La télémédecine panacée pour lutter contre les déserts médicaux ?

Gouvernement, médecins, industriels... la plupart des acteurs de la santé sont favorables au développement de la télémédecine pour lutter contre les déserts médicaux. Mais cela nécessite un déploiement à bon escient de cette médecine à distance, et il faudra convaincre les professionnels de se former aux outils de la santé numérique.
Jean-Yves Paillé

Insularité, population âgée, manque d'attractivité pour les professionnels de santé... Certains territoires en France réunissent tous les critères pour être des déserts médicaux. C'est le cas des îles bretonnes.

« On compte 15% de personnes âgées dans les îles, contre 10% sur le continent. Pour se faire soigner sur le continent, elles doivent y rester deux journées, après avoir pris un bateau, qui n'est souvent disponible qu'une fois par jour, éventuellement affronter de mauvaises conditions météo, sans compter un trajet parfois long. C'est éprouvant », résume Sophie Poinsignon, cheffe de projet au GCS (Groupements de Coopération Sanitaire) e-santé Bretagne, un organisme fondé par des fédérations de professionnels et d'établissements de santé, sur lequel l'Agence régionale de santé s'appuie pour lancer des projets de santé numérique.

Médecine généraliste, psychiatrie, gériatrie, dermatologie (avec suivi des plaies chroniques et prévention des mélanomes)... Quatre initiatives autour de ces disciplines médicales ont été lancées en 2016 dans les îles bretonnes. Avec un accent mis sur les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes). Des projets qui sont amenés à perdurer et être élargis à d'autres disciplines, comme la diabétologie notamment.

Les recours à la télémédecine sont peu nombreux dans ce type de projets. Le service de dermatologie et télémédecine lancé sur l'île de Bréat dans un Ehpad de 47 résidents compte onze prises en charge depuis son lancement en novembre 2016, explique Sophie Poinsignon. Et au total, la plateforme régionale bretonne de télémédecine « recense 1.200 actes en deux ans et demi ». Insuffisant ? Oui et non, juge la coordinatrice e-santé de Bretagne. Si elle espère un développement de la discipline, pour elle, « le but de la télémédecine n'est pas de générer une demande injustifiée. Il faut s'assurer qu'on aura une demande suffisante et que des experts seront prêts à développer ces pratiques. »

Aujourd'hui, quelques centaines de projets existent dans l'Hexagone en télémédecine

- 331 selon le dernier décompte du ministère de la Santé, en 2013. Certains se sont installés durablement dans le paysage médical, comme le télé-AVC, qui consiste à envoyer des IRM et scanners à distance à des neurologues experts. Mais très souvent, les projets n'ont pas été maintenus, faute de demande concrète ou de médecins pouvant assurer le suivi. L'heure est au tâtonnement dans la discipline, et des études médico-économiques visant à prouver son efficience sont encore en cours.

Néanmoins, le gouvernement d'Édouard Philippe entend passer à la vitesse supérieure. Il a fait de la lutte contre les déserts médicaux une de ses priorités, et vise un déploiement rapide de la télémédecine. Il doit présenter « un plan ambitieux » en septembre sur « la prévention, la lutte contre les inégalités territoriales, la lutte contre les inégalités sociales et l'innovation ».

Cibler les besoins réels

L'ampleur de la tâche rend peu probable une télémédecine tous azimuts capable de vaincre les déserts médicaux dans les années à venir. Selon la Drees (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), pas moins de 8 % de la population, soit plus de 5,3 millions de personnes, réside dans une commune sous-dense en médecins généralistes, au sens d'une accessibilité inférieure à 2,5 consultations par an et par habitant. Pis, 0,5% de la population souffre d'un manque d'accès aux soins de services d'urgence, pharmacies et médecins généralistes. En parallèle, des catégories de médecins diminuent. Le nombre de médecins libéraux généraliste et mixtes diminue depuis 2010 (autour de 68.000 en 2016 contre 70.000 il y a sept ans) et devrait baisser jusqu'en 2025. Une tendance similaire se manifeste pour plusieurs types de spécialistes, en particulier les ophtalmologues, gynécologues et psychiatres.

