Meta signe son retour en grâce avec l'IA générative

En 2022, Meta touchait le fond : Mark Zuckerberg, son fondateur et dirigeant, paraissait dépassé. Mais deux ans plus tard, l'entreprise a pris la vague de l'intelligence artificielle générative par le bon bout et est parvenue à redorer son image ternie. Et elle ne compte pas s'arrêter en chemin : Zuckerberg veut désormais faire de Meta le numéro 1 de l'IA.
François Manens
Meta peut-il faire oublier les déboires de Facebook ?
Meta peut-il faire oublier les déboires de Facebook ? (Crédits : Reuters)

Meta is back. Dans une courte vidéo sans fioriture publiée sur le réseau social Threads jeudi soir, Mark Zuckerberg a partagé les immenses ambitions de son entreprise dans l'intelligence artificielle générative. Jusqu'ici cantonnée aux seconds rôles dans la course technologique menée par le duo OpenAI-Microsoft, la maison-mère de Facebook et Instagram veut désormais se mêler à la tête de course et créer les meilleurs modèles d'IA du marché.

Cette stratégie conquérante fait suite à un long passage à vide de Meta. Accablée par les scandales autour des données personnelles et de la modération, mise à mal par la mauvaise passe du marché publicitaire post-covid et bousculée comme jamais par la montée fulgurante de TikTok, l'entreprise a touché le fonds en 2022. L'échec du virage vers le métavers a achevé la sortie de Meta en dehors du club des entreprises valorisées à plus de 1.000 milliards de dollars, en plus de ternir un peu plus son image. Mais grâce à l'IA générative, non seulement l'entreprise s'est redressée financièrement, mais en plus, une fois n'est pas coutume, elle endosse le beau rôle. Et la voilà déjà proche de regagner le club des 1.000 milliards.

Le lama, symbole de l'image redorée de Meta

Si Meta est tant apprécié dans l'écosystème de l'intelligence artificielle, c'est parce qu'à de rares exceptions près, l'entreprise permet à n'importe qui d'utiliser gracieusement son principal modèle d'IA, Llama 2, et ses dérivés, même pour des usages commerciaux. En termes d'image, le pari de l'ouverture de ses modèles en open source est un succès. Le lama (l'animal) est devenu un symbole de l'écosystème open source, au point que Hugging Face, la plateforme de référence des développeurs d'IA, en a fait venir un à la Station F fin 2023 lors d'un événement comptant plus de 2.000 participants. Les développeurs d'IA ont pratiquement tous testé les modèles de Meta, considérés comme les meilleurs de l'open source.

Reste que Llama 2 fait office de modèle de seconde zone face aux références du secteur : utile pour certains usages, mais bien moins performant que GPT-4 d'OpenAI ou Gemini de Google dans la majorité des cas. Même sa domination parmi les modèles d'open source commence à être sérieusement contestée par la startup française Mistral.

Et avant cette prise de parole de Zuckerberg, Meta n'affichait pas de stratégie claire. Elle semblait d'ailleurs s'être lancée dans l'open source presque par hasard. Après avoir ouvert Llama 2 à une poignée de chercheurs en février 2023 -notamment pour éviter les dérives et une nouvelle atteinte à son image-, l'entreprise a dû composer avec une fuite massive d'informations sur son modèle. Autrement dit, elle a fait face à une sorte d'open source de fait, avant de finalement mettre son modèle en open source cinq mois plus tard, à la surprise générale. Mais l'entreprise a d'ores et déjà annoncé qu'elle garderait ce cap pour Llama 3. Cette position lui permet notamment d'afficher une forme de supériorité morale sur OpenAI et Google, que Zuckerberg n'hésite pas a décrire comme des entreprises dirigées avant tout par le profit aux dépens, par exemple, de la lutte contre les inégalités ou de la sécurité de la technologie. Un argument d'autant plus fort qu'initialement, OpenAI publiait ses travaux en open source.

Lire aussiIA générative : Meta et IBM lancent l'AI Alliance, une riposte économique et éthique à Microsoft et Google

Meta va relever le plancher des modèles d'intelligence artificielle

Par sa gratuité, Llama 2 a imposé un plancher de performance relativement haut, mais dépassable, aux développeurs de grands modèles d'IA (ou LLM, dans le jargon). Llama 3 pourrait grandement rehausser ce seuil, et mettre dans une position délicate certaines entreprises, qui auront du mal à justifier d'exiger un paiement pour leurs modèles. Car les ambitions de Mark Zuckerberg, étayées dans une interview donnée à The Verge, sont claires : « Avec Llama 3 et les suivants, notre ambition est de construire des modèles qui sont à l'état de l'art, et même à terme les modèles leaders de l'industrie ». Autrement dit, le plancher imposé par Llama pourrait dangereusement se rapprocher du plafond où se trouvent OpenAI et Google, et écraser les concurrents qui n'arriveraient pas à suivre la cadence.

