans. Comment définir Meta aujourd'hui ?

LAURENT SOLLY - L'entreprise a énormément évolué mais sa mission est restée exactement la même : connecter les gens entre eux. Meta a toujours été une entreprise technologique leader de l'innovation, avec la volonté de créer et d'accompagner de nouveaux usages au gré de l'évolution des technologies. Facebook est né il y a 20 ans sur un simple ordinateur fixe, puis nous avons pris le virage du mobile, de l'image et des vidéos courtes avec les « Réels » sur Instagram, des messageries avec WhatsApp, de la réalité virtuelle, augmentée et mixte avec nos casques Quest, et aujourd'hui de l'intelligence artificielle générative et du métavers. Nous pensons que ces technologies vont être au cœur des interactions sociales et donc de la connexion entre les individus dans les années qui viennent.

Comment percevez-vous l'impact majeur qu'a eu Facebook sur le monde ces vingt dernières années ?

Il n'est pas exagéré de dire que Meta a changé le monde. Facebook puis Messenger, WhatsApp ou Instagram, ont transformé notre manière de communiquer avec nos amis et notre famille, mais aussi la façon dont les entreprises fonctionnent, recrutent de nouveaux clients et connaissent leur audience. Aujourd'hui, quasiment 4 milliards d'utilisateurs dans le monde - 3,98 milliards pour être précis - utilisent nos plateformes Facebook, Instagram, Messenger et WhatsApp. Plus de 200 millions d'entreprises, parmi lesquelles plus de la moitié des entreprises françaises, utilisent nos produits et services. WhatsApp, une des premières messageries au monde avec plus de 2 milliards d'utilisateurs, est devenue un outil de communication indispensable. Meta est une entreprise responsable qui a conscience de l'impact qu'elle a sur l'économie, sur la société, auprès de ses utilisateurs et de ses clients.

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Meta a aussi enchaîné les controverses, notamment le scandale Cambridge Analytica, du nom de cette firme qui a utilisé la puissance de ciblage publicitaire de Facebook pour manipuler l'élection présidentielle américaine de 2016 en abreuvant les électeurs indécis de fake news au bénéfice de Donald Trump. Quelles leçons en tirez-vous ?

Cela nous a permis de grandir et de comprendre que nous avons une responsabilité particulière, liée à la taille que nous avons acquise si rapidement. Des investissements massifs ont été réalisés pour être à la hauteur de la tâche. Sur la modération des contenus, nous avons investi 20 milliards de dollars depuis 2016. 40.000 personnes travaillent sur ces enjeux de sécurité, avec une dimension technologique et humaine. Nous avons déployé plus de 30 outils sur nos plateformes pour que les plus jeunes puissent utiliser Instagram ou Facebook de façon sécurisée. Rien qu'au dernier trimestre 2023, plus de 9 millions de contenus haineux ont été bloqués, dont 94% de manière automatique par des outils d'intelligence artificielle. Nous travaillons aussi avec la plupart des autorités de tous les pays, et des associations notamment en France, pour mesurer l'impact des technologies numériques sur la société. Nous sommes aussi pleinement engagés dans l'éducation au numérique et la gestion de ses risques, notamment avec les associations e-Enfance et Génération Numérique en France.

2024 est l'année des élections européennes et de l'élection présidentielle américaine. Un nouveau Cambridge Analytica est-il possible ?

Nous avons l'expérience des grandes élections. Nos équipes locales et internationales travaillent pour veiller à l'intégrité des élections et protéger des risques d'interférence. Pour preuve, l'élection présidentielle de 2022 en France ou de 2020 aux Etats-Unis se sont déroulées sans problème. Une trentaine de réseaux d'interférence étrangère ont été détectés dans le monde ces trois dernières années. Quand nous les repérons, nous les bloquons le plus rapidement possible et nous publions un rapport. Pour toutes les nouvelles technologies de création de contenus, nous sommes en pointe pour détecter et bloquer les deepfakes.

