Streaming : pourquoi Canal+ et Warner Bros Discovery (HBO) auraient intérêt à racheter OCS

Alors que l'accord liant OCS à HBO expire fin 2022, assombrissant l'avenir de la plateforme française dans le paysage ultra-concurrentiel du streaming vidéo sur abonnement (SVoD), OCS négocierait en ce moment avec Canal+ et Warner Bros Discovery, le groupe américain qui détient HBO. Pour des raisons différentes, les deux géants auraient grand intérêt à avaler le challenger français aux 3 millions d'abonnés par mois. Explications.
Sylvain Rolland
(Crédits : OCS)

Quel avenir pour la plateforme de streaming OCS quand elle perdra, fin 2022, l'immense catalogue de l'américain HBO (Game of thronesHouse of the dragonSuccessionBig little lies...) sur lequel elle a bâti son succès depuis son lancement en 2008 ? Détenu depuis avril dernier par le groupe Warner Bros Discovery, fusion de Warner Media et de Discovery, HBO se prépare à faire le bonheur de la future plateforme de streaming de son nouveau groupe, qui sera lancée en 2023 aux États-Unis et en 2024 en France. Hors de question, donc, de renouveler pour cinq années supplémentaires l'accord liant HBO à OCS, qui distribuait toutes ses séries cultes depuis près de 15 ans.

L'option du rachat par un grand studio désormais privilégiée par Orange

La perte inévitable du catalogue HBO est un coup de grâce pour OCS tant son attractivité dépend de son prestigieux partenaire. Détenu à 67% par Orange Studio et à 33% par Canal+, la plateforme de vidéo à la demande sur abonnement (SVoD) est donc condamnée à changer ou mourir. Fort de près de 3 millions d'abonnés par mois, OCS a d'abord envisagé de changer de modèle économique pour survivre sans HBO, comme l'expliquait Christian Bombrun, l'ancien directeur des produits et services d'Orange France et directeur d'Orange Content, en juin 2021. Mais cette option semble avoir pris du plomb dans l'aile ces derniers mois. La raison ? Le paysage concurrentiel est devenu féroce dans le streaming, avec l'arrivée prochaine en France non seulement de la future plateforme de Warner Bros Discovery, mais aussi de Paramount+ en décembre 2022, en plus de Netflix, Amazon Prime Video, Disney+Canal+ ou encore AppleTV+, qui montent tous en puissance dans l'Hexagone.

Désormais, c'est l'option de se faire racheter qui semble être la meilleure porte de sortie pour OCS. « Les évolutions du marché rendent les équilibres financiers plus complexes », indique-t-on chez Orange. D'autant plus qu'OCS n'a jamais été rentable et qu'Orange Studio connaît lui aussi des difficultés. En juillet, le site américain Variety dévoilait ainsi que le groupe Canal+ était en « négociations avancées » avec OCS dans la perspective d'un rachat. Et le 30 août, le site Le Film Français a révélé que Warner Bros Discovery, le groupe derrière HBO, est aussi intéressé.

Canal+, l'option qui créerait un vrai champion français du streaming

Même si Canal+ comme Orange se refusent à tout commentaire, il n'est pas étonnant que Canal+ s'intéresse à OCS. Le groupe français, propriété de Vivendi, dispose de moyens financiers suffisants et affiche de grandes ambitions dans le streaming. Dans l'Hexagone, il souhaite non seulement être le leader tricolore dans un océan d'offres américaines, mais aussi rivaliser en nombre d'abonnés avec Netflix, champion du marché français avec un peu plus de 10 millions d'abonnés à sa plateforme. L'ambition est claire : « Notre objectif est d'atteindre une taille mondiale critique pour construire un modèle efficace et durable face aux mouvements de consolidation mondiaux et au poids croissant des grandes plateformes », a déclaré Yannick Bolloré, président du Conseil de surveillance de Vivendi, lors de la présentation des résultats du premier semestre 2022, à la fin juillet.

Pour cela, Canal+ doit grossir et contribuer à la consolidation du marché. Déjà un acteur puissant de la télévision, le groupe revendique, au premier semestre 2022, 9,6 millions d'abonnés en France métropolitaine, contre 8,55 millions il y a un an, sur un portefeuille global de 23,9 millions dans le monde. Interrogée par La Tribune, la direction refuse de communiquer la répartition de ses abonnés : on ne sait donc pas combien paient seulement Canal+, ou seulement Canal+ Sports, Canal+ Séries, ou les bundle (les offres qui proposent plusieurs services comme Canal+ Ciné Séries). L'entreprise entretient également le flou sur la répartition entre les abonnés aux offres de télévision et les abonnés du streaming, ce qui fait qu'il est impossible de mesurer le poids actuel de Canal+ dans le streaming par rapport aux 10 millions d'abonnés Netflix ou aux 3 millions d'OCS.

En rachetant son rival français, dont il est déjà actionnaire minoritaire à hauteur de 33,3%, Canal+ ferait une excellente opération pour consolider ses activités. D'après Variety, le groupe souhaite racheter les divisions film, télévision et TV payante d'OCS. Le deal pourrait même carrément inclure Orange Studio, la filiale d'Orange qui détient OCS à hauteur de 66,6% et qui produit, distribue et vend des films et séries à l'international.

Si le rachat d'OCS se concrétisait, Canal+ éliminerait ainsi un concurrent français direct dans la guerre du streaming. En récupérant une partie de ses abonnés, il pourrait revendiquer sans ambiguïté le statut de numéro un tricolore du secteur, loin devant Salto -la plateforme commune de TF1, M6 et France Télévisions-, qui peine à décoller avec 400.000 abonnés payants fin 2021.