« Il faut cibler les besoins réels. On ne déploiera pas partout la télémédecine, du moins pour l'instant », insiste Pierre Simon, fondateur de la Société française de télémédecine, et conseiller pour le développement de la discipline auprès de plusieurs gouvernements de pays européen. Rationaliser la demande en télémédecine, en téléconsultations notamment, c'est déterminer quels sont les patients ayant besoin d'aide médicale, avec une sorte de « proto-télémédecine » structurée, juge-t-il.

« On peut démocratiser la téléassistance, par exemple, qui permet de résoudre un problème, quitte à faire des prescriptions médicales électronique. »

Autre solution pour rationaliser le nombre de consultations à distance : la téléexpertise, explique Sophie Poinsignon :

« Avec des dossiers accompagnés de quelques photos, le médecin peut étudier le cas de plus de patients. En 30 minutes, il peut s'occuper de trois dossiers, ce qui permet d'éviter des consultations inutiles. » Enfin, il reste à déterminer les domaines thérapeutiques qui nécessitent le plus la télémédecine et ceux qui en ont peu besoin, comme nous l'expliquait Jean-François Thébaut, membre de la Haute autorité de santé (La Tribune n° 214).

Du côté des syndicats de professionnels de santé, comme la Fédérations des médecins de France (FMF), on n'est pas hostile à la télémédecine, mais on estime que toute seule, elle « ne changera pas la donne ».

Jean-Paul Hamon, président du syndicat, est séduit par « les chariots équipés d'écrans, d'électrocardiogrammes notamment ». Mais pour lui, il faudra quoiqu'il arrive une présence accrue des médecins, en consultation classique aussi bien qu'en consultation à distance.

« Il faut plus de médecins formés pour accompagner les personnes âgées dans les Ehpad, notamment pour y mettre en oeuvre la télémédecine. »

La FMF et les autres syndicats de médecins réclament des incitations financières pour que les jeunes médecins s'installent dans les déserts médicaux, aussi bien que pour intégrer la télémédecine. La FMF demande également de garantir par la collectivité un logement pour les accueillir.

Fibrer la France

Un autre problème va se poser au gouvernement, aussi bien pour intégrer des médecins dans des déserts médicaux que pour y développer la télémédecine.

« Il faut fibrer la France », disent en choeur Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, Jean-Paul Hamon et Pierre Simon. En 2017, comme le rappelle le gendarme des télécoms, la France n'est que 24e en Europe pour la couverture moyenne des opérateurs en 4G et plus généralement 20e en matière de connectivité. « Le numérique est un facteur d'attractivité pour les jeunes », juge Pierre Simon. Et sans connexion parfaite, la télémédecine sera difficile à mettre en place.

« Il ne faut pas faire comme si la France était une grande puissance connectée. Certains déserts médicaux ont des connexions imparfaites, comme la Creuse. C'est rédhibitoire si l'on veut développer la télémédecine et la communication médecins-patients », ajoute Jean-Paul Hamon. Pour espérer supprimer rapidement les déserts médicaux, le gouvernement devra être sur tous les fronts...

Jean-Yves Paillé
Commentaires 4
à écrit le 15/09/2017 à 19:51
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C'est ça, vive le libéralisme triomphant . Les petits vieux sont priés d'exprimer, par internet, leurs symptômes de maladie , en veillant à ce que cela corresponde aux algorithmes du ministère de la santé . Qu'ils ne bafouillent pas surtout (sinon ...

à écrit le 14/09/2017 à 12:51
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Encore est il qu'il faut avoir un internet de bon débit ce n'est toujours pas le cas dans de nombreux villages ,il reste pour se soigner le vétérinaire, le rebouteux et la sélection naturelle...

le 14/09/2017 à 17:09
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Voir internet tout court .

à écrit le 14/09/2017 à 10:19
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"Gouvernement, médecins, industriels... " Bref entre les experts et les lobby cela fait belle lurette que le citoyen n'a plus son mot à dire. Au secours

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