« La Grande Fabrique de l'image » : les premiers financements de studios de tournage validés... malgré de nombreuses interrogations

En plein dans la phase d’instruction des dossiers des 68 lauréats de l’appel à projets « France 2030-La Grande Fabrique de l’image », le CNC a déjà signé les premières conventions avec une quarantaine de studios de production numérique et de formations. Complexes en raison des montants très élevés des subventions sollicitées, les discussions avec les porteurs de projets de studios de tournage prennent plus de temps pour respecter les règles européennes. Huit dossiers, dont celui du pôle cinématographique Pics Studio à Montpellier, sont quasi bouclés.
Très prometteuses en termes d'emplois et de retombées économiques, les industries culturelles et créatives (ICC) sont l'un des axes de développement de nombreux territoires, de Paris à Montpellier en passant par Nice, Marseille, Reims ou Vendargues.
Très prometteuses en termes d'emplois et de retombées économiques, les industries culturelles et créatives (ICC) sont l'un des axes de développement de nombreux territoires, de Paris à Montpellier en passant par Nice, Marseille, Reims ou Vendargues. (Crédits : La Planète Rouge)

L'appel à projets national « La Grande Fabrique de l'image » tiendra-t-il toutes ses promesses pour ce qui concerne le volet studios de tournage ? Ce projet industriel permettra-t-il réellement d'atteindre en France, en 2030, une superficie globale de surface des plateaux de tournage de 158.190 m2 et 187.000 m2 de décors extérieurs permanents ?

Intégré au plan France 2030, cet ambitieux appel à projets lancé par l'État via la Caisse des dépôts et consignations avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) en tant qu'opérateur, vise à investir globalement 350 millions d'euros en subventions (et 1 à 2 milliards en fonds privés) dans une dizaine de grands studios à dimension internationale, dans la production numérique (animation, jeu vidéo, effets spéciaux...) et la formation aux métiers de la création audiovisuelle.

L'objectif est colossal : doubler la capacité nationale de production audiovisuelle et cinéma à 7,2 milliards en 2030 et hisser la France parmi les leaders européens des studios de tournage de films et de séries, juste derrière le Royaume-Uni.

Six mois après l'annonce, en mai au festival de Cannes, des 68 lauréats (dans douze régions) par la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, soit près d'un an après le dépôt des dossiers, le (long) chemin des négociations, visant à boucler les plans de financement avec les dirigeants des onze studios de tournage retenus, semble se dégager. Dissipant peu à peu les inquiétudes sur la capacité de l'Etat à mobiliser un niveau de subventions attractif ?

Pics Studio finalisé, 80% des subventions garanties

Selon nos informations, sur onze projets (dont Bry-sur-Marne, La Montjoie à Saint-Denis, Terralab Solutions à Reims, Provence Studios à Marseille et Martigues, La Victorine à Nice, Pics Studios à Montpellier), huit sont bouclés ou en passe de l'être du point de vue des aides d'État et atteignent les niveaux de subventions souhaitées.

Le dossier du pôle cinématographique Pics Studios à Montpellier, l'un des deux plus complexes et des plus chers (187 millions d'investissements), est quasi finalisé avec un niveau de subvention en phase avec la cible voulue par les experts de la commission.
Trois projets sont encore en approfondissement, et parfois en lien avec les collectivités afin de déterminer précisément les catégories d'investissement. C'est le cas des studios de la Victorine à Nice, où la Ville n'a pas encore signé le contrat de concession  avec un opérateur privé. Ainsi qu'à Provence Studios Marseille, qui intègre un projet de réaménagement de la raffinerie Saint-Louis Sucre dans les quartiers Nord.

Au moment où une mission d'attractivité emmenée par le CNC et la résidence d'artistes Villa Albertine, se déroule à Hollywood avec des représentants de Provence Studios, des studios de La Montjoie, TSF et Vendargues (France Télévisions), le CNC veut rassurer des professionnels soucieux de leur business plan.

« Nous sommes de plein pied dans la phase d'instruction financière des projets des studios, dont les besoins financiers concernent les plateaux (modernisation, construction), l'énergie (matériaux innovants, énergie renouvelable), les dispositifs de recyclage des matières premières et de réemploi des éléments de décors (ressourceries), la technologie (écrans leds, régie et effets spéciaux, acoustique...) » indiquent Pauline Augrain, directrice du numérique au CNC et Arnaud Roland, chef de projet France 2030, joints par La Tribune.

« À ce stade, nous avons déjà garanti 80% des subventions à allouer aux studios de tournage et nous travaillons pour garantir les 20 derniers pourcents d'ici à la fin de l'année. Il n'y a aucune situation de blocage identifiée » assurent-ils.

Positionner les futurs investissements dans différents régimes d'aides

Si le CNC se montre si positif c'est aussi qu'il souhaite balayer les rumeurs qui, depuis le début de l'année, évoquent le manque d'information livré en amont par le gouvernement et d'anticipation sur la complexité des règles européennes.

Les subventions d'État à des entreprises privées sont toutes fléchées dans le cadre des règles de l'Union (Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). Il ne peut y avoir de système dérogatoire, sauf en cas d'exemption par catégorie dans le cadre strict du RGEC, et selon des critères notifiés et la nature des investissements (R&D et innovation, formation, infrastructures...).

