Le partage des profits, cette grande illusion

"Si l'on oblige les entrepreneurs à donner la plus grande partie des profits aux salariés et à l'administration fiscale, où se situera l'incitation à entreprendre ?" se demande Pascal Salin, professeur émérite à l'université de Paris-Dauphine
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Je viens de faire un mauvais rêve. J'ai rêvé qu'en corrigeant des copies à l'occasion d'un examen d'économie, j'ai trouvé dans l'une d'entre elles la phrase suivante : « Il n'est pas juste que les actionnaires d'une entreprise touchent la totalité des profits. » Puis, un peu plus loin, une phrase de ce genre : « Je voudrais qu'on imagine un système qui fait qu'au moment où on augmente les dividendes, les salariés en aient une partie aussi. »

Quelle note devrais-je donner à l'auteur de telles affirmations ? Sans l'ombre d'un doute, je donnerais un zéro, car il serait absolument évident que cet étudiant n'aurait absolument pas compris certaines des bases fondamentales de l'économie. Mais sortant de mon rêve, je m'aperçois avec stupéfaction que ces propos sont à peu près ceux qui ont été tenus par une personnalité importante, le président de la République française en personne ! Et mon effroi s'accroît quand je prends conscience que cette méconnaissance des phénomènes économiques est celle d'un personnage qui peut prendre des décisions de politique économique importantes.

Il faut simplement rappeler les principes de base du fonctionnement d'une entreprise. Toute entreprise privée est possédée par un ou plusieurs propriétaires. Ceux-ci - ou leurs mandataires - signent toutes sortes de contrats, avec des fournisseurs, des prêteurs, des salariés. Ces contrats stipulent des prix, des intérêts ou des salaires qui sont déterminés à l'avance, de manière certaine, et les propriétaires de l'entreprise s'engagent donc à les honorer quelles que soient les circonstances. Mais, les circonstances ne peuvent pas être prévues parfaitement à l'avance et toute activité entrepreneuriale implique, de ce point de vue, une part de risque.

Bien entendu, lorsqu'il signe les différents contrats qui l'engagent pour le futur, un propriétaire-entrepreneur espère bien qu'il y aura un écart positif entre la valeur de ce qu'il pourra vendre sur le marché et tout ce qu'il aura payé au titre de ces différents contrats pour produire les biens qu'il vendra. Cet écart est appelé le profit. Comme on le voit, celui-ci est de nature résiduelle, c'est-à-dire qu'il correspond à ce qui reste lorsque tous les contrats certains ont été honorés. Il existe donc seulement dans la mesure où les coûts de production ne dépassent pas le chiffre d'affaires. Mais, il peut arriver que le résultat de l'activité d'une entreprise se solde par une perte et non par un profit, ce qui constitue un risque particulièrement grave. Le propriétaire est celui qui accepte à l'avance de prendre les risques à sa charge. Sa rémunération est donc variable et incertaine, contrairement à celle des salariés ou des prêteurs.

Pour s'engager dans une activité, un producteur a besoin de connaître les coûts qu'il s'engage à couvrir de manière contractuelle, par exemple les salaires. Il sait qu'il obtiendra éventuellement un revenu résiduel. Il est alors absurde de rendre aléatoire un élément important des coûts de production - le salaire - en le faisant évoluer comme le revenu résiduel... Et il serait d'ailleurs encore pire de le faire évoluer à la hausse, mais pas à la baisse, comme cela semble implicitement souhaité. Ce qui est certain, c'est qu'une telle réforme diminuerait considérablement l'incitation à entreprendre des producteurs. Pourquoi seraient-ils tentés de prendre des risques - y compris le risque de faillite - si, dans le cas où leur activité pourrait être profitable, ils seraient obligés de donner la plus grande partie des profits résiduels aux salariés et à l'administration fiscale ?

Dans la firme capitaliste traditionnelle, il y a un partage des tâches et des rémunérations qui correspond à la fois à la justice et à l'efficacité. Il est très dangereux de vouloir détruire cet équilibre naturel. C'est cette même distinction des rôles qui est complètement incomprise du président de la République lorsqu'il affirme qu'il n'est pas juste que les propriétaires d'une entreprise reçoivent la totalité des profits. En effet, par définition, le profit est la rémunération des propriétaires et il serait tout aussi absurde de dire qu'il n'est pas juste que les salariés reçoivent la totalité des salaires...

En préconisant un nouveau partage entre salaires et profits, le président prétend accroître le pouvoir d'achat des salariés, après avoir promis de manière imprudente qu'il irait chercher la croissance « avec les dents ». Mais il ignore que le seul moyen d'augmenter durablement le pouvoir d'achat consiste à accroître la productivité du travail, que celle-ci implique des investissements, donc des incitations à épargner, à investir et à entreprendre. Ce n'est pas en punissant ceux qui accumulent du capital et qui entreprennent qu'on obtiendra ce résultat.

Commentaires 21
à écrit le 30/04/2011 à 20:54
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Il est toujours désolant de devoir constater combien l'Université est dévoyée par l'idéologie. Certes la majorité des universitaires affichent ostensiblement des opinions de gauche et faussent allègrement leurs résultats en ce sens. Néanmoins, il y e...

