Et si Octave Klaba, le président et fondateur d'OVHCloud, était en train, doucement mais sûrement, de façonner le géant français du numérique qu'on désespère d'attendre depuis vingt ans ? Après avoir fait d'OVHCloud, créé en 1999, le leader du cloud européen et la première licorne française cotée en Bourse, puis avoir mis la main sur Shadow -PC dématérialisé-, l'entrepreneur passe à la vitesse supérieure avec Synfonium. Son objectif : créer une plateforme française souveraine dotée de tous les outils numériques indispensables aux entreprises et aux citoyens. Avec les infrastructures cloud bien sûr, mais aussi tous les services logiciels et web comme le remote computing, le stockage à distance dans le cloud, les fonctions de moteur de recherche, de visioconférence et autres applications qui sont aujourd'hui largement la chasse gardée d'acteurs américains, notamment Google et Microsoft.
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L'Etat mise sur Octave Klaba
Pour associer les moyens aux ambitions, Octave Klaba s'associe avec le bras armé de l'Etat dans le financement de l'économie, la Caisse des dépôts (Banque des territoires). Synfonium est ainsi détenu à 75% par Octave et Miroslaw Klaba, les cofondateurs d'OVHCloud, et à 25% par la vénérable institution publique, qui compte parmi ses filiales et participations Bpifrance, Icade, Transdev, la Compagnie des Alpes ou encore le Groupe La Poste.
« Cela fait 10 ans que l'Etat tente, sans succès, de créer le Google français. On s'est plantés avec les projets de cloud souverain Cloudwatt et Numergy en 2012, qui ont été un gouffre d'argent public alors qu'OVHCloud existait déjà. On s'est plantés avec Qwant qui a cramé beaucoup d'argent pour pas grand-chose. On peut donc interpréter Synfonium comme l'Etat qui apprend enfin de ses erreurs : plutôt que de piloter par le haut des projets hors sol, on soutient le seul entrepreneur qui a réussi à créer un vrai champion souverain, OVHCloud, et on l'aide à structurer autour de lui les briques souveraines qui manquent », indique un bon connaisseur de l'écosystème de la tech française et proche du dossier.
Pour l'heure, Synfonium intègre uniquement Shadow, qui propose un PC dématérialisé dans le cloud : les utilisateurs se connectent à une application sur n'importe quel support (PC, tablette, smartphone, simple écran par l'intermédiaire d'un boîtier) pour bénéficier de la puissance d'un PC haut-de-gamme. Octave et Miroslaw Klaba en ont fait l'acquisition en 2021 via leurs fonds Jezby Ventures et Deep Code, afin de transformer Shadow en véritable plateforme collaborative, avec une brique dédiée au stockage, Shadow Drive, et une offre pour les entreprises.
À l'avenir, Synfonium prévoit d'ajouter d'autres services à sa plateforme. Des développements internes, des acquisitions supplémentaires et des partenariats « avec des entreprises qui partagent sa vision et ses valeurs », sont au programme, pour « tirer parti des mérites techniques des meilleures solutions logicielles européennes et de l'innovation offerte par les communautés de logiciels libres », indique l'entreprise.
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Synfonium en négociation exclusive pour racheter Qwant
La première acquisition sera -si tout va bien- Qwant. Synfonium est entré en négociations exclusives pour racheter 100% du moteur de recherche français dédié à la protection de la vie privée, dont la Caisse des dépôts est l'actionnaire majoritaire depuis sa création en 2011. « Nous pensons que l'Europe dispose d'un grand nombre de solutions logicielles innovantes qui bénéficieraient grandement d'une plateforme conçue pour leur distribution et leur interaction optimisée. Synfonium est destiné à servir d'hôte et d'accélérateur pour ces technologies, en commençant par celles de Shadow et de Qwant », déclare Octave Klaba.
Véritable boulet aux pieds de la Caisse des dépôts, Qwant s'est lancé avec la folle ambition de développer son propre index du web afin de créer une alternative souveraine à Google dans la recherche en ligne. Une prouesse technologique qui avait coûté des milliards de dollars et des années de développement à Google et Microsoft... Forcément, la startup star de la French Tech n'a jamais rempli cette promesse : 60% des requêtes sur Qwant sont encore à ce jour répondues par Bing, le moteur de recherche de l'américain Microsoft.
Face à l'évidence et d'énormes problèmes de gestion interne, la Caisse des dépôts a propulsé à la tête de l'entreprise un duo d'entrepreneurs pragmatiques, Raphaël Auphan et Corinne Lejbowicz, qui ont repositionné Qwant sur des ambitions plus raisonnables : protéger la vie privée des internautes avec une navigation privée et sécurisée, grâce à un moteur de recherche qui ne capture pas les données personnelles et des extensions de navigateur web qui empêchent le tracking.
Cette nouvelle ambition et la technologie d'indexation du web qui répond tout de même à 40% des requêtes de ses 6 millions d'utilisateurs dans le monde par mois, semblent justifier le rachat aux yeux d'Octave Klaba. Et ce malgré l'évidente épine dans le pied d'intégrer à une plateforme à vocation souveraine un service qui fonctionne encore majoritairement grâce à Microsoft. Mais Synfonium prévient : « Une analyse des récentes évolutions des conditions financières du partenariat de Qwant avec Microsoft est en cours ». Autrement dit, et de manière plus claire : « Qwant a sa technologie et il va falloir la rendre pleinement indépendante. A terme, sortir de l'accord avec Microsoft semble indispensable pour Qwant », nous décrypte une autre source.
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