Livre numérique  : la révolution annoncée a-t-elle eu lieu  ?

Il y a un peu plus de dix ans, les livres dématérialisés débarquaient en France. Si le marché du livre numérique est en nette progression (+9%), il reste encore loin derrière le livre imprimé qui représente 95% des ventes en volume comme en chiffre d'affaires, selon une étude GfK publiée jeudi. L'occasion de faire le point, alors que le Salon du livre ouvre ses portes ce vendredi à Paris.
Anaïs Cherif
L'entreprise parisienne Bookeen a vendu entre 120.000 à 130.000 liseuses dans le monde en 2017.
L'entreprise parisienne Bookeen a vendu entre 120.000 à 130.000 liseuses dans le monde en 2017. (Crédits : Bookeen)

Nous sommes en 2007. Amazon, le géant américain de l'e-commerce, s'apprête à lancer sa liseuse, baptisée Kindle. La promesse : obtenir n'importe quel livre en quelques minutes, à portée de clics. « Ce n'est pas un appareil, c'est un service », vantait alors Jeff Bezos, Pdg et fondateur d'Amazon. A l'instar du CD qui survit péniblement face au streaming, le livre était destiné à quitter notre bibliothèque pour devenir un fichier numérique. Pourtant, en France, seuls 20% des lecteurs de plus de 15 ans déclarent avoir déjà lu un livre numérique en 2018, contre 21% l'année dernière et 20% en 2016, selon une enquête OpinionWay*. Et ce n'est pas tout : 75% des Français n'envisagent pas d'en lire. A peine dix ans après sa création, le livre dématérialisé est-il déjà arrivé à saturation dans l'Hexagone ?

« Les lecteurs numériques représentent tout de même 10 millions en France, cela n'est pas rien ! défend Virginie Clayssen, présidente de la commission numérique du Syndicat national de l'édition (SNE). Certes, la croissance du marché n'est pas fulgurante. Ce n'est pas un tsunami. En revanche, elle reste régulière. »

Un constat partagé par Michael Dahan, président et fondateur de Bookeen. Cette startup de 25 employés a lancé sa première liseuse en 2007, avant de développer trois ans plus tard sa propre librairie en ligne, intitulée Bookeenstore. « Nos ventes de liseuses sont stables. L'année dernière, nous avons vendu entre 120.000 à 130.000 liseuses dans le monde - et la France représente 40% de notre marché », détaille Michael Dahan. Surtout, le chiffre d'affaires de sa librairie en ligne a bondi de 70% entre 2016 et 2017. L'entreprise parisienne table déjà sur une progression entre 40 à 50% pour cette année. « C'est un bon signe : les gens qui possèdent une liseuse continuent de l'utiliser et d'acheter de nouveaux livres numériques », souligne le fondateur de Bookeen.

Un attachement au papier toujours présent

En effet, les lecteurs du numérique seraient assidus. En 2018, 26% d'entre eux déclarent lire plus qu'avant et 20% disent acheter plus qu'avant - contre respectivement 21% et 16% seulement l'année dernière, selon l'enquête OpinionWay. Leur particularité : ils continuent de dévorer des livres imprimés, en y trouvant un usage complémentaire.

« Les lecteurs ont adopté le numérique comme un nouveau format, au même titre qu'un livre de poche, par exemple. Ce n'est pas un non-amour pour le livre numérique, c'est plutôt un grand attachement au livre imprimé », souligne Flore Piacentino, chargée de mission du numérique et de la bande dessinée Syndicat national de l'édition.

Ainsi, 343 millions de livres papier ont été achetés en 2017 (-1% par rapport à 2016) contre seulement 13,2 millions de livres numériques. Le livre imprimé a généré un chiffre d'affaires de 3,88 milliards d'euros contre 97,5 millions d'euros pour le livre dématérialisé, selon une étude de l'institut GfK publiée jeudi, à la veille de l'ouverture du Salon du livre à Paris. Si le marché du livre numérique est en nette progression (+9%), il reste encore loin derrière le livre imprimé qui représente 95% des ventes en volume comme en chiffre d'affaires, toujours selon l'étude GfK.

Vers un livre augmenté ?

Pour tenter d'élargir son public, certaines maisons d'édition s'aventurent sur un nouveau terrain : le livre enrichi, à mi-chemin entre livre papier et jeu vidéo. C'est le cas d'Albin Michel, qui a sorti en mai 2016 son premier livre augmenté, baptisé Chouette ! Destiné aux enfants de 4 à 7 ans, cet album peut se lire de manière autonome, comme un livre traditionnel. Mais il peut aussi se consulter à travers une application de réalité augmentée, permettant de faire apparaître des images et du son.

« Je suis assez confiante dans le développement de ces livres hybrides, assure Marion Jablonski, directrice département jeunesse chez Albin Michel. Ces projets répondent mieux aux préoccupations des familles, par rapport aux livres numériques. Ici, le livre peut se lire seul et la tablette n'est plus le support principal. »

Si ce projet a atteint l'équilibre, de tels développements sont coûteux. Pour une initiative similaire, intitulée "Les super-héros détestent les artichauts", deux ans de travail ont été nécessaire. Montant de la facture : « plusieurs dizaines de milliers d'euros », selon Marion Jablonski. « C'est un budget atypique pour un éditeur, avec des chances de rentabilité beaucoup moins certaines. Mais nous allons au-delà du métier traditionnel d'éditeur. » De quoi inventer, peut-être, un nouveau format prisé par les lecteurs.