Les nouveaux outils de désinformation, notamment les fausses vidéos virales créées par l'IA appelées les « deepfakes », inquiètent...

Nous venons de lancer l'étiquetage automatique des contenus générés par l'intelligence artificielle, c'est-à-dire que vous verrez la mention « contenu généré par une IA » sur les images créées à partir de notre outil d'IA générative sur Facebook, Instagram et Threads. Nous souhaitons également pouvoir le faire pour les contenus créés à l'aide d'outils d'autres entreprises  [tels que Midjourney, HeyGen ou ChatGPT, Ndlr] et cela nécessite de collaborer avec l'ensemble des acteurs de l'industrie. Nous sommes très impliqués dans un consortium mondial d'entreprises de la tech intitulé Partnership for AI, dont le but est de définir des standards communs pour toute l'industrie de la tech, quel que soit l'outil d'IA générative utilisé.

Tout ce qui a été trouvé par nos chercheurs a été publié pour que tout le monde s'en saisisse

Fin 2021, l'entreprise s'est renommée Meta et a effectué un pivot vers le métavers. 36 milliards de dollars ont été investis en 18 mois, sans grand succès pour l'instant. Pourquoi le métavers n'a-t-il pas décollé ?

Nous avons toujours dit que le métavers était un projet de long terme, de cinq à dix ans. Notre conviction est que les interactions sociales à venir auront lieu dans des métavers ou en utilisant des technologies de réalité virtuelle, de réalité augmentée ou de réalité mixte. Nous voyons déjà des progrès. En 2023, nos deux nouveaux produits, le casque Quest 3 et les lunettes connectées Ray Ban Meta, ont généré des ventes encourageantes.

C'était trop tôt ?

Non, car on voit que les technologies de métavers sont déjà utilisées par des entreprises. La réalité augmentée s'intègre dans la publicité, la réalité virtuelle et mixte se généralise dans la santé, pour former des chirurgiens, préparer des actes chirurgicaux. BMW, Renault dans tous ses process industriels, Alstom pour la formation de son personnel, utilisent des métavers. Des écosystèmes entiers se construisent dans le métavers, avec un usage à la fois professionnel et grand public. De plus en plus, les technologies seront plus simples, plus adaptées, pour faire bénéficier le métavers au plus grand nombre. Donc nous continuons d'investir fortement dans le métavers.

En attendant, Mark Zuckerberg a recentré début 2023 la stratégie de l'entreprise sur l'intelligence artificielle. Avec succès cette fois : les revenus de Meta ont rebondi et la valorisation de l'entreprise est au plus haut...

L'intelligence artificielle est la grande transformation technologique sur laquelle nous voulons être un leader mondial. Ce n'est pas une nouveauté pour nous : nous investissons dans l'IA depuis 10 ans, via notre laboratoire FAIR dont la plus grande entité est à Paris. Fondé par le chercheur de renommée mondiale Yann Le Cun, FAIR est l'un des centres de recherche les plus productifs au monde sur l'IA pour la communauté scientifique internationale.

Avec une particularité : l'open source. Cela signifie que tout ce qui a été trouvé par nos chercheurs a été publié pour que tout le monde s'en saisisse. Nous suivons la même stratégie pour nos grands modèles d'IA générative, qui permettent de créer un contenu juste en formulant une requête. Notre grand modèle, Llama 2, a été fondé essentiellement par l'équipe française de FAIR. Depuis qu'il a été mis en open source l'été dernier, il a été téléchargé plus de 30 millions de fois. Cela nourrit la communauté scientifique.

Comment l'intelligence artificielle s'immisce dans les produits et les services de Meta ?

