Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février dernier, l'Union européenne (UE) s'est tournée vers le gaz naturel liquéfié (GNL) pour moins dépendre du gaz russe. Le GNL représente désormais 32% des importations gazières totales de l'UE. Si les Etats-Unis sont devenus les premiers fournisseurs du continent, la Russie en est le deuxième.
Sur les 9 premiers mois de 2022, les importations européennes de GNL russe ont ainsi augmenté de 21%, à 15,5 milliards de m3, par rapport à la même période de 2021, selon les estimations de Montel, un cabinet norvégien spécialisé dans les marchés de l'énergie, basées sur les données du trafic des méthaniers recueillies par le cabinet Kpler. Les livraisons se poursuivent en octobre, mois pour lequel Montel prévoit une hausse de 10% sur un an, avec 1,4 milliard de m3, alors que les stocks européens sont remplis à plus de 91%, selon le dernier rapport de la Commission européenne sur l'état de l'énergie dans l'UE. Une situation qui contribue ces derniers jours à une forte baisse des cours sur le TTF, le hub gazier néerlandais, qui sert de référence au marché européen.
Chute des livraisons russes par gazoduc
Néanmoins, la hausse des livraisons de GNL russe ne compense que partiellement la chute des volumes qui étaient acheminés par gazoduc et qui représentaient 41% des importations totales de gaz en 2021. En septembre 2022, cette part s'est réduite à 9%. Si les 27 pays membres ont signé, non sans mal, un accord pour encadrer leur marché gazier, l'achat de gaz russe n'est pas illégal puisqu'il n'y a pas, à ce jour, d'embargo officiel. Seules les importations de charbon sont interdites depuis le 1er août. Celles de pétrole le seront prochainement, à partir du 5 décembre pour le brut et à partir du 5 février 2023 pour les produits raffinés (diesel, essence, fioul domestique...). L'Ukraine réclame ces embargos depuis le début du conflit alors que les recettes générées par l'Europe alimentent les caisses de l'Etat russe pour financer la guerre en Ukraine.
Parmi les pays européens qui ont le plus importé de GNL russe, on compte la France pour un tiers, l'Espagne pour un quart ; ces deux pays étant dotés des plus importants terminaux de regazéification, le restant allant vers les Pays-Bas et la Belgique.
En l'absence d'un embargo, les contrats de long terme signés par des négociants européens avec les compagnies russes comme Novotek et Gazprom continuent d'être honorés. Cette production provient en large part du terminal de Yamal de Novotek (capacité de 22,5 milliards de m3 par an), dans le nord-ouest de la Sibérie, et du terminal de Portovoya de Gazprom (2 milliards de m3 par an) situé dans l'est de la Baltique.
Ainsi, TotalEnergies a un contrat avec Novotek portant sur la fourniture annuelle de 5,5 milliards de m3 par an, et l'espagnol Naturgy de 3,4 milliards de m3 par an. « Nous continuerons à livrer du GNL de Russie tant qu'il n'y aura pas de sanctions de l'Europe, parce que nous contribuons ainsi à la sécurisation de son approvisionnement. S'il y a des sanctions, nous arrêterons immédiatement », avait déclaré, en début de mois, Patrick Pouyanné, le patron de TotalEnergies, interrogé lors de l'Energy Intelligence Forum, à Londres.
Un prix plus attractif
Par ailleurs, le GNL russe a un prix plus attractif que celui du GNL américain. Ce mois-ci, le ministre de l'Economie français, Bruno Le Maire a demandé un « produit moins cher » aux Etats-Unis tandis que son homologue allemand, Robert Habeck, s'est plaint lui des « prix astronomiques » atteint par le GNL en provenance du Golfe du Mexique, alors que l'économie européenne, aux prises avec une inflation élevée, voit ses perspectives économiques s'assombrir.
Enfin, si les réserves de gaz seront suffisantes pour faire face à la demande cet hiver, l'Europe pourrait être confrontée à une situation plus difficile l'hiver prochain. En effet, la reconstitution des stocks européens a été facilitée par la baisse de la demande asiatique de GNL, notamment du premier consommateur mondial, la Chine, dont l'activité a ralenti en raison des confinements stricts de la politique « zéro Covid ». Cette année, les négociants asiatiques, notamment chinois, ont fait des arbitrages. Ils ont préféré vendre leurs achats de GNL américain aux européens pour profiter des prix élevés. Parallèlement, ils achètent depuis septembre du GNL russe avec une décote de 50%, selon des traders, cités par l'agence Bloomberg. Si le géant asiatique renoue avec la croissance en 2023, les méthaniers de GNL reprendront les routes asiatiques, avec pour conséquence de réduire l'offre pour les pays européens, notamment s'ils veulent se passer du gaz russe.