à écrit le 28/04/2011 à 14:05
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Ca fait du bien de lire Pascal Salin dans les médias, ça change du rabâchage étatique qui tourne en boucle. Un des rares économistes français qui défend les droits de propriété légitimes, qui tien un discours de vérité et qui ne soit pas la risée du ...

à écrit le 28/04/2011 à 8:56
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Vous feriez mieux d'aller voir la réponse de Jean-Philippe Robé dans l'édition du 30 avril

à écrit le 27/04/2011 à 21:52
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Moi et mes copains, dans les grosses boites françaises, on est tous aux conseils d'administration les uns des autres. On s'entre-augmente, on se distribue des jetons de présences pour des réunions dans lesquelles on roupille. On se gave, et vous, vou...

à écrit le 27/04/2011 à 18:06
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il y à quelques années au fronton d'une entreprise située a Auschwist la maxime suivante a été apposée" le travail rend libre" j'en ai toujours douté,mais désormais je suis certain du contraire!

à écrit le 27/04/2011 à 16:47
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Zéro pointé à cette copie dogmatique. Encore un nostalgique de l'ancien régime : d'un côté la noblesse, propriétaire, de l'autre côté les serfs tayables et corvéables à merci... Il oublie que la plupart des dirigeants des grandes sociétés ne sont pas...

le 17/05/2011 à 5:08
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Le Consentement mon cher, le consentement voilà la différence. Qu'un entrepreneur décide librement d'intéresser ses salariés est tout à fait normal, il est libre d'utiliser son argent comme il veut. en revanche qu'un homme politique spolie un entrep...

à écrit le 27/04/2011 à 15:57
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allez hop, tout le monde au smic, avec un nombre d'actions virtuelles( invendables et réservées aux employés et sans droits de vote ou de propriété) correspondant( cela dépend de la politique interne et des tractations syndicales) au poste, à l'ancie...

à écrit le 27/04/2011 à 15:01
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j'ai oublié d'ajouter que toutes les entreprises appliquent à leurs commerciaux la règle du fixe+ part variable en fonction des ventes, et apparemment elles arrivent à calculer tout ça d'une années sur l'autre. quand on pense qu'à paris-dauphine des ...

à écrit le 27/04/2011 à 14:52
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cet article est curieux. il présuppose que le système capitaliste actuel ne peut pas admettre de changements dans les rémunérations car cela contredit les définitions, les modes de calcul et les "coutumes traditionnelles". il suppose qu'une réforme...

à écrit le 27/04/2011 à 13:07
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Ah le bel article qui nous retrace la raison d'etre premiere de l'entreprise, avec un petit air de donneur de lecon a l'ecolier. On reconnait bien le professeur pret a sortir sa baguette afin d'assener un petit coup sec sur les doigts avec une jouis...

à écrit le 27/04/2011 à 11:11
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celui qui crois que la croissance est indéfinie dans un monde fini est soit un fou soit un économiste

à écrit le 27/04/2011 à 11:04
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Tres bel article s'il en est... qui s'il énumère certaines vérités basiques du libéralisme ignore totalement les dérives que celui-ci à imposé dans la gestion actuelle des entreprises qui sont peu ou prou basés sur des modèles de plus en plus similai...

à écrit le 27/04/2011 à 9:00
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Citation : "En effet, par définition, le profit est la rémunération des propriétaires et il serait tout aussi absurde de dire qu'il n'est pas juste que les salariés reçoivent la totalité des salaires..." Je ne sait pas dans quel pays les salariés tou...

à écrit le 27/04/2011 à 8:16
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OUI les profits ne sont normalements destinés qu'aux actionnaires, et pas aux salariés qui ne prennent effectivement aucun risque. OUI cette mesure est contre nature MAIS dans le cas présent la prime versée au salariée a pour contrepartie un ...

à écrit le 27/04/2011 à 7:32
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Et le principe d'équité dans tout ça? Facile de tout justifier avec un arrêt sur image. Encore faudrait-il tenir compte de tout ce qui ne rentre pas dans le cadre. Merci Professeur.

à écrit le 26/04/2011 à 18:34
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L'actionnaire doit etre recompense du risque qu il supporte? comment expliquez vous alors que l'on nationalise les pertes des grosses multinationales en Europe et aux Etats-Unis (banques, constructeurs automobiles, etc...)? Pile je gagne et Face tu...

à écrit le 26/04/2011 à 13:42
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Article intéressant et pertinent. Commentaires bien français qui méritent des commentaires : Sommes-nous un peuple de collectivistes ? A la lecture des commentaires, tout investisseur étranger les lisant prendrait le 1er avion pour investir dans u...

le 26/04/2011 à 19:34
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On peut être pour un libéralisme économique modéré tout en militant pour une régulation du marché qui empêche ses inégalités flagrantes. De plus, je vous ferai remarquer qu'il est de plus en plus clair que le capitalisme nous mène droit à une catastr...

à écrit le 26/04/2011 à 13:30
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Le ratio un tiers pour le capital, un tiers pour l'entreprise,un tiers pour les salariés a été pratiqué par un patronat paternaliste il y a quelques dizaines d'années. Aujourd'hui la financiarisation de l'économie, la mise sous tutelle des entrepris...

le 30/04/2011 à 21:17
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La part qui leur revient ... c'est leur salaire qu'il peuvent négocier. Les patrons et les actonnaires prennent des risques importants. Pas les salariés. C'est un juste équilibire. Tout à fait d'accord avec l'article.

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