Trump banni des réseaux sociaux : un "précédent dangereux" ?

Le patron de Twitter, Jack Dorsey, estime que bannir Donald Trump du réseau social suite aux violences du Capitole la semaine dernière était "la bonne solution"... tout en admettant "l'échec" et le "précédent dangereux" que cela représente pour son entreprise et pour la démocratie en général. Cette décision, imitée par Facebook, Snapchat ou encore YouTube, relance le débat de la régulation des géants d'Internet et du statut des réseaux sociaux.
Anaïs Cherif
(Crédits : Lucas Jackson)

Droit dans ses bottes. Le Pdg de Twitter, Jack Dorsey, est revenu mercredi soir sur la décision de bannir indéfiniment Donald Trump de sa plateforme. Le président sortant est banni du site de micro-blogging depuis une semaine, suite à la publication répétée de messages où il remettait en doute l'intégrité du scrutin. Cela s'est traduit dans la journée de mercredi dernier par une irruption violente de ses partisans au Capitole (Washington), alors que se tenait la séance de validation des résultats de l'élection présidentielle.

"Je crois que [bloquer Donald Trump] était la bonne décision pour Twitter", a écrit Jack Dorsey dans une longue tirade publiée sur son réseau social. Et de justifier :

"Nous avons été confrontés à une circonstance extraordinaire et intenable, nous obligeant à concentrer toutes nos actions sur la sécurité publique. Les dommages causés hors ligne par les discours en ligne sont manifestement réels, et c'est ce qui motive avant tout notre politique."

Un aveu "d'échec" pour Twitter

Comme tous les autres géants d'Internet, Twitter est régulièrement critiqué de servir de plateforme de désinformation, notamment depuis l'élection présidentielle de 2016 et la médiatisation flamboyante des fameuses "fake news". Conséquence : le réseau social martelait depuis vouloir favoriser le débat et les "conversations saines". Mais la décision inédite de bloquer à vie le compte personnel de Donald Trump est un "échec de notre part à promouvoir une conversation saine", a admis Jack Dorsey.

"Avoir à prendre ces mesures fragmente le débat public. Cela nous divise. Cela limite la possibilité d'une clarification, d'une rédemption et d'un apprentissage, écrit-il sur Twitter. Et cela établit un précédent que je crains dangereux : le pouvoir dont un individu ou une entreprise dispose sur une partie du débat public mondial."

Twitter était le réseau social privilégié du milliardaire républicain pour s'adresser quotidiennement à ses 88 millions d'abonnés. La décision de bannissement a rapidement été imitée par Facebook, Snapchat et Twitch (propriété d'Amazon). YouTube, plateforme vidéo appartenant à Google, a également suspendu le président sortant depuis mardi, mais pour une semaine seulement. "Je ne crois pas que c'était coordonné, a estimé Jack Dorsey. Plus probablement, les sociétés sont arrivées à leurs propres conclusions ou ont été encouragées par les actions des autres."

Après les incidents de la semaine dernière, les géants américains redoutent l'utilisation de leurs réseaux sociaux et les risques de nouvelles violences mercredi prochain, jour où Joe Biden doit prêter serment et prendre ses fonctions officielles.

"Censure", "oligarchie numérique"... Le bannissement de Trump critiqué

Ces blocages sans précédent ont suscité une pluie de critiques du premier intéressé et de ses partisans, s'indignant d'une censure. Ces derniers se rabattent depuis sur des réseaux sociaux alternatifs prisés par la droite et l'extrême-droite, comme Gab et Parler. Mais ils ont aussi été critiqués par des associations et des dirigeants du monde entier, invoquant une atteinte à la liberté d'expression et s'inquiétant du pouvoir acquis par les plateformes. De quoi relancer l'épineux débat sur la régulation des géants américains.

La chancelière allemande Angela Merkel a jugé la mesure "problématique", quand le commissaire européen Thierry Breton s'est dit "perplexe". En France, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a déclaré lundi que "la régulation des géants du numérique ne peut pas se faire par l'oligarchie numérique elle-même", lors d'un passage à France Inter. De son côté, le secrétaire d'Etat au numérique Cédric O a affirmé samedi que "nous avons besoin d'inventer une nouvelle forme de supervision démocratique" alors que la mesure prise par Twitter "pose des questions fondamentales" sur "la régulation du débat public".