L'IA améliore l'efficacité de nos plateformes et l'IA générative va encore grandement améliorer leurs performances. En réalité, l'IA est déjà au cœur de nos produits via les outils de recommandation et de sélection des contenus, ou encore nos outils de ciblage publicitaire personnalisé. On observe une amélioration de 32% du retour sur investissement pour les annonceurs grâce à nos outils dotés d'IA. Nous voulons démocratiser cette technologie pour tous car les TPE et les PME n'ont pas la capacité d'investissement technologique des grands groupes. Ils découvrent aujourd'hui l'IA comme ils découvraient les réseaux sociaux il y a dix ou quinze ans. Nous ne sommes qu'au début de cette révolution.

Et le grand public ?

Nous avons lancé il y a six mois aux Etats-Unis Meta AI ainsi que des « Meta Characters », des assistants générés par de l'IA, pour vous accompagner dans toutes vos requêtes et répondre à vos questions sur nos messageries. Nous pensons que l'IA générative va s'imposer au quotidien comme un assistant qu'on peut activer en fonction de nos besoins :  coaching sportif, cuisine.... Cette fonctionnalité marche bien aux Etats-Unis et nous espérons l'étendre plus largement.

Les grands modèles d'intelligence artificielle générative doivent être gratuits et libres

Comment faire en sorte que cette IA qui se démocratise, soit utilisée de manière éthique ?

La formation est essentielle. Je vous annonce que nous lançons, avec notre partenaire Simplon, une grande initiative pour initier les Français à l'IA, à partir du printemps, en physique dans huit grandes villes. Nous ouvrirons aussi une plateforme en ligne, gratuite, pour se former à l'IA générative, y compris dans l'utilisation concrète des grands outils actuels. Et pas seulement les nôtres ! Enfin, nous formerons à utiliser l'IA de manière responsable. C'est une première au monde pour nous. Le programme permettra de toucher un millier de Français en physique, et probablement plusieurs dizaines de milliers en ligne. Nous engageons également tout l'écosystème dans l'IA responsable avec notre partenaire Impact AI, qui réunit des dizaines d'entreprises et d'organisations.

Comment financez-vous la mise à disposition gratuite de votre modèle d'IA générative Llama 2 ?

Nous pensons que les grands modèles d'intelligence artificielle générative doivent être gratuits et libres, comme l'est Internet. Nous finançons ces développements grâce à nos bénéfices. Notre vision est de continuer à investir pour garder notre avance technologique et proposer les meilleurs produits pour tous nos utilisateurs et clients. Nous pensons que l'open source est bon pour l'écosystème mondial car il permet d'accélérer la diffusion de l'intelligence artificielle, et par ricochet la performance de nos outils qui intègrent des fonctions d'IA.

Emmanuel Macron a parlé de l'addiction aux écrans des adolescents et de la nécessité de les protéger. Il y a également eu l'audition de Mark Zuckerberg devant le sénat américain....

Notre responsabilité est d'être pionnier sur la protection des mineurs, d'aider à la gestion responsable des écrans via certains outils mentionnés au début. Nous avons mis en place par exemple la fonction supervision parentale sur l'ensemble de nos plateformes, qui permet de limiter le temps passé, voir qui l'enfant suit, et voir si l'enfant tente de changer les paramètres. Le tout en trois clics maximum. Nous nous associons avec des structures comme e-Enfance et Génération Numérique pour former des parents et des enfants partout en France. Il est aussi possible d'appeler le 3018, le numéro d'urgence en cas de harcèlement en ligne, directement depuis nos plateformes.

Votre avenir est-il dans toujours dans les réseaux sociaux, ou privilégiez-vous l'IA et le métavers à l'avenir ?

