Netflix, Disney+, HBO Max... : le streaming à la recherche de son modèle économique

C'est la revanche des acteurs historiques sur Netflix, issu du monde de la tech. Alors que Netflix voit des abonnés quitter le navire depuis deux trimestres sous l'effet de la concurrence et de l'inflation, l'ensemble du modèle économique du streaming vidéo, façonné par ce même Netflix, est désormais remis en question. La publicité, modèle historique de la télévision, et le mode de diffusion linéaire - un épisode par semaine - reviennent à la rescousse, et ceux qui ne veulent pas de pubs devront payer plus cher.
Sylvain Rolland
La soutenabilité du modèle Netflix est remise en question, au point que le cours de Bourse de l'entreprise a perdu plus de 60% de sa valeur depuis janvier.
La soutenabilité du modèle Netflix est remise en question, au point que le cours de Bourse de l'entreprise a perdu plus de 60% de sa valeur depuis janvier. (Crédits : Dado Ruvic)

Voilà une situation atypique : Netflix, qui a chamboulé la télévision en imposant un nouvel usage - le streaming sur abonnement - et un nouveau modèle de consommation des séries TV - le binge watching, la fin de la diffusion linéaire d'un épisode par semaine -, le tout dopé par l'hyper-personnalisation algorithmique, est désormais en souffrance après une décennie d'euphorie.

Même s'il prévoit de retrouver du poil de la bête dès le troisième trimestre, les conséquences de la crise de Netflix depuis le début de l'année affectent l'ensemble d'Hollywood. Après la frénésie liée au Covid et l'arrivée d'une pléthore de nouveaux services depuis 2019, le secteur du streaming entre désormais dans une nouvelle ère. L'explosion de la concurrence complexifie la donne et force une évolution du modèle économique du streaming.

La publicité, méprisée par Netflix à ses débuts, va faire son grand retour, y compris sur Netflix et Disney+, qui n'en proposaient pas. Une consolidation du secteur est en cours, avec la fusion de HBO Max et de Discovery+ en un seul service, l'intégration de Showtime OTT dans Paramount+..., ou encore l'avenir incertain de Hulu et de ESPN+, plateformes détenues par Disney mais qui existent parallèlement au service-star du groupe, Disney+.

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Netflix a perdu son avance et son modèle économique inquiète

Les cartes sont rebattues car Netflix a perdu l'avance considérable qu'il détenait jusqu'à peu sur l'ensemble de l'industrie. Fin décembre 2019, alors que Disney+ avait à peine un mois d'existence, le pionnier revendiquait 167 millions d'abonnés. Aujourd'hui, les deux services sont au coude-à-coude : 220,7 millions d'abonnés pour Netflix, 221,1 pour Disney, dont 152 millions pour Disney+ seul, le reste provenant de Hulu et de ESPN+. Netflix était le disrupteur d'une télévision devenue ringarde et de plus en plus désertée par les jeunes générations. Il est désormais devenu le leader mainstream dont la suprématie est attaquée de toutes parts.

Pire : le vent ne souffle plus du tout dans son sens. Alors que Disney+ affiche une croissance insolente (+35% sur un an), Netflix doit se battre pour conserver ses abonnés. Au deuxième trimestre 2022, il a ainsi encaissé une perte de 970.000 abonnés, un record dans son histoire. Cette fuite confirme et amplifie celle du premier trimestre, qui se chiffrait à 200.000.

La tension est forte car malgré sa croissance en berne, Netflix ne peut pas trop réduire  ses investissements dans les contenus, qui s'élèvent à 17 milliards de dollars en 2022. Et pour cause : il doit absolument créer l'événement avec ses productions originales pour compenser la baisse inexorable des contenus achetés aux studios, qui pesaient en 2018 pour 63% du volume d'heures visionnées par les abonnés. C'est la grande faiblesse du disrupteur dans une industrie centenaire : les studios d'Hollywood ont d'abord été ravis de céder à Netflix les perles de leurs catalogues pour toucher des revenus supplémentaires, mais maintenant qu'ils ont tous lancé leur propre plateforme, ils veulent les récupérer. Netflix perd ainsi chaque trimestre du "comfort TV" important pour retenir les abonnés : Friends, troisième programme le plus regardé sur Netflix jusqu'en 2018, a déménagé vers HBO Max aux Etats-Unis, tandis que le numéro 2 The Office fait maintenant le bonheur des abonnés de Peacock, le service de NBCUniversal. La liste est longue.

