Le modèle d’affaires des opérateurs télécoms en question

Les difficultés de nombreux cadors européens des télécoms remettent en cause le modèle historique de l’opérateur intégré, possédant à la fois son réseau et la relation client.
Pierre Manière
Christel Heydemann, la patronne d'Orange, va présenter son plan stratégique le 16 février prochain. Celui-ci est particulièrement attendu alors que les interrogations vont bon train sur son modèle économique.
Christel Heydemann, la patronne d'Orange, va présenter son plan stratégique le 16 février prochain. Celui-ci est particulièrement attendu alors que les interrogations vont bon train sur son modèle économique. (Crédits : Reuters)

Le constat fait l'unanimité : il y a un problème de modèle économique pour les opérateurs télécoms. En France, les Orange, SFR ou Bouygues Telecom se plaignent depuis longtemps d'une forte concurrence qui maintient les prix à des niveaux bas, dans un contexte d'énormes investissements dans les réseaux 4G, 5G et de fibre. Cela n'est pas sans conséquence sur leurs marges et leurs performances boursières. C'est d'ailleurs le fort désamour des investisseurs pour les télécoms qui ont poussé, ces dernières années, SFR et Iliad (Free) à faire leurs adieux à la Bourse.

Cette situation préoccupe l'Arcep, le régulateur du secteur. Lors d'une audition au Sénat, la semaine dernière, Laure de La Raudière, sa présidente, a affirmé que « la situation économique » des opérateurs n'était « pas évidente ». Celle-ci s'est tendue, a-t-elle poursuivi, avec la crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine, qui ont accouché d'une inflation galopante conjuguée à une forte hausse des prix de l'énergie. En décembre dernier, Liza Bellulo, la présidente du lobby de la Fédération française des télécoms (FFT), a également dénoncé « un environnement économique extrêmement défavorable ». En guise de parade, les Orange, SFR et Bouygues Telecom ont tous prévu d'augmenter leurs prix dans les mois qui viennent.

Un problème à l'échelle européenne

Les difficultés des télécoms françaises se retrouvent ailleurs en Europe. Des britanniques BT et Vodafone, en passant par Telecom Italia ou l'espagnol Telefonica, la liste des grands opérateurs qui sont sur la corde raide, ou broient carrément du noir, est longue comme le bras. Parmi les opérateurs historiques du Vieux Continent, il n'y a guère que Deutsche Telekom qui sort du lot et a vu son cours de Bourse progresser ces dernières années. Mais personne n'est dupe : celui-ci est surtout porté par les solides résultats de sa filiale américaine T-Mobile...

Cette morosité de l'Europe des télécoms interroge. Comment se fait-il, après tout, que cette industrie soit si contrariée quand les revenus de l'Internet, eux, explosent ? Entre 2015 et 2020, ceux-ci sont passés, selon le cabinet PwC, de 3.017 à 4.327 milliards de dollars dans le monde... Mais si le gâteau a grossi, les opérateurs se sont contentés des miettes. Sur cette même période, leurs revenus n'ont progressé, en moyenne, que de 2% par an. Ceux du secteur des services Internet et des logiciels, eux, ont crû de 30%. Autrement dit : ce sont les grandes plateformes et les Gafa qui ont raflé la mise. Au grand dam des opérateurs, sans lesquels les Amazon, Facebook, Apple et Google ne seraient rien. Voici pourquoi le secteur européen des télécoms se mobilise, depuis des mois, pour faire contribuer les géants du Net au financement des réseaux.

Les opérateurs ont bien tenté de trouver de nouveaux relais de croissance. Certains ont voulu se diversifier, notamment dans les médias. Mais tous ont essuyé, sur ce front, de cuisants échecs. En France, SFR s'est un temps lancé dans la diffusion du foot, avant de faire machine arrière et d'arrêter les frais. Son rival Orange a un moment connu quelques succès avec sa filiale de télévision OCS, avant de perdre de l'argent et de la revendre récemment à Canal+. L'opérateur historique s'est aussi lancé dans la banque, avec Orange Bank. Mais ses pertes l'oblige, aujourd'hui, à chercher un nouveau partenaire, voire, très possiblement, à s'en séparer...

Certains opérateurs ont également cherché à concurrencer les Gafa sur certains segments. C'était l'idée d'Orange lorsqu'il a développé sa propre enceinte connectée, baptisée « Djingo », avant de jeter l'éponge. Le leader français des télécoms a pu constater, avec amertume, la difficulté de rivaliser avec les mastodontes américains de la tech, aux poches bien plus profondes que les siennes...

