
Il y avait de l'électricité dans l'air, ce mercredi, au siège de l'Arcom à Paris. Les dirigeants de TF1 et de M6 étaient auditionnés par le régulateur de l'audiovisuel, dans le cadre de la procédure de réattribution de leurs fréquences TNT. D'ordinaire, il s'agit d'une formalité. Mais pas cette fois. Xavier Niel a décidé de jouer les trublions. Le milliardaire, fondateur et propriétaire d'Iliad (Free), s'est invité dans cette procédure, avec l'ambition de lancer sa propre chaîne de télévision généraliste à l'échelle nationale. Pour ce faire, il lorgne, avec son projet « SIX », le précieux canal 6 de M6.
Xavier Niel était le premier à être auditionné par l'Arcom. Pendant une heure et demi, il a défendu son initiative, sans se priver de dénigrer son rival, et plus globalement le monde de la télévision. D'après lui, celui-ci est en plein « déclin » faute de concurrence et d'innovation. « Je crains que la télévision telle qu'on la connaît disparaisse, et soit remplacée par des réseaux sociaux et des plateformes américaines ou chinoises », a-t-il alerté. Si le secteur a d'après lui « capitulé », lui y « croît ». « Nous pensons pouvoir créer une chaîne pour faire autrement, et mieux, sur le canal 6 », a lâché celui qui, il y a dix ans, a bouleversé le monde des télécoms avec Free Mobile. Son idée : faire « un produit qui respecte les téléspectateurs, et ne pas favoriser l'actionnaire ». Comprendre : à l'opposé de la stratégie de M6, accusé de servir de trop gras dividendes à ses actionnaires plutôt que d'investir dans ses programmes.
Devant Roch-Olivier Maistre, le président de l'Arcom, Xavier Niel a affirmé avoir besoin d'une fréquence TNT pour créer « une marque » puissante, « mettre ses programmes en avant », puis les distribuer sur tous les réseaux sociaux. Son idée : « Piller l'audience des réseaux sociaux pour les ramener vers cette nouvelle chaîne française. » Xavier Niel ambitionne de « s'adapter au mode de vie » des Français. Il souhaite, par exemple, que ses programmes en « prime time » ne débutent « jamais après 21h », comme le font ses rivaux, dont il déplore les « tunnels publicitaires » en début de soirée.
Côté contenus, Xavier Niel veut mettre les bouchées doubles dans les créations originales, en particulier dans les fictions. « Nous avons de grandes ambitions, a-t-il claironné. Si on veut des séries de qualité, il faut y mettre les moyens. » Sa grille fera aussi de la place au cinéma, au documentaire, au divertissement, à l'animation ou encore à la musique. D'après lui, les chaînes actuelles ont d'ailleurs « délaissé » ce dernier secteur. « La télévision est devenue déconnectée des goûts musicaux des Français, a-t-il regretté. Booba remplit le Stade de France, mais on ne le voit jamais à la télé. »
« SIX » mise gros sur la création française
Pour tous ses contenus, Xavier Niel veut s'appuyer, en priorité, sur l'écosystème français des producteurs et des auteurs. Pas question d'abreuver ses téléspectateurs en séries américaines, dont les prix ont flambé ces dernières années. A en croire Maxime Lombardini, le vice-président d'Iliad, la contribution de « SIX » à la création sera « sensiblement au-dessus de ce qui se pratique aujourd'hui ». La chaîne souhaite consacrer 16% de son chiffre d'affaires aux œuvres, et 14% dans la création patrimoniale. Des minimums garantis ont été fixés à 70 millions d'euros pour la création patrimoniale, à 60 millions d'euros pour les programmes de flux, à 25 millions d'euros pour le cinéma, et à 19 millions d'euros pour la musique.
L'information aura, d'après Xavier Niel, une place centrale dans son modèle. Il compte embaucher quelque 200 journalistes. Ceux-ci réaliseront deux tranches d'information par jour. Xavier Niel, qui possède déjà de nombreux médias - dont le groupe Le Monde, Nice-Matin ou France-Antilles -, promet d'assurer l'indépendance de la rédaction face aux pressions extérieures.
« M6 pourrait exister en IPTV »
Xavier Niel souhaite que sa chaîne ait nativement des ramifications dans tout l'écosystème numérique. Pour améliorer les recettes publicitaires, il estime que la télévision peut mieux cibler les téléspectateurs, comme le font les géants du Net. Pas question, en clair, de se focaliser comme TF1 et M6 sur une cible quasi-unique, à savoir la « ménagère responsable des achats de moins de 50 ans ». Xavier Niel affirme avoir, en outre, la surface financière pour son projet, le temps d'arriver à l'équilibre. S'il l'emporte face à M6, cette dernière, juge-t-il, ne disparaîtra pas. Ses programmes, dit-il, pourront toujours être diffusés sur les autres fréquences TNT du groupe, comme le canal 9 de W9. « M6 pourrait aussi exister en IPTV », avance le milliardaire, qui se dit disposé, au besoin, à récupérer certains de ses programmes et collaborateurs.
Quelques heures après son audition, c'est Nicolas de Tavernost qui s'est livré au même exercice. Le patron du directoire du groupe M6 ne s'est pas fait prier pour rendre à Xavier Niel la monnaie de sa pièce. Le dirigeant a notamment raillé « ceux qui vous disent, la main sur le cœur, que le profit, ce n'est pas leur truc ». « Ce sont les mêmes qui, pour racheter notre groupe, n'hésitaient pas à l'endetter profondément, ce qui entravait tous ses investissements, et aurait probablement abouti à son démantèlement », a-t-il canardé. Un sacré tacle à l'égard de Xavier Niel, qui a tenté par deux fois de s'offrir M6 lorsque le groupe était à vendre. Aux yeux de Nicolas de Tavernost, la « santé économique » de M6 reste sa « meilleure garantie » dans « une période qui s'annonce compliquée » pour la télévision traditionnelle.
M6 loue sa « différence »
Nicolas de Tavernost a rappelé que M6 a toujours, depuis 1987, respecté les obligations de sa licence :
« Vous me direz, c'est normal, a-t-il lancé. Oui, mais c'est rare. J'en ai entendu des promesses en 36 ans... Elle est où la chaîne 23, chantre de la diversité, pourtant pourvue de parrains très riches ? Elle est où la 5, qui a fait le concours Lépine des promesses à la création, et qui a tenté, comme d'autres aujourd'hui, de s'emparer des programmes de ses concurrents ? Où est la 8 de l'ancien président de Canal+, qui promettait de mettre au tapis notre chaîne avec slogan 'la nouvelle grande chaîne'? »
En clair, rien ne dit, selon lui, que Xavier Niel respectera ses promesses, et n'ira pas lui-aussi au casse-pipe. Surtout, il juge que si M6 perdait sa fréquence, « les Français seraient fort mécontents d'être privés de leurs programmes sans avoir été consultés ». « Aujourd'hui, 25 millions de Français nous reçoivent par la TNT, dont 10 millions n'ont pas d'autre possibilité, a-t-il renchéri. Ce sont généralement les ruraux et les plus modestes. » Contrairement à ce qu'affirme son rival, Nicolas de Tavernost estime que M6 a toujours cultivé une position singulière dans le paysage audiovisuel français, louant sa « différence » et sa capacité à innover. Désormais, c'est à l'Arcom de trancher.
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