Qwant cesse de rêver de détrôner Google et affiche de nouvelles ambitions

Dirigée depuis 2021 par un tandem pragmatique composé de Raphaël Auphan et de Corinne Lejbowicz, la star déchue de la French Tech veut en finir avec les excès de la période Léandri. L'ambition arrogante - et au final trompeuse et peu crédible - de devenir une « alternative souveraine à Google » est rangée au placard. Qwant souhaite plutôt construire « pas à pas » un véritable « écosystème de navigation privée et sécurisée sur Internet ». En plus du célèbre moteur de recherche, la startup a lancé ces derniers mois QwantVIPrivacy, une fonctionnalité permettant de bloquer la plupart des publicités ciblées, traqueurs et cookies présents en ligne, ainsi qu'une extension sur Safari pour utiliser Qwant sur les appareils Apple.
Sylvain Rolland
Le nouveau tandem à la tête de Qwant : Raphaël Auphan (directeur général) et Corinne Lejbowicz (présidente).
Le nouveau tandem à la tête de Qwant : Raphaël Auphan (directeur général) et Corinne Lejbowicz (présidente). (Crédits : DR)

L'habit ne fait pas le moine, mais il est parfois révélateur. Il y a quelques années, quand Qwant était encore l'une des principales stars de la French Tech, la startup s'étalait, pour ses locaux parisiens, dans l'intégralité d'un immeuble ultra-moderne du très huppé 16è arrondissement. Le « moteur de recherche qui respecte votre vie privée » était alors à son top, du moins en apparences. Son charismatique patron et cofondateur, Eric Léandri, avait réussi l'exploit, depuis la création de l'entreprise en 2013 près de Nice, d'embarquer investisseurs, médias et politiques de tous bords dans le rêve d'un « Google français de la recherche en ligne », une « alternative souveraine et éthique » à la toute-puissance des Gafa. Comme si cela ne suffisait pas, Qwant voulait aussi développer des applications de réalité virtuelle pour les chirurgiens, et tant qu'on y est, tailler des croupières à Google et Apple dans le paiement avec Qwant Pay, entre autres services.

Avance rapide en 2022. « Bienvenue dans nos humbles locaux » lance dans un sourire Raphaël Auphan, le nouveau directeur général depuis le 5 juillet 2021, tout en préparant lui-même le café. A ses côtés se trouve Corinne Lejbowicz, la présidente de l'entreprise, nommée en même temps. Le tandem d'entrepreneurs (elle vient de Prestashop, lui de Cosmian) remplace depuis un an l'historique Jean-Claude Ghinozzi, qui avait lui-même succédé à Eric Léandri en 2020 avec la lourde mission d'éviter la banqueroute. Car malgré le faste, Qwant n'a jamais pesé lourd dans la recherche en ligne : sa part de marché n'atteint même pas 1%, là où Google dépasse les 91% en France. L'entreprise n'a jamais été rentable et a enchaîné les polémiques sur la réalité de l'avancement de sa technologie d'indexation du web, ainsi que les crises de management.

Désormais, plus de gadgets et de mobilier design : Qwant occupe discrètement un seul étage dans un immeuble de bureaux situé près des Grands Boulevards, au centre de Paris. Près de 40 personnes y travaillent, contre une trentaine à Nice, une dizaine à Rouen, et une vingtaine éparpillés partout en télétravail. La rupture de style avec l'ère Léandri est profonde. Et assumée. « Qwant ne va pas faire tomber Google, tranche d'entrée de jeu Corinne Lejbowicz. C'est simplement un moteur de recherche alternatif de qualité, qui garantit le respect de la vie privée. C'est déjà beaucoup, il y a un vrai marché pour cela, et nous voulons le faire le mieux possible », ajoute-t-elle, soucieuse de « garder les pieds sur Terre ».

Toujours une forte dépendance à Bing, l'index de Microsoft

Sans renier le passé, les deux dirigeants veulent incarner de nouvelles valeurs pour l'entreprise. A commencer par l'humilité et la transparence sur les chiffres. L'ancien Qwant brillait par son opacité : l'entreprise entretenait le flou sur son utilisation réelle, minimisait son recours à Bing - le moteur de recherche de Microsoft - et était divisée en une dizaine de structures juridiques, ce qui permettait, d'après la nouvelle direction, de dissimuler l'ampleur des pertes. Au contraire, le Qwant nouveau assume son statut de « petite ETI du numérique », d'après les mots de Raphaël Auphan.