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Le catalogue, principal avantage des studios sur Netflix

La question se pose : à ce rythme, combien de temps Netflix peut-il rester numéro un mondial du secteur ? Les grands studios sont de véritables pieuvres disposant d'un catalogue avec lequel Netflix ne peut pas rivaliser en quantité. Le groupe Disney possède entre autres les studios Disney, Pixar, Marvel, Fox et ABC Studios, ainsi que ESPN pour le sport et National Geographic pour les documentaires. Les groupes Warner Bros Discovery, Paramount Pictures et NBCUniversal, propriétaires respectivement de HBO Max, Paramount+ et Peacock, peuvent s'appuyer sur un immense catalogue composé de milliers de titres, et sur un rythme élevé de production annuelle de films et de séries.

Ainsi, pour les inédits, Disney+, HBO Max, Paramount+ et Peacock ont moins besoin d'investir eux-mêmes que Netflix : ils récupèrent tous les contenus originaux diffusés par leurs filiales de la télévision traditionnelle. Les séries de la chaîne NBC nourrissent Peacock ; ABC, FOX et FX nourrissent Disney+ ; CBS, Showtime, Comedy Central et Nickelodeon nourrissent Paramount+ ; HBO nourrit HBO Max... Soit un vivier, pour chacun, d'environ une vingtaine de séries par an, là où Netflix ne peut compter que sur lui-même.

De son côté, le groupe Warner Bros. Discovery s'apprête à fusionner ses services HBO/HBOMax (74 millions d'abonnés fin 2021) avec Discovery+ (22 millions d'abonnés) pour créer d'ici à fin 2023 un champion qui devrait rapidement dépasser les 100 millions d'abonnés. Enfin, Paramount+ - qui va arriver en France en décembre prochain - revendique déjà 62,4 millions d'abonnés au deuxième trimestre 2022 et connaît une croissance fulgurante depuis l'an dernier. Seul Peacock peine à percer avec seulement 28,5 millions d'utilisateurs mensuels, dont 13 millions d'abonnés à son offre sans publicités. Mais il dispose des mêmes atouts que les autres studios et devrait progresser fortement dans les prochaines années.

Autrement dit, le rattrapage rapide des studios, en à peine trois ans, montre que le secteur du streaming entre dans une nouvelle ère, marquée par la contestation de la suprématie de Netflix. Alors que le nouvel usage est devenu la norme, c'est une nouvelle bataille qui s'ouvre : celle de l'attractivité. Netflix n'est désormais qu'un acteur parmi d'autres dans un paysage concurrentiel féroce.

Netflix paie l'échec de son modèle

La principale rupture imposée par Netflix a été de bouleverser le modèle économique de la télévision traditionnelle. Celui-ci se caractérisait par la diffusion des séries au rythme d'un épisode par semaine, avec des publicités entre et pendant les épisodes pour rentabiliser le programme. Grâce à la pub puis à la revente de la série en syndication au bout de quelques années - l'énorme marché de la rediffusion sur des chaînes locales -, le contenu engrange des revenus à chaque diffusion. Dans ce modèle, l'audimat est le juge de paix : plus le programme est populaire, plus la valeur de la publicité et des revenus liés à la syndication est importante.

