Cloud : OVHCloud dépose plainte à Bruxelles contre Microsoft pour abus de position dominante

L’entreprise informatique française a déposé une plainte à Bruxelles contre Microsoft pour abus de position dominante. OVHCloud reproche à son rival américain diverses pratiques visant à handicaper le déploiement de ses logiciels maison sur les clouds rivaux. Ces révélations interviennent alors que le Digital Markets Act, qui vise notamment à limiter les pratiques concurrentielles des GAFAM, est en passe d’être validé à Bruxelles. Explications.

Microsoft profite-t-elle de la domination de son service cloud Azure pour favoriser ses propres produits et entraver la concurrence ? C'est du moins l'avis d'OVHCloud. Le champion français de l'informatique en nuage a déposé une plainte à Bruxelles, accusant Microsoft d'abus de position dominante.

Azure est numéro deux mondial sur le cloud, avec 21% de parts de marché, derrière Amazon Web Services (33%) et devant Google Cloud (10%). Les trois entreprises se partagent 70% du marché du cloud européen, tandis que Deutsche Telekom, le plus grand fournisseur cloud du Vieux Continent, doit se contenter de 2% du marché. OVHCloud se situe juste derrière, avec 1% des parts.

Une plainte déposée l'été dernier, mais tout juste rendue publique

« Nous confirmons que plusieurs sociétés, dont OVHCloud, prennent des dispositions pour mettre en place des conditions de concurrence équitables entre les fournisseurs de services de cloud computing opérant sur le marché unique numérique européen, en déposant une plainte contre Microsoft auprès de la DG Competition de la Commission européenne.

Selon les plaignants, en abusant de sa position dominante, Microsoft porte atteinte à la concurrence loyale et « limite le choix des consommateurs sur le marché des services de cloud computing », a répondu OVHCloud dans un communiqué officiel après avoir été interrogé par La Tribune. Si l'entreprise n'a pas nommé les autres sociétés qui ont déposé plainte à ses côtés auprès de Bruxelles, il s'agirait de deux grandes entreprises non françaises et européennes, selon une source proche du dossier.

La plainte a été déposée en juillet de l'année passée, mais la procédure à suivre implique de d'abord déposer plainte de façon anonyme, suite à quoi la direction générale de la concurrence (DG Comp) la prend en considération. Si elle la juge recevable, elle revient ensuite vers l'entreprise plaignante pour lui demander une version non anonymisée, qu'elle puisse transmettre à l'entreprise accusée de pratiques anticoncurrentielles. C'est ce qui s'est produit il y a quelques semaines, conduisant à la révélation du dossier par le Wall Street Journal mercredi. DG Comp va désormais étudier le dossier plus en détail avant de formellement lancer une enquête pour entrave à la concurrence si elle juge qu'il y a matière à le faire.

« Tout ce que nous pouvons communiquer à l'heure actuelle est que nous avons reçu la plainte et sommes en train de l'étudier en appliquant les procédures habituelles », a ainsi affirmé une porte-parole de la direction générale de la concurrence à La Tribune.

Microsoft accusée de limiter l'interopérabilité de ses logiciels pour favoriser Azure

Selon cette même source qui a tenu à garder l'anonymat, les griefs d'OVHCloud et de ses coplaignants se concentrent notamment sur la façon dont Microsoft distribue ses produits auprès de ses partenaires, laquelle tendrait, selon eux, à rendre plus difficile l'usage de solutions comme la suite Office 365 sur les clouds rivaux d'Azure. Microsoft facturerait notamment des tarifs supérieurs aux entreprises cloud souhaitant proposer ses logiciels sur des infrastructures rivales, et les contraindrait à lui transmettre des informations confidentielles sur leurs utilisateurs.

Le géant de l'informatique est également accusé de déployer des barrières techniques qui limitent l'interopérabilité et entravent par exemple le bon fonctionnement de la suite Office 365 sur les clouds rivaux. L'utilisateur final se retrouverait ainsi à payer plus cher pour une expérience dégradée.

Enfin, toujours selon cette source, les plaignants reprochent à Microsoft d'avoir unilatéralement mis à jour les conditions d'utilisation de son système Bring your own license en 2019, qui permettait aux utilisateurs de déployer des solutions Microsoft sur d'autres clouds. Un changement qui compliquerait considérablement la mise à jour de ces solutions déployées en dehors d'Azure.

Microsoft affirme bénéficier à l'écosystème cloud européen

La plainte est donc plus large que celle déposée par l'allemand NextCloud l'an passé, qui reproche pour sa part à Microsoft de favoriser son service de stockage de fichiers OneDrive sur Windows, et que celle de Slack, qui avait en 2020 déposé une plainte auprès de l'Union européenne accusant Microsoft de favoriser son logiciel Teams via la suite office.

« Le marché du cloud est en pleine croissance et les fournisseurs européens de services cloud ont construit des modèles commerciaux performants grâce aux logiciels et services de Microsoft. Les fournisseurs de cloud computing bénéficient de nombreuses options pour proposer leurs services à leurs clients en utilisant les logiciels de Microsoft, qu'ils soient directement achetés par le client ou via un partenaire.

Nous évaluons en permanence comment soutenir au mieux tous nos partenaires et nous mettons les logiciels Microsoft à la disposition de tous les clients, dans tous les environnements, y compris ceux des autres fournisseurs de services cloud », a déclaré un porte-parole de Microsoft, contacté par La Tribune suite aux révélations du Wall Street Journal.