En 2021, Qwant enregistrait un chiffre d'affaires de 11,9 millions d'euros et une perte nette de 9,1 millions d'euros. « Les revenus progressent et les pertes se réduisent. La trajectoire est satisfaisante, il nous faut juste accélérer », indique le directeur général. Effectivement, le chiffre d'affaires a doublé en deux ans : il se situait à 5,8 millions d'euros en 2019 (puis 7 millions d'euros en 2020). De leur côté, les pertes ont été réduites de 60% par rapport aux 23,5 millions d'euros de 2019 (12 millions d'euros en 2020).

L'utilisation, elle, stagne : depuis 2021 et encore aujourd'hui, l'entreprise revendique 6 millions d'utilisateurs par mois dans le monde, qui réalisent environ 200 millions de recherches. En janvier 2020, Eric Léandri annonçait dans une interview au site Les Numériques 5 millions d'utilisateurs pour le mois de septembre 2019, et une utilisation « qui ne fait qu'augmenter ». Mais impossible d'accorder du crédit aux chiffres de Léandri : en mai 2018, celui-ci revendiquait 70 millions de visiteurs uniques par mois !

Quoi qu'il en soit, Qwant peine à passer un cap de croissance. La faute, en partie, à des résultats de recherche moins pertinents que ceux de Google, même si l'entreprise travaille d'arrache-pied pour les améliorer et revendique un taux de satisfaction de 90%. Autre problème : son positionnement historique sur la souveraineté et anti-Google. Mais Qwant dépend énormément de Bing, l'index de la firme Microsoft, car son propre index n'est pas encore taillé pour afficher des résultats pertinents pour toutes les requêtes. Le fait qu'il ait caché cette dépendance à ses débuts, puis l'ait minimisée ensuite pour des raisons évidentes de cohérence, ne joue pas en sa faveur.

Cette dépendance est toujours une réalité : Bing répond encore à 60% des requêtes formulées sur Qwant. Surtout, Bing Ads, la régie publicitaire de Microsoft pour la recherche en ligne, est à l'origine de plus de 90% des revenus de l'entreprise, via la publicité contextuelle. Celle-ci s'affiche sur l'écran en fonction de la recherche présente et non pas en fonction du profil de l'internaute, renseigné grâce aux cookies et autres traceurs qui pullulent en ligne. « Nous avons toujours l'ambition de nous appuyer à 100% sur notre propre index et d'en améliorer les résultats en permanence, mais nous ne pouvons pas aujourd'hui nous passer de Bing car c'est un travail très long et coûteux », admet Raphaël Auphan.

La marque Qwant a failli disparaître

Autre problème d'image : l'ombre gênante du chinois Huawei, soumis à la prédation des autorités de son pays sur les données, plane au-dessus de Qwant. En 2021, l'entreprise alors en crise de liquidités, a accepté une aide de 8 millions d'euros de la part du géant chinois du numérique, sous la forme d'obligations convertibles. « C'est simplement un prêt, Huawei n'est pas entré au capital de Qwant », balaie le directeur général. En difficultés financières, l'entreprise avait déjà dû être recapitalisée début 2020 par son investisseur historique, la Caisse des dépôts, et le groupe allemand Axel Springer, au moment de la mise à l'écart définitive d'Eric Léandri.

Ces déboires sont un tel fardeau à porter que le tandem dirigeant s'est « posé la question » de remplacer la marque Qwant par un nouveau nom. L'avantage : rompre avec le soufre des dérives du passé. L'inconvénient : repartir de zéro, alors que la marque est connue. D'après une étude commandée par l'entreprise et réalisée à l'automne 2022, 50% des Franciliens connaissent Qwant. « Qwant reste une marque forte et appréciée, car nos utilisateurs aiment le produit. Notre défi, c'est de grossir, mais Qwant n'a jamais été aussi pertinent à l'heure où la société prend conscience de l'importance des données personnelles. On peut construire sur ces acquis si on est clairs sur qui on est », estime Raphaël Auphan.

Par conséquent, la principale rupture de la nouvelle équipe par rapport à Eric Léandri puis Jean-Claude Ghinozzi, est sa volonté d'arrêter de positionner Qwant comme un outil souverain. Le précédent CEO déclarait en janvier 2020 : « Il est toujours question d'être cette alternative souveraine à Google ». Changement d'ambiance aujourd'hui : « Les discours sur la souveraineté et remplacer Google, c'est terminé ! », assure Corinne Lejbowicz, qui milite pour « la simplicité et la clarté ».