La menace est bien réelle, d'autant plus que le dirigeant de Meta semble embarqué dans la course à la performance sur le long terme. Il n'hésite pas à prononcer le gros mot : AGI, ou artificial general intelligence. Un concept aux contours flous, qui désigne une IA capable, selon les définitions, de reproduire ou même de dépasser la capacité du cerveau humain. L'AGI est la ligne d'arrivée de la course aux modèles d'IA, qui pousse les spécialistes à créer des modèles toujours plus gros et toujours plus multifonctions.

Plus de dix milliards de dollars d'investissements

Pour appuyer ses ambitions, Zuckerberg détaille l'arsenal à sa disposition d'ici la fin de l'année : plus de 350.000 H100 de Nvidia, le processeur dernier cri incontournable pour entraîner les LLM. Facture estimée ? Dix milliards de dollars. Un stock colossal de processeurs, auquel il faut ajouter « l'équivalent en puissance de calcul » (c'est-à-dire en matériel plus ancien) de 300.000 H100 supplémentaires. « Nous avons mis en place des capacités de calcul pour faire [de l'IA générative] à une échelle qui pourrait être plus grande que n'importe quelle autre entreprise », se félicite l'emblématique dirigeant auprès de The Verge. Meta fait partie des rares entreprises au monde à pouvoir se permettre un tel investissement. Lors de son dernier exercice trimestriel, le groupe a réalisé 34 milliards de dollars de chiffre d'affaires pour 11,5 milliards de dollars de bénéfices.

Alors que plusieurs entreprises se plaignent de ne pas pouvoir décoller car elles sont « pauvres en GPU », les chiffres annoncés par Zuckerberg relèvent de la démonstration de force. Seul Microsoft a commandé autant de H100 que Meta (150.000) en 2023, et c'est déjà trois fois plus que n'importe qui d'autre. Vanter cette capacité de calcul colossale permet aussi d'envoyer un message aux spécialistes de l'intelligence artificielle : chez Meta, ils auront plus que la bande passante nécessaire pour accomplir leurs travaux. Un argument de poids dans un marché de l'emploi ultra-concurrentiel.

En bout de chaîne, de l'IA générative sur les réseaux sociaux de Meta

Pour accompagner cette accélération, l'entreprise a pris la décision de rapprocher dans son organisation les équipes de chercheurs du Fair (Facebook AI research) avec les équipes en charge du développement de produits d'IA générative. Son idée : mettre l'IA générative au service de ses plateformes (Facebook, Instagram, Threads, WhatsApp) pour les rendre encore plus incontournables. Si l'entreprise ne commercialise pas Llama, elle compte s'en servir pour lutter contre la montée de TikTok et Snapchat et conserver son siège de large numéro un des réseaux sociaux. Elle a déjà donné un aperçu de ce qu'elle comptait faire avec le déploiement d'assistants d'IA personnalisés à l'image de star américaines en août 2023. Elle compte dès cette année créer un moteur pour que chacun puisse créer son propre assistant, capable de le suivre sur les réseaux sociaux du groupe.

Pour autant, Mark Zuckerberg n'a pas encore abandonné sa vision du métavers. D'autant plus que l'arrivée d'un concurrent de poids, Apple et son Vision Pro, va attirer un nouveau public vers la technologie. L'entreprise connaît aussi un certain succès avec ses lunettes Ray-Ban équipées de fonctionnalités de réalité augmentée, comme reconnaître des objets ou traduire un texte directement à travers les verres. En résumé : Meta se définit encore comme une entreprise de métavers, numéro un des réseaux sociaux, et qui veut désormais aussi devenir numéro un de l'intelligence artificielle. Les déboires de 2022 paraissent désormais bien loin...

François Manens

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Commentaires 5
à écrit le 21/01/2024 à 10:32
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Llama est certes open-source mais pas open-weight, et c'est une différence majeure. Facebook ne révèle pas la "sauce secrète" de ses modèles, ce qui est la partie qui a le plus de valeur. Un modèle d'IA n'est pas comparable à un modèle classique. Les...

à écrit le 20/01/2024 à 19:35
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avant de jeter de milliards par la fenetre comme l'etat francais ou la secu bienveillante, ils pourraient juste se poser la question ' a quoi ca sert et ou je vais'............voila, c'est malin, je viens de demolir toutes mes possibilites d'embauche...

le 21/01/2024 à 10:35
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De quoi parlez-vous ?

à écrit le 20/01/2024 à 7:33
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Ce qui redore son image, après la catastrophe métaverse, c'est la création avec IBM de l'"AI Alliance", à savoir une multitudes d'acteurs scientifiques et sérieux dont on est sûr qu'ils ne vont pas se détourner de la quête d'une véritable IA pour nou...

le 21/01/2024 à 10:33
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Non ça personne n'en a entendu parler dans le milieu. Mais dans la communauté des développeurs le partage de Llama en open source a marqué les esprits.

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