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*Enquête réalisée entre le 7 et le 26 février 2018, auprès de 2.001 personnes (enquête par téléphone), représentatives de la population française, âgées de 15 ans et plus, et d'un second échantillon de 500 utilisateurs de livres numériques dont 203 auditeurs de livres audio (enquête en ligne), constitué sur la base des résultats du premier échantillon.

Anaïs Cherif

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Commentaires 18
à écrit le 19/03/2018 à 15:47
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Cela fait maintenant 6 ans que j'utilise une "liseuse". Je n'achète plus de livres de poche quand leur version numérique existe : gain de place, lecture agréable, facilité de notations, utilisation intégrée de dictionnaire, les avantages de la liseus...

à écrit le 19/03/2018 à 6:47
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De quelle facon lisez-vous cet journal?

à écrit le 18/03/2018 à 19:25
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Ce qui est certain c'est que tous les livres techniques, scientifiques et de management originaux en anglais sont beaucoup moins chers que les traductions françaises... et c'est d'autant plus vrai en version numérique. Et souvent, non seulement l...

à écrit le 18/03/2018 à 16:26
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Où l'on se rend compte pour le numérique, d'une Loi souvent vérifiée dans l'innovation, à savoir qu'il ne suffit pas de remplacer un existant par un nouveau pour que cela fonctionne, encore faut-il que l'innovation elle-même apporte un surcroit de qu...

à écrit le 17/03/2018 à 12:39
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j'aime le livre numérique et le snobisme (ou le manque d'esprit écologique) de ceux qui ne peuvent se passer du papier me fait rire. j'adore lire un livre d'une seule main, en tenant un objet de 100 grammes qui ne fatigue pas les yeux, sur lequel on...

à écrit le 17/03/2018 à 11:57
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Il faut dire que le livre garde un certain prestige , c'est difficile de se la jouer avec une liseuse numérique. Même si, il faut le reconnaitre, la liseuse numérique est une réussite technique, le confort de lecture est excellent.

à écrit le 17/03/2018 à 9:31
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On peut se demander si l'analyse doit simplement se limiter aux livres? Et si l'on mettait les journaux dans la balance. Alors cela change complètement l'analyse.

à écrit le 17/03/2018 à 8:06
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Pour les nouveaux ouvrages, l'écart de prix entre la version papier et la version numérique n'est pas très élevé: cela pourrait expliquer que les lecteurs préfèrent la version papier. En revanche, pour les "classiques" (Zola, Hugo, Voltaire, Flaubert...

le 18/03/2018 à 20:24
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Oui, pour les classiques c'est absolument génial, pratique et économique. Les librairies numériques aujourd'hui sont dotées de moyens extraordinaires comme chez moi... où on peut emprunter des tonnes de livres et magazines à peine sortis en librairi...

à écrit le 16/03/2018 à 22:29
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Les éditeurs qui fixent le prix freinent des quatre fers avec le prix unique du livre. Ce n'est pas la Fnac ou amazon qui peuvent fixer le prix. Donc Il arrive fréquemment que le livre électronique soit plus cher que le livre papier.

à écrit le 16/03/2018 à 21:24
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Tout un pan du marché du livre concerne des ouvrages clairement inadaptés aux liseuses : manuels scolaires et universitaires, BD, cuisine, guides pratiques... De plus les lecteurs occasionnels représentent une grosse partie des ventes. Et ne voien...

le 18/03/2018 à 0:03
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Le livre papier reste incontournable pour la plupart des usages quotidiens utilitaires. Ensuite, un vrai livre ça se prête, ça s'emprunte, ça s'offre, ça se dédicace, ça se perd et se retrouve, ça peut se laisser en héritage et ça restera lisible...

à écrit le 16/03/2018 à 19:27
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Tout d'abord la liseuse n'est pas adapté aux BD, ainsi qu'à tout livre qui contient des phots, des dessins ou des gravures. C'est vrai. Mais pour les romans, quel confort d'être passé à la liseuse numérique. Finis le pavé qui encombre la poche, le...

à écrit le 16/03/2018 à 17:23
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Il y a bien un marché pour le livre électronique mais il est beaucoup plus limité que ce qu'on a voulu nous faire croire. D'abord ça ne concerne que les gros lecteurs, mobiles, qui jettent leurs bouquins après les avoir lu. Donc en gros, les cadr...

à écrit le 16/03/2018 à 14:16
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Bien vu, faire un article après la propagande commerciale médiatique de masse envers les liseuses est particulièrement pertinent et intéressant. Ce recul de quelques années après le tumulte ne peut qu'apporter de la vérité. On nous en a fait tout...

à écrit le 16/03/2018 à 13:19
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10 millions sur 67 millions. Je ne choisis pas de lire un livre en format numérique, car ce n’est pas la «  même perception «  , ni le «  même plaisir » Mais c’est une bonne méthode pour ceux qui n’aiment pas trop lire. Lire c’est un plaisir avant ...

le 17/03/2018 à 9:40
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Je vous suis ......

à écrit le 16/03/2018 à 12:41
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Pourquoi ne pas lier un texte à un dictionnaire tapis dans l'ombre de la liseuse ? pour les jeunes qui ignorent un mot, ça leur donne la signification en pointant du doigt dessus. Je préfère le papier, je peux ensuite donner le bouquin à Emmaüs, sin...

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