Pour traquer la fraude, le fisc se lance dans la surveillance de masse des réseaux sociaux

La loi de finances 2020 autorise l’administration fiscale et les douanes à exploiter de manière automatisée les données personnelles librement accessibles sur certaines plateformes. Une décision lourde de conséquences pour nos libertés en ligne.
Anaïs Cherif
(Crédits : Dado Ruvic)

Afficher sur Facebook et Instagram vos dernières vacances sur l'île de Bora-Bora, en Polynésie française, n'est plus une bonne idée si vous êtes en indélicatesse avec le fisc... L'article 154 de la loi de finances 2020 permet désormais à l'administration fiscale et aux douanes de collecter et traiter massivement les données personnelles rendues publiques sur les réseaux sociaux, mais également sur toutes les autres plateformes de mises en relation comme Airbnb ou encore Leboncoin. Autrement dit, si des contenus sont publiés de manière privée sur un compte Facebook, ceux-ci ne pourront pas être analysés. Cette disposition, adoptée « à titre expérimental », est valable pour une durée de trois ans. Ce nouveau procédé vise à lutter contre de nombreux délits, comme la vente illicite de tabac et d'alcool.

« Dans un contexte d'usage de plus en plus massif des outils numériques, il est aisé de réaliser, de manière occulte ou sans respecter ses obligations fiscales ou douanières, une activité économique sur Internet », justifie le projet de loi de finances 2020. « L'administration est aujourd'hui largement démunie pour identifier ces fraudeurs, l'exploitation de ces informations ne pouvant être réalisée manuellement qu'à un coût humain disproportionné. »

L'objectif affiché par le gouvernement est donc de « mieux cibler les contrôles fiscaux et douaniers » grâce à des algorithmes, se félicitait sur Twitter fin décembre Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics.

Cette nouvelle méthode, décrite comme disproportionnée par ses opposants, soulève de nombreuses craintes. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) s'est ainsi déclarée « réservée quant à l'efficience ainsi qu'à la faisabilité technique d'un tel dispositif » et appelle les pouvoirs publics à faire preuve « d'une grande prudence », dans une délibération publiée en septembre. Qualifié « d'inédit », ce « dispositif traduit une forme de renversement des méthodes de travail des administrations visées ». Il repose en effet « sur une collecte générale préalable de données relatives à l'ensemble des personnes rendant accessibles des contenus sur des plateformes en ligne visées, en vue de cibler des actions ultérieures de contrôle lorsque le traitement des données aura fait apparaître un doute », détaille la Cnil. Pour résumer : chaque internaute est désormais un fraudeur potentiel.

La création d'une "présomption de culpabilité"

Jusqu'ici, les pouvoirs publics étaient dans « une logique de traitement ciblé de telles données lorsqu'un doute ou des suspicions de commission d'une infraction préexistent », poursuit le gendarme de la protection des données.

« Cet article crée une présomption de culpabilité pour tous les internautes. Et pour le fisc, cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Les pouvoirs publics vont récolter toutes les informations disponibles avant même de déterminer si elles sont intéressantes pour lutter contre la fraude », s'inquiète Bastien Le Querrec, juriste et membre de la Quadrature du Net, association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet.

Et de poursuivre : « Sans compter qu'un rôle prépondérant sera accordé à l'appréciation de l'algorithme pour déclencher un contrôle fiscal, au détriment de l'expertise humaine. Or ce sont des algorithmes auto-apprenants, qui ne permettent pas d'expliquer le résultat obtenu », insiste le juriste. Les données pourront être conservées un an maximum si elles font peser des doutes concernant une infraction, et pendant l'intégralité de la procédure dans le cadre d'une poursuite pénale, fiscale ou douanière.

Le fisc et les douanes pourront même collecter les données sensibles, comme celles se rapportant à la religion, aux opinions politiques, aux informations biométriques ou encore à l'orientation sexuelle. Le Conseil constitutionnel a cependant exclu ce dernier type de données de toute forme d'exploitation, dans un avis rendu le 27 décembre. Les données sensibles seront donc détruites au plus tard cinq jours ouvrés après leur collecte, selon la loi. « En permettant tout de même la collecte des données sensibles, sans leur exploitation, le Conseil constitutionnel valide le principe de surveillance de masse, regrette Bastien Le Querrec. Le gouvernement a ouvert la boîte de Pandore : cela ne peut qu'inciter les autres administrations à réclamer leur part de surveillance. »

Des contrôles automatisés existent depuis 2014

L'ampleur du dispositif fait également craindre une « atteinte particulièrement importante au droit du respect de la vie privée », soulignait la Cnil dans sa délibération. Sans oublier une entrave potentielle à la liberté d'expression. Selon le gendarme de la protection des données, cette collecte massive est « susceptible de modifier de manière significative le comportement des internautes qui pourraient alors ne plus être en mesure de s'exprimer librement sur les réseaux et plateformes visés ». C'est le fameux « chilling effect » (effet paralysant).

« Lorsqu'un internaute se sait observé, une forme d'autocensure instinctive se met en place », détaille Bastien Le Querrec.

Comme le soulignait la Cnil en septembre, ce dispositif « témoigne d'un changement d'échelle dans l'utilisation de données personnelles » par l'administration.

Si l'ampleur du dispositif est inédite, le principe de recourir à une automatisation des contrôles n'est pas nouveau. Pour détecter les fraudeurs, la Direction générale des finances est autorisée depuis 2014 à utiliser des algorithmes pour éplucher plus d'une vingtaine de bases de données de l'État, comme le fichier des comptes bancaires, ceux de la taxe d'habitation, de l'impôt sur le revenu ou encore les données patrimoniales.