En prime, il récupérerait de nombreux contenus pour gonfler son catalogue de séries et de films : OCS dispose non seulement de ses propres programmes originaux grâce à ses divisions OCS Signature et OCS Originals (des séries comme IrresponsableL'OpéraHP ou Les Grands), mais il détient aussi des milliers de programmes à la demande, dont des films en première exclusivité six mois après leur sortie en salle grâce à un partenariat avec UGC et Sony Pictures Television. De quoi permettre à Canal+ de devenir encore plus compétitif face à Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ et consorts.

Warner Bros Discovery, l'option qui faciliterait l'arrivée de HBO en France

L'autre option pour OCS serait donc, si on en croit la rumeur des discussions entre les deux groupes, de se faire avaler par l'américain Warner Bros Discovery. Là encore, rien de plus logique : le géant américain, propriétaire de la chaîne HBO, collabore avec OCS depuis 2008 pour diffuser dans l'Hexagone et de manière exclusive les nombreuses séries cultes de la chaîne câblée. La relation avec Orange Studio est donc ancienne et solide.

Avant la fusion entre Warner Media (qui détient HBO) et Discovery en avril 2022 pour devenir Warner Bros Discovery, le plan de Warner Media était de déployer sa plateforme de streaming HBO Max en France dès le début de l'année 2023, juste après la fin du partenariat avec OCS qui s'achève fin 2022. Mais la fusion des deux géants a changé la donne : plutôt que de déployer et de mettre en concurrence leurs services de streaming existants (HBO Max et Discovery+), la nouvelle entité souhaite les fusionner en une seule grande plateforme, là aussi pour mieux rivaliser avec Netflix et Disney+. Par conséquent, Warner Bros Discovery a stoppé le déploiement d'HBO Max (78 millions d'abonnés aux Etats-Unis) en Europe. Il prévoit à la place de lancer sa nouvelle méga-plateforme à la mi-2023 aux Etats-Unis et pas avant 2024 en France.

Dans ce contexte, acheter OCS permettrait à Warner Bros Discovery de faciliter son implantation en France : il pourrait se servir de la base d'abonnés d'OCS comme socle et rampe de lancement lors de l'arrivée de son propre service. OCS pourrait survivre jusqu'à ce moment-là, et la nouvelle plateforme intégrerait ensuite tous les contenus d'OCS, ce qui gonflerait rapidement son catalogue en langue française. Absorber l'expertise d'OCS dans la production de contenus pour la France serait également précieux pour Warner Bros Discovery : depuis 2021, le décret SMAD -pour Service de médias audiovisuels à la demande- oblige les plateformes de streaming à investir dans la production locale entre 20% et 25% de leur chiffre d'affaires brut en France.

Si ces deux scénarios sont les deux seuls qui ont fuité, une surprise n'est pas à exclure : OCS pourrait être un actif intéressant pour tout nouvel entrant dans l'Hexagone ou tout acteur souhaitant consolider ses positions. Quoiqu'il en soit, si rachat il y a, la procédure pourrait prendre encore de long mois, voire une année entière. Il faudra aussi que le projet soit accepté par les régulateurs et que l'intégration opérationnelle se mette en place.

Où seront diffusés les contenus HBO en 2023 ?

Etant donné que l'accord entre OCS et HBO s'achève fin 2022 mais que la nouvelle plateforme de streaming de Warner Bros Discovery incluant les contenus HBO ne sera pas lancée en France avant 2024, quid des séries HBO en 2023 pour le marché français ? Fin 2021, OCS indiquait que même s'il perd la quasi-totalité du catalogue HBO dès fin 2022, il conservera le droit en 2023, s'il émet toujours, de diffuser certaines nouvelles saisons de séries déjà lancées, à l'image de House of the dragon, la série dérivée de Game of thrones qui affole tous les compteurs d'audience depuis son lancement fin août aux Etats-Unis. Mais le catalogue historique -la centaine de séries terminées et les films HBO- ainsi que les nouveautés de 2023 partiront. Pour aller où ?

Plusieurs solutions s'ouvrent pour Warner Bros Discovery. La première et la plus simple serait de prolonger l'accord de diffusion avec OCS jusqu'au lancement de sa propre plateforme, c'est-à-dire au moins un an de plus. Cette solution serait idéale si OCS se faisait racheter par Warner Bros Discovery, car elle permettrait à tous les contenus HBO de migrer facilement d'un service à un autre, sans interruption. Ce scénario pourrait aussi fonctionner si OCS ne réussit pas à se marier avant la fin de l'année, car il permettrait au service de survivre au moins un an de plus.

En revanche, prolonger le contrat entre OCS et HBO paraît plus difficile si c'est Canal+ ou un autre acteur qui rachète OCS, car il ne sera peut-être pas dans l'intérêt du nouveau propriétaire de laisser OCS émettre jusqu'à 2024. Dans ce cas, il y a toujours la possibilité pour WBD de disséminer le catalogue HBO auprès d'autres diffuseurs jusqu'au lancement de sa propre plateforme. Ainsi, Netflix, Amazon Prime Vidéo, Canal+ ou Disney+ pourraient récupérer provisoirement des séries populaires du catalogue HBO.

Mais cette option pourrait pénaliser les nouvelles séries lancées en 2023. Car généralement, les contrats prévoient que la série restera sur la plateforme qui commence à la diffuser, pour l'intégralité de sa vie, soit potentiellement plusieurs années. Une telle décision pourrait être contre-productive pour Warner Bros Discovery, qui se priverait de séries récentes et populaires au moment de son propre lancement en France. Il pourrait ainsi renoncer à trouver une maison pour les nouvelles séries HBO de 2023 et pour les séries HBO Max jusqu'à l'arrivée du nouveau service.

Sylvain Rolland

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