Vers une modification du Digital Markets Act ?

Ces révélations interviennent alors que les négociations entre les États membres de l'Union européenne autour du Digital Markets Act (DMA) atteignent leur phase finale. Celui-ci vise à proposer un cadre harmonisé pour réguler les plateformes numériques, notamment les GAFAM, et éviter les pratiques anticoncurrentielles. Mais selon Francisco Mingorance, secrétaire exécutif de Cispe, l'association qui regroupe les leaders européens de l'infrastructure cloud (dont OVHCloud), la législation ne tient dans son état actuel pas compte des pratiques anticoncurrentielles qui sont précisément reprochées à Microsoft par OVHCloud.

« Les fournisseurs cloud européens sont nombreux à se plaindre de pratiques abusives de la part de Microsoft, bien mises en lumière dans l'étude du professeur Frédéric Jenny, parue à l'automne. Il a interviewé 25 grandes entreprises européennes cotées en bourse, qui ont témoigné sous confidentialité et identifié un certain nombre de pratiques anti-concurrentielles qu'elles ont subi de la part de Microsoft lors de leur migration vers le cloud :  autopréférence, ventes liées, offres groupées, manque d'interopérabilité...

Ces pratiques auraient dû être clairement citées comme illégales dans le DMA, mais ce n'est hélas pas le cas aujourd'hui », se désole Francisco Mingorance, qui espère que la plainte d'OVHCloud serve de piqûre de rappel et permette de modifier le texte dans sa dernière ligne droite.

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« La messe n'est pas encore dite, Cédric O ou la Commission européenne pourraient très bien intervenir et clarifier le texte pour interdire ces pratiques, ce serait un geste fort qui encouragerait les entreprises comme Microsoft à changer de comportement », affirme le secrétaire exécutif de Cispe, qui note que « sur un marché du cloud qui double chaque année, la part de marché des concurrents européens de Microsoft est divisée par deux tous les ans. À ce rythme-là, il n'y aura bientôt plus aucune infrastructure cloud européenne sur laquelle on puisse bâtir une autonomie stratégique. »

Pour Frédéric Jenny, l'auteur de l'étude citée par Francisco Mingorance, Il serait logique que le DMA traite de cette problématique, dans la mesure où elle se situe en plein dans la catégorie de problèmes auxquels il tente de remédier. « Dès lors que certains acteurs commercialisent des logiciels pour entreprises qui deviennent cruciaux pour leurs opérations, il existe un risque que ces mêmes entreprises soient à même de restreindre les possibilités de leurs clients de stocker leurs données sur des clouds concurrents de ceux de leurs fournisseurs de logiciels. Il s'agit d'un problème classique de fournisseur d'accès du type de ceux auxquels le DMA essaie de remédier. Il serait important que les problèmes potentiels de concurrence dans le cloud puissent être traités dans les mêmes conditions », affirme-t-il.

Microsoft à son tour sur le grill

Ces révélations interviennent à un moment crucial pour Microsoft, qui doit obtenir l'accord de Bruxelles pour son projet de rachat d'Activision Blizzard, un accord à 68,7 milliards de dollars qui constituerait la plus grosse acquisition jamais réalisée par l'entreprise. Brad Smith, président de Microsoft, devait échanger ce jeudi avec Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence, dans cette optique. Nul doute que la plainte d'OVHCloud aura également été mise sur la table. La décision ne repose toutefois pas uniquement entre les mains de Bruxelles, puisque les autorités américaines doivent également donner leur accord au rachat d'Activision Blizzard.

Après avoir été montré du doigt pour sa stratégie de licence agressive visant à promouvoir Windows dans les années 1990, qui lui avait valu des démêlés avec les autorités de la concurrence européennes et américaines, Microsoft a, au cours des dernières années, notamment sous l'impulsion de son actuel directeur général, Satya Nadella, adopté un visage plus ouvert, qui lui a jusqu'ici largement valu d'échapper aux procès d'abus de position dominante qui ont frappé Google, Amazon, Apple et Facebook des deux côtés de l'Atlantique. Un état de grâce désormais en passe d'être révolu ?

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Commentaires 5
à écrit le 18/03/2022 à 7:59
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Un drôle de capitalisme.

à écrit le 17/03/2022 à 19:24
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"...se partagent 70% du marché du cloud européen .." On a honte quand on lit cela , honte de nos politiques plus en train à se chercher des galinettes à détrousser ( Mitterand, Chirac ,Sarkosy , DSK ,Hollande ) que de donner un élan ,une vision d'...

à écrit le 17/03/2022 à 19:17
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OVH ferait mieux d'investir dans la sécurité de ses équipements plutôt que se victimiser face aux "géants" financiers américains... Aucun gouvernement saint d'esprit ne peut choisir OVH au regard de la négligeance sécuritaire de ses installation...

le 17/03/2022 à 20:25
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Et de son support client inexistant, loin, très loin des fournisseurs visés. Quelle erreur ma part de favoriser le "fait en France"

le 18/03/2022 à 10:56
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Sans doute mais c'est hors sujet. Si Microsoft utilisait vraiment des pratiques visant à handicaper le déploiement de ses logiciels maison sur les clouds rivaux ça serait grave pour le marché du cloud et pas seulement pour OVH qui est très marginal.

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