Les géants de la tech, dans le collimateur des autorités de régulation

Depuis plusieurs mois, Facebook, Twitter et Google, sont dans le collimateur des autorités de régulation américaines et européennes. Ces dernières s'accordent à dire que les géants de la tech, après avoir prospéré depuis plus d'une décennie, ont acquis une puissance folle : des performances financières toujours au beau fixe -en dépit de la crise mondiale du coronavirus-, qui leur permettent aisément d'acquérir de pépites prometteuses pour agrandir leur propre écosystème et séduire toujours plus d'utilisateurs dans le monde...

Sur le volet de la modération des contenus en ligne, deux griefs leur est reproché : s'ils suppriment des contenus de façon unilatérale, ils sont accusés de censure ; en laissant certains messages jugés haineux se propager sur la Toile, ils sont accusés de laxisme.

Les plateformes, jusqu'ici, se livraient à un véritable jeu d'équilibriste. Lors de la campagne présidentielle américaine en novembre, qui s'annonçait explosive, Twitter et Facebook avaient mis en place plusieurs procédés : publications de messages d'avertissement sous les contenus jugés suspects -dont ceux de Donald Trump, qui dénigrait l'intégrité du scrutin, faisaient parti-, limitation de la viralité de ces publications... C'est pourquoi cette décision historique de bloquer les comptes du président sortant marque un tournant.

"Oui, nous devons examiner avec un œil critique les incohérences de notre règlement (...) Oui, nous avons besoin de plus de transparence dans notre modération des contenus", a affirmé Jack Dorsey mercredi soir, dans l'intérêt d'un "Internet libre, ouvert et mondial".

Vers un nouveau statut pour les réseaux sociaux ?

Derrière le débat de la modération se trouve la question de leur statut, de plus en plus débattu. Depuis leur création, ces entreprises se sont posées en défenseurs de la liberté d'expression et donc, se revendiquent comme de simples interfaces techniques et non des éditeurs ou des médias. Le but : s'affranchir de toute responsabilité juridique quant aux milliards de messages qui transitent sur leurs plateformes.

Pour montrer pattes blanches, et redorer leur blason suite à l'élection présidentielle de 2016, les réseaux sociaux appellent régulièrement les autorités américaines et européennes à davantage de régulation - sans préciser publiquement les besoins. Leur argument principal : les grandes plateformes américaines ne peuvent pas, à elles seules, déterminer et imposer au reste du monde ce qu'il est possible de dire ou non sur Internet.

C'est pourquoi les élus américains, républicains comme démocrates, appellent à une réforme de la section 230 - un texte qui réglemente la responsabilité juridique des plateformes envers les messages qui sont publiés sur leurs réseaux. Adopté en 1996, à l'époque où les grands réseaux sociaux n'existait pas encore, ce texte est aujourd'hui considéré comme insuffisant pour réguler les géants américains face aux récentes dérives. Le texte les oblige à retirer les contenus jugés illégaux dans un "délai raisonnable". Joe Biden, qui n'a pas encore dévoilé ses plans pour réguler les géants de la tech, a simplement affirmé par le passé que cette loi devait être actualisée pour lutter contre les contenus haineux en ligne.

Anaïs Cherif

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Commentaires 3
à écrit le 14/01/2021 à 22:01
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Bon, ben apparemment, les esprits sont mûrs aussi un transfert de la dictature politique aux acteurs économiques privés ...

à écrit le 14/01/2021 à 18:09
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Les réseaux sociaux devaient être des espaces de liberté ou la convivialité, la tolérance seraient la règle. Résultat, ils sont le repaire de tout ce que la planète compte de complotistes, de menteurs, de malfaisants de tout poil. Inregulables, il ...

à écrit le 14/01/2021 à 16:23
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Surtout quand on sait le temps qu'a mit Twitter à se débarrasser de la lie d'extrême droite de l'humanité qui y déversait quotidiennement et abondamment toute sa pathologique haine de l'autre. Sachant qu'en plus c'est bel et bien ces abrutis immo...

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