Anaïs Cherif

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Commentaires 22
à écrit le 01/09/2021 à 14:08
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Pas terrible, j'ai un logiciel de contrôle de comptabilité plus puissant que celui de l'administration

à écrit le 14/01/2020 à 20:06
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Est ce que cette démarche «  controversée « ( espace privée de communication publique ) ne va t il pas faire baisser le chiffre d’affaire des réseaux sociaux ?

à écrit le 14/01/2020 à 13:26
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C'est vrai qu'au lieu de vouloir gagner plus, le gouvernement ferait mieux de chercher à dépenser moins, quand à ces ressources dissimulées malgré tout elles contribuent à la richesse de la France, et si vous découragez ces gens, c'est de la création...

à écrit le 12/01/2020 à 9:22
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Big brother est en marche depuis longtemps.

à écrit le 11/01/2020 à 23:21
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Les algorithmes c'est magique, c'est mieux que l'analyse humaine, et de plus ça coute moins cher en personnel . La CNIL qui n'est pas un club de gauchistes révolutionnaires, s'est inquiétée de cet article 57 (pas 154) du projet de loi de Finances 20...

à écrit le 11/01/2020 à 15:22
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S ils veulent trouver des milliards, qu ils enforcent les 35 heures par semaine aux millions de fonctios. La cour des comptes année après année dénonce des fonctios travaillant moins de 20 heures par semaine et l explosion des arrêts maladie...

à écrit le 11/01/2020 à 9:54
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Les "autorités" s'attaquent aux conséquences, quel qu"elles soient, au lieu d'en maîtriser les causes, preuve de son inutilité dans la représentation nationale ou sa seule fonction est le prélèvement de richesse sans retour!

à écrit le 11/01/2020 à 0:19
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toujours gaver les ponctionnaires qui ne servent à rien. Cela finira par une guerre civile !!! cependant je sais parfaitement que monpost disparaitra car il ne faut rien dire sur ceux qui assassinent quotidiennement les agriculteurs, les artisans o...

à écrit le 10/01/2020 à 18:53
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Du boulot pour Snowden, que Macron ne veut pas en France.

le 10/01/2020 à 21:57
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Sans parler d'Assange...

à écrit le 10/01/2020 à 18:19
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Les Allemands, qui savent hélas de quoi ils parlent sur le sujet, à l'Ouest comme à l'Est, ont un dicton très populaire : "La liberté s'enfonce centimètre par centimètre" (Die Freiheit stirbt zentimerweise). C'est la même expérience douloureuse qui ...

à écrit le 10/01/2020 à 16:48
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Je n'espère pas une diminution du nombre de personnes que l'actuel gouvernement (et ses successeurs) emploie dans ses services fiscaux: il transfèrera ces fonctionnaires vers la chasse aux fraudeurs (en existe-t-il encore?) mais malheureusement pas v...

à écrit le 10/01/2020 à 15:00
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"Lorsqu'un internaute se sait observé, une forme d'autocensure instinctive se met en place », détaille Bastien Le Querrec". Mutatis mutandis pour les journalistes, la presse et tous les services d'information qui se créent au moyens des réseaux dits ...

à écrit le 10/01/2020 à 12:59
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Atteinte très grave pour la majorité des Français. Mais les truands y échapperont

à écrit le 10/01/2020 à 10:36
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On doit avoir trop de fonctionnaires pour les utiliser à regarder internet toute la journée.

à écrit le 10/01/2020 à 10:02
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Ce matin mon quotidien m'informe qu'un autoentrepreneur au RSA c'est fait pincer au volant d'une Porsche, le gazier à peut être un peu déconné. Cependant OXFAM nous rassure sur la bonne santé des paradis fiscaux y compris en zone UE et certaines de n...

le 10/01/2020 à 15:31
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S' il s'agit du quotidien le telegramme ,il s'agit de plusieurs personnes : Démasqués à cause de leurs voitures haut de gamme, cinq couples ont écopé de 2 à 14 mois de prison avec sursis, en plus de la saisie d’espèces, pour travail dissimulé et fra...

à écrit le 10/01/2020 à 9:52
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vous croyez franchement que les gauchistes vont coller un controle fiscal a leurs proteges de banlieue qui touchent les acquis sociaux en vendant impunement de la dope ' pour arrondir les fins de mois' ( euh, oui, un petit dealer a ne pas stigmatise...

à écrit le 10/01/2020 à 8:42
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Bref au lieu d'aller chercher les 100 milliards d'évasion fiscale des mégas riches on met en place une surveillance de masse pour récupérer quelques millions. Bientôt un système de notation pour savoir si on est des "bons" citoyens. L'UE, hér...

le 10/01/2020 à 10:26
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Vous n'êtes pas dans l'exagération ? comparer l'UE au 3me reich. C'est n'importe quoi

le 10/01/2020 à 12:06
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@ multipseudos: "comparer l'UE au 3me reich. C'est n'importe quoi " Cela serait n'importe quoi si les alliés après avoir écrasé l’Allemagne nazi n'avait pas laissé en place l'oligarchie qui a installé Hitler avant guerre. Vous le savez trè...

à écrit le 10/01/2020 à 8:36
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Dans le même genre il parait que les numéros de plaques des voitures sont conservées beaucoup plus longtemps que prévu pour les radars tronçon, ceux qui calculent la vitesse moyenne sur une distance et non à un point de mesure, vu qu'il faut enregist...

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