C'est une vieille, très vieille revendication de l'industrie des télécoms qui vient de faire son nid à Bruxelles. Lors d'une conférence de presse, ce mardi, Margrethe Vestager s'est montrée déterminée à faire payer une partie de la note des réseaux aux géants américains du Net. « Je pense qu'il y a une question que nous devons examiner avec beaucoup d'attention : celle de la contribution équitable [des Gafa] aux réseaux de télécommunications », a lancé la vice-présidente de la Commission européenne, également en charge de la concurrence.
C'est la première fois que le sujet est abordé aussi frontalement par Bruxelles. Pour justifier de faire passer les Google, Amazon, Facebook et autres Netflix à la caisse, Margrethe Vestager souligne qu'ils génèrent « beaucoup de trafic pour exercer leur activité », mais sans participer, d'aucune manière, au financement des infrastructures Internet fixe et mobiles. « Les Gafa n'ont pas contribué aux investissements visant à étendre la connectivité », constate-t-elle.
« Réorganiser la juste rémunération des réseaux »
Signe que l'affaire est désormais prioritaire, Thierry Breton a largement conforté sa sortie. « Une poignée d'acteurs occupent à eux seuls plus de 50% de la bande passante mondiale, a affirmé le commissaire français en charge du marché intérieur sur Twitter. Il est temps de réorganiser la juste rémunération des réseaux. C'est désormais l'un des principaux chantiers de notre espace numérique. » Dans l'Hexagone, même son de cloche pour le Medef. « Oui, les Gafam doivent participer au financement des réseaux télécoms, a déclaré Geoffroy Roux de Bézieux, son président, sur Twitter. C'est une juste contribution de ceux qui publient des contenus et occupent toujours plus de bande passante. »
Député En Marche et très investi dans le numérique, Eric Bothorel s'est également montré favorable à une telle mesure. « Qu'une partie de ceux qui consomment de la bande passante financent une partie des infrastructures télécoms ne me choquerait pas, surtout les plus gourmands », a déclaré le parlementaire, par ailleurs pressenti pour devenir ministre du Numérique dans le prochain gouvernement Macron.
« Un pas important, gigantesque »
Face à cette unanimité qui se dessine, les opérateurs télécoms, eux, applaudissent. Président de la Fédération française des télécoms (FFT), et secrétaire général d'Altice France (SFR), Arthur Dreyfuss ne boude pas son plaisir. « C'est un pas important, un pas gigantesque qui a été fait », souligne-t-il à La Tribune. Selon le dirigeant, deux éléments ont provoqué cette bascule de la Commission. « Il y a le surinvestissement des opérateurs dans la 4G, la 5G et la fibre, explique-t-il. Mais aussi la réalité post-Covid de surconsommation des géants du numérique. »
Tous les opérateurs dénoncent depuis des lustres la gourmandise des Gafa pour leurs réseaux. Outre le fait que les Google, Facebook, Amazon, Microsoft ou Netflix ne participent pas à leur financement, ils fustigent le fait que leurs services sont, de fait, toujours plus avides de bande passante. Ce qui oblige les opérateurs européens - dont Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free en France - à améliorer leurs réseaux en continu, et à grands frais.
Le lobbying payant des opérateurs
L'European Telecommunications Network Operators' Association (ETNO), leur lobby à Bruxelles, appelle depuis des années l'Europe à se saisir du dossier. En début de semaine, et juste avant la sortie de Margrethe Vestager, ils ont d'ailleurs tiré une nouvelle cartouche contre les géants américains du Net. Dans une étude publiée ce lundi, ils estiment que plus de 55% du trafic Internet est aujourd'hui le fait des Gafa. Ils jugent, surtout, que leur appétit en bande passante leur coûte la bagatelle de 15 à 28 milliards d'euros par an. Un montant colossal, qui pèse sur l'activité des grands opérateurs, dont les cours de Bourse souffrent, au passage, de leurs lourds investissements dans la fibre, la 4G, et maintenant la 5G.
L'ETNO argue que, dans ce contexte, une « contribution » des Gafa avoisinant les 20 milliards d'euros par an pour les réseaux serait totalement justifiée. Elle permettrait, souligne le lobby, de créer quelque 840.000 emplois d'ici à 2025, comme de réduire, au passage, leur consommation d'énergie, et donc leur empreinte carbone. Maintenant que leur revendication a les faveurs de Bruxelles, nul doute que les opérateurs vont tenter d'enfoncer le clou dans les semaines à venir. C'est, certainement, un sacré bras de fer avec les Gafa qui se profile.
Sujets les + commentés