« Notre positionnement, c'est le respect de la vie privée, point final. Notre promesse, c'est l'autonomie quand on navigue sur Internet. Ce n'est pas incompatible avec l'utilisation de Bing, puisque ni nous, ni Microsoft, n'avons accès aux données de recherche, y compris pour la pub. Une partie de notre travail en 2022, c'est de remettre à plat la marque, être très clair sur ce qu'on fait et ce qu'on ne fait pas, rendre Qwant plus dynamique et sympathique à travers des messages comme "on ne sait pas qui vous êtes et on s'en fiche" », détaille la dirigeante, en référence à une campagne de communication dans le métro parisien ces derniers mois.

Bâtir un « écosystème de la privacy »

Il a donc fallu faire un grand ménage. Qwant Pay (système de paiement), Qwant Med & Surgery (services dans la santé dont réalité augmentée pour les chirurgiens), Qwant Mail (messagerie électronique), les moteurs de recherche thématiques Qwant Music, Qwant Sports et Qwant Games, le programme Qwant Sécurité Civile (système d'information développé avec l'Etat)... ont tous été supprimés. « Il y avait eu beaucoup d'éparpillement », évacue pudiquement la présidente de l'entreprise. Seuls le moteur de recherche pour enfants Qwant Junior - sans pub et qui protège des contenus violents et sexuels - et Qwant Maps (alternative à Google Maps) ont été conservés.

Mais Qwant n'a pas renoncé à l'ambition de faire de son moteur de recherche la pierre angulaire d'un écosystème autour de la privacy. Bien au contraire. « Nous voulons construire un écosystème de services en ligne qui respectent la vie privée. Car une fois qu'on effectue la recherche sur Qwant, on va sur un site qui utilise des cookies, donc le parcours est incomplet », explique Raphaël Auphan.

Ainsi, Qwant a lancé en juin dernier QwantVIPricacy, une extension qui s'ajoute à n'importe quel navigateur web, et qui permet de bloquer les cookies et autres traqueurs publicitaires sur les sites web, pour une navigation vraiment sécurisée. En novembre, le dispositif a été étendu pour la première fois sur Safari, le navigateur d'Apple (22% du marché français). L'idée : habituer les internautes à refuser le tracking, dans l'espoir de les convaincre ensuite de basculer ensuite carrément sur Qwant pour leurs recherches en ligne. D'autant plus que le moteur de recherche peut désormais être choisi par défaut sur iPhone, iPad et Android.

Quelles seront les prochaines étapes ? « Nous sommes à la conquête de parts de marché et de revenus, chaque chose doit venir en son temps », affirment les deux dirigeants. Mais cet écosystème autour de la vie privée pourrait s'étendre à d'autres fonctionnalités comme un VPN - réseau privé virtuel qui empêche de relier un appareil à sa véritable adresse IP donc de le localiser -, entre autres. Neuf ans après son lancement, Qwant espère bien, malgré ses difficultés, n'être qu'au début de sa nouvelle vie.

Sylvain Rolland

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Commentaires 5
à écrit le 17/11/2022 à 18:38
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Je suis triste de la puissante Europe qui fait la guerre à poutine n'est pas foutu de faire un cloud ou un moteur de recherche ! Pour nous pomper du fric il n'y a pas de soucis, une armée de hauts fonctionnaires s'en charge. Ils ont voulu faire un t...

à écrit le 17/11/2022 à 15:45
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Les grands concurrents de Google sont les réseaux sociaux Chinois et Américains. De plus de gens font leurs recherches avec TikTok, Facebook...

à écrit le 17/11/2022 à 15:24
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Un pur produit de l'arrogance française qui in fine s'est vautré lamentablement. Je l'ai testé sur conseil d'un ami parano face à Google et j'ai vite abandonné ,on ne trouve rien avec ce moteur de recherche.

le 25/11/2022 à 23:16
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Graves accusations et révélations ; - donc une tromperie, il n'y a jamais eut de vrai moteur Qwant???? Et donc il n'y en aura jamais.. - encore plus grave, aucun moteur, mais Corinne Lejbowicz accuse Qwant d'avoir dissimulés pertes? Mais c'est du...

à écrit le 17/11/2022 à 14:03
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J'utilise Qwant par défaut, et si je ne trouve pas, teste Goog*, des fois que... Ça demanderait des moyens (techniques, financiers, etc) gigantesques d'égaler le moteur de recherche que les gens utilisent par défaut (ça ne va pas entrer dans le dicti...

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