« Si l'effet labellisation est intéressant, on reste dans l'attente tant que le plan de financement n'est pas bouclé. Nous avançons avec le CNC et la Caisse des dépôts sur la constitution du dossier définitif. On misait sur un important montant d'aides, on n'est quand même pas certains d'obtenir cette somme », évalue toujours le patron d'un studio francilien dont le plan de modernisation et d'agrandissement dépasse très largement la centaine de millions d'euros.

Sur le plan financier, tous les projets sont suivis jusqu'à leur aboutissement par la Banque des Territoires et le CNC, sous l'égide du Secrétariat général pour l'investissement (SGPI). L'objectif étant de faire levier pour attirer des financements privés. Mais cette problématique des aides de l'État s'associe à un sentiment de « lourdeur administrative ».

« Il y a  eu un manque de négociation en amont de l'État avec la Commission européenne sur l'analyse des régimes dérogatoires existants et la faisabilité de positionner nos futurs investissements dans ces régimes » confie un autre porteur de projet en région. « Nous finalisons notre projet, mais l'incertitude demeure sur l'atterrissage. Au delà de l'obtention des montants espérés initialement, soit environ 30% d'aides, les partenaires financiers privés montrent aussi plus de frilosité » ajoute-il.

« Un travail de dentelle et de sur-mesure »

L'ambition de monter en gamme l'offre nationale des studios de tournage reste un pari en soi, dont l'issue sera observable dans le temps. Plus rapides à traiter car moins gourmandes en investissements, les premières conventions ont été signées avec une quarantaine de studios de production numérique (aides innovation et R&D, décarbonation) et de formations. Ces projets, éligibles à partir d'un million d'euros de budget prévisionnel, ont également recours en parallèle à des partenaires privés, à de la dette, voire, si le seuil d'intensité public le permet, à des aides de collectivités territoriales. Sans environnement concurrentiel, certains ne sont pas soumis à la réglementation européenne.

L'équation est plus délicate sur les projets de studios de tournage dont les volumes financiers se chiffrent à plusieurs dizaines voire centaines de millions d'euros. Afin de leur permettre de réaliser leurs études préalables et renforcer leur niveau de maturité, notamment sur le volet environnemental, l'État a préalablement débloqué plusieurs centaines de milliers d'euros par projet, en amont des négociations sur les conventions d'investissement.

« Plus d'une dizaine de régimes d'aides sont mobilisés. Nous étudions avec la Caisse des dépôts la caractéristique précise de chaque projet, pour voir comment maximiser les aides, et sur quels types de dépenses. C'est un travail de dentelle et de sur-mesure » renchérit Pauline Augrain.

Pour le CNC, cette phase de simulation permet au fil de l'eau d'effectuer des recalibrages avant bouclage des projets.

 « Aligner le tableau excel pour obtenir un chiffrage »

« Cela signifie aussi qu'un projet d'installation de réseau de chaleur en géothermie ou de panneaux solaires, ou la mise en place d'un plateau LED ne pourra peut-être pas se faire, ou alors ultérieurement. Le travail approfondi qui est mené aura donc peut-être un impact à la marge sur l'investissement global, à la hausse ou à la baisse », reconnaît Arnaud Roland.

L'examen des dossiers nécessite enfin un travail juridique potentiellement conséquent pour sécuriser au mieux les porteurs de projet. Dans tous les cas, ils seront les « seuls responsables en cas de contentieux » avec la Commission européenne, fait remarquer l'un d'entre eux.

« Nous travaillons avec un cabinet d'avocat spécialisé » répond Pauline Augrain. « L'objectif est de trouver les meilleures solutions, bloc d'investissement par bloc d'investissement, pour garantir la faisabilité des projets de studios. »

La longueur des discussions, voire les doutes des lauréats, sont surtout révélateurs de la complexité de l'opération dans le cadre du droit européen qui réglemente expressément les aides d'État. Ce n'est qu'à l'issue du processus que l'impact du principe de réalité sur le montage financier des projets de studios et le business plan des entreprises sera quantifiable.

 « Ce n'est pas étonnant et s'ajoute à cela toute une série de facteurs annexes » analyse un observateur extérieur. « Depuis le dépôt des dossiers et de leur premier chiffrage, de nouvelles difficultés ont émergé (inflation, prêts bancaires...). Le marché audiovisuel a aussi évolué (grève des scénaristes, fin de la bulle des plateformes...). Le jeu consiste donc à trouver et remplir les conditions pour chaque projet, à aligner le tableau excel pour obtenir un chiffrage. Mécaniquement, il y aura des déceptions » anticipe-t-il.

Reste que le constat d'origine qui a mené à La Grande Fabrique de l'image et qui répond à un enjeu de souveraineté et de relocalisation, s'avère toujours valable.

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Commentaire 1
à écrit le 17/11/2023 à 11:38
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Il faut sortir de l'oligarchie culturelle française enracinée au sein de du milieu du spectacle se tirant de ce fait vers le bas toute seule. Exactement le même fléau que les oligarchies économiques vis à vis de l'économie réelle. On empêche les bons...

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