Avec le streaming, Netflix a imposé la diffusion de toute la saison d'un seul coup, sans publicités, pour améliorer l'expérience de visionnage et permettre à chacun de regarder son programme à son rythme, sans contrainte. Il n'y a pas non plus de "seconde vie" avec les revenus tirés des rediffusions sur d'autres chaînes, puisque le contenu reste toute sa vie sur Netflix où il est accessible tout le temps. Pour rentabiliser les programmes, Netflix mise uniquement sur les abonnements, qui ont généré 29,5 milliards de dollars de revenus en 2021 (+19% sur un an) pour un résultat d'exploitation de 6,2 milliards de dollars (+35% sur un an). Ces performances ont gonflé son cours de Bourse, à 602 dollars l'action le 31 décembre 2021 (+20% sur un an). La confiance du marché dans la capacité de croissance et de monétisation des abonnés de Netflix lui a permis de s'endetter massivement pour financer son catalogue. Fin 2021, la plateforme s'était ainsi endettée à hauteur de 15,4 milliards de dollars d'après ses résultats financiers, sans que cela inquiète outre mesure les marchés.

Mais depuis que la croissance s'est enrayée au premier semestre 2022, la soutenabilité du modèle Netflix pose question, au point que le cours de Bourse de l'entreprise a perdu plus de 60% de sa valeur depuis janvier. Pour ne rien arranger, le contexte macroéconomique joue contre Netflix : la remontée des taux d'intérêts et les tensions internationales fragilisent sa capacité à croître, à investir, et à rembourser sa dette.

Publicité, diffusion linéaire et hausse des prix au programme

Voilà donc le géant de la vidéo à la demande forcé d'intégrer le modèle économique qu'il a toujours méprisé : la publicité. D'ici à la fin de l'année, la plateforme va lancer une offre avec publicités, en plus des trois abonnements Essentiel, Standard et Premium actuellement disponibles. Cette nouvelle offre sera moins chère que l'offre Essentiel à 8,99 euros, mais ne comportera qu'un seul écran, et il sera impossible de télécharger des contenus. Toutefois, les programmes originaux et pour enfants ne seront pas concernés par les annonces.

Dans le sillage de Netflix, la plupart des autres plateformes s'apprêtent aussi à lancer une offre similaire, y compris Disney+ lancé fin 2019 sans publicités. Tous adoptent en fait le modèle hybride choisi en 2020 par le dernier né dans l'arène du streaming, Peacock. Tous reviennent aussi progressivement à un mode de diffusion traditionnel, c'est-à-dire avec seulement un ou deux épisodes par semaine plutôt que toute la saison d'un coup. Y compris l'autre trublion venu de la tech, Amazon Prime Video, qui compte diffuser sa série événement de l'automne, Les Anneaux de Pouvoir (issue de la saga Le Seigneur des Anneaux) au rythme d'un épisode par semaine. Netflix résiste encore en proposant parfois des saisons complètes lâchées d'un seul coup, ou en deux ou trois fois, mais là encore, la révolution Netflix est bel et bien enterrée : alors que la concurrence fait rage, il ne fait plus sens d'encourager le binge watching alors que diffuser 10 épisodes en 10 semaines sécurise l'abonné pendant trois mois.

D'autant plus que la facilité pour souscrire ou résilier les offres - pour la plupart sans engagement et dont la gestion se fait en quelques clics -, encourage les utilisateurs à l'infidélité. Une étude du cabinet Antenna publiée en août indique que chaque mois, plusieurs millions de personnes résilient un ou plusieurs abonnements à des services de streaming. De plus en plus d'utilisateurs s'abonnent pour regarder une série, puis repartent pour regarder une autre série sur une plateforme concurrente. Ainsi, en juillet, le taux de désabonnement a atteint 5,46 % des abonnés, une tendance qui s'accentue depuis deux ans (4% en juillet 2020).

Cette volatilité est la conséquence à la fois de l'explosion de la concurrence, de l'offre de nouvelles séries disponibles, mais aussi de la tendance à l'augmentation générale des prix, dans un contexte de forte inflation qui rogne le pouvoir d'achat des ménages. A titre d'exemple, Disney+ est passé de 6,99 dollars/euros par mois à son lancement en novembre 2019, à 7,99 dollars actuellement (8,99 euros en France), et le prix grimpera à 10,99 dollars aux Etats-Unis d'ici à la fin de l'année. Pour rester à 7,99 dollars, il faudra supporter de la publicité... Netflix a augmenté ses prix l'an dernier, et Amazon Prime Vidéo, compris dans le forfait Amazon Prime, va passer dès le 15 septembre de 49 euros par an à 69,9 euros.

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