La publicité digitale via nos plateformes sociales représente toujours la quasi totalité de notre chiffre d'affaires. La technologie permet à nos plateformes de s'enrichir, d'évoluer, d'innover et de rester pertinentes. Nous continuons de nous étendre dans notre domaine historique des réseaux sociaux puisque nous avons lancé Threads en 2023 [concurrent de Twitter, Ndlr], qui a déjà 130 millions d'utilisateurs actifs par mois. Nous innovons en permanence, grâce à la technologie. Les Reels par exemple, ces vidéos courtes sur Instagram et Facebook, sont un immense succès. Chaque jour, plus de 3,5 milliards de Reels sont partagés sur Facebook et Instagram. La dimension sociale reste au cœur de notre mission.

Meta a licencié 22% de ses effectifs en 2023, pour tomber à 67.000 employés. Y aura-t-il d'autres vagues de licenciements en 2024 ?

Nous avions énormément recruté ces dernières années, et notamment pendant le Covid. En 2023, il a fallu reconfigurer l'entreprise. Mais si on dézoome, le paysage n'est pas le même. Quand je suis arrivé il y a dix ans, il y avait 4.200 employés chez Facebook. Aujourd'hui nous sommes 67.000 ! Nous avons embauché parfois plus de 10.000 personnes par an ces dernières années, dans un contexte d'euphorie pour la tech. Nous sommes revenus à une gestion plus rigoureuse pour continuer à investir massivement dans les technologies d'avenir. Nous n'oublions pas que nous sommes dans un univers extrêmement compétitif. Nous voulons rester le leader des réseaux sociaux, et devenir leader dans l'intelligence artificielle et le métavers, pour proposer la meilleure expérience en ligne possible à tout le monde.

Mark Zuckerberg paie les premiers dividendes de son histoire

Au plus bas il y a un an et deux mois, Meta s'envole. Dans la foulée de résultats trimestriels exceptionnels au quatrième trimestre 2023, la capitalisation du groupe
a gonflé de plus de 200 milliards de dollars en une seule journée. La principale raison de cette bonne fortune est le redémarrage de la publicité en ligne, où Meta se partage la part du lion avec Google. L'entreprise récolte aussi les fruits
de ses baisses des coûts. En 2023, année de l'efficacité, Meta a licencié plus de 22 % de ses effectifs, réduits à 67 317 employés au 31 décembre. Résultat, pour ses 20 ans, la maison mère de Facebook va verser les premiers dividendes de son histoire, à hauteur de 50 cents (1 demi-dollar) par action. Son cash disponible dépasse les 65 milliards de dollars contre « seulement » 40,7 milliards fin 2022.

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Commentaires 6
à écrit le 12/02/2024 à 9:44
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sans rire!!!!!! les francais sont derniers au PISA, ne savent pas faire une fraction en terminale, et la on va leur parler de gradient, de tenseurs, de retropropagation avec rotation, de chain rule, de machines de boltzmann........vous attendez quoi...

à écrit le 11/02/2024 à 12:21
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Meta est une blonde , c'est évident pour tout le monde ,maintenant

à écrit le 11/02/2024 à 9:49
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DANS CET ARTICLE AVEC META SUR INTELLIGENCE ARTIFIELLLE IA , POURQUOI DANS LES PROGRAMMES DE RENFORCEMENT DE CAPACITÉS VOUS NE VENEZ EN Afrique de l'ouest francophone travailler avec les acteurs économiques locaux ? Le Nigeria, le Maroc, L'Espagne, ...

à écrit le 11/02/2024 à 9:48
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DANS CET ARTICLE AVEC META SUR INTELLIGENCE ARTIFIELLLE IA , POURQUOI DANS LES PROGRAMMES DE RENFORCEMENT DE CAPACITÉS VOUS NE VENEZ EN Afrique de l'ouest francophone travailler avec les acteurs économiques locaux ? Le Nigeria, le Maroc, L'Espagne, ...

à écrit le 11/02/2024 à 9:46
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Fuir les réseaux sociaux, la peste noire, brune des temps nouveaux. ( peut-être plus pour longtemps!).

à écrit le 11/02/2024 à 9:24
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Super! Les premières arnaques arrivent, le cirque est dans votre ville !;-)

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