Bientôt, la fin de l'opérateur « intégré » ?

Parfois en manque de liquidités, de nombreux champions des télécoms ont décidé de se séparer de leurs plus beaux actifs, à savoir leurs précieux réseaux... Ces dernières années, on ne compte plus les grands opérateurs européens qui ont revendu tout ou partie de leurs parcs de tours télécoms, ou de leurs infrastructures de fibre. Et ce, pour le plus grand bonheur des « towerco » (Tower Companies), comme l'espagnol Cellnex, dont les valorisations ont, de leur côté, explosé en Bourse !

La montée en puissance des « towerco » témoigne d'un grand changement : celui de la remise en cause du modèle historique de l'opérateur télécoms dit « intégré », ayant à la fois la main sur les réseaux et sur la relation client. D'après une étude du think tank Digiworld, ce modèle a du plomb dans l'aile car les opérateurs sont désormais concurrencés sur ces deux segments. Toujours selon ce think tank, les opérateurs pourraient, en conséquence, faire évoluer leur business model.

Lâcher le réseau ? Ou les infrastructures ?

Plusieurs scénarios sont, dès lors, envisagés. Certains opérateurs pourraient se concentrer uniquement sur les infrastructures et la gestion des réseaux.

« Les opérateurs ne contrôleraient plus, ici, la relation à l'utilisateur final, se projette Digiworld. Pour rester pertinent, ils prendraient le contrôle total de l'infrastructure et de la technologie des réseaux. »

Dans un autre scénario, baptisé « 100% Tech », les opérateurs gardent seulement leurs infrastructures, précise Digiworld. Ils « capitalisent sur les compétences réseaux pour renforcer leurs attributs de valeur en proposant de nouveaux services à valeur ajouté » dans le domaine de « la communication ou de la connectivité enrichis ».

La nécessité de se transformer

À l'inverse, une autre possibilité serait, pour les opérateurs, de lâcher complètement le réseau pour ne garder que la relation client. Cela ressemble, en somme, au modèle actuel des MVNO, ces opérateurs virtuels dépourvus d'infrastructures. L'idée, selon Digiworld, serait de ne pas en rester à la fourniture d'accès à Internet, mais de se diversifier dans d'autres activités et services. Le think tank évoque les médias, la maison connectée, la banque, l'énergie ou encore la santé.

Un dernier scénario, celui de l'« opérateur numérique », consiste à conserver le réseau comme la relation client, tout en investissant dans « la distribution de services de connectivité et de communication ». L'opérateur se muerait en une sorte de grand carrefour, capable « d'interconnecter les utilisateurs des plateformes de l'Internet entre eux et avec le reste du monde ». Certains trouveront sans doute ces changements trop radicaux. D'autres y verront le signe qu'il est peut-être temps que les opérateurs se transforment s'ils veulent rester, à terme, des acteurs qui comptent dans l'écosystème numérique.

Pierre Manière

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Commentaires 7
à écrit le 02/02/2023 à 12:53
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SFR qui vient d'augmenter ces prix le 31 janvier 2023 auprès de ses quelque 10 millions de clients particuliers, lignes fixes (box Internet) et mobiles confondues.

à écrit le 02/02/2023 à 8:29
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Que les opérateurs telecoms se bouffent entre eux n'est pas mon problème, mais qu'ils se moquent du client (raccordements mal faits, forcing sur des faux besoins, services clients au-dessous de tout, ...) les rend très antipathiques

à écrit le 02/02/2023 à 6:11
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l'arcep coule les boites puis s'inquiete de la situation!! on croit rever!!!!!!!! remarquez ils ont peut etre repris leurs cours d'analyse financiere et se demandent desormais comment on va financer des investissements lourds, quand on ne gagne pas d...

à écrit le 02/02/2023 à 3:22
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Donc pour que les actionnaires et fonds de pensions fassent beaucoup d'argent, la solution est de prendre beaucoup d'argent aux clients. En un mot, revenir à l'époque juteuse où Free n'existait pas. Leurs investissements sur la 5g ou la fibre pas d'...

à écrit le 01/02/2023 à 20:06
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8 opérateurs eaux USA , 85 en Europe.... et 3 rien qu'en France.....

le 01/02/2023 à 20:59
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"eaux" usa vous êtes sur ?

le 01/02/2023 à 23:37
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Les États-Unis sont un seul pays. L'Union européenne - qui n'est pas "l'Europe" - compte 27 pays.

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