Pourquoi les indépendantistes catalans vont utiliser leur majorité parlementaire

Les deux listes favorables à l'indépendance catalanes auront la majorité absolue au parlement. Mais ils n'obtiennent que 47,8 % des voix. La crise est-elle terminée ?
Les Catalans ne sont pas majoritairement favorables à l'indépendance, leur parlement le sera cependant.

Le résultat des élections régionales catalanes va sans doute laisser ouverte plusieurs interprétations. Selon les résultats portant sur 96 % des suffrages dépouillés, la liste commune favorable à l'indépendance, Junts pel Sí, arrive en tête et obtient 39,6 % des voix et 62 sièges. Avec l'autre liste indépendantiste, celle du parti de gauche CUP qui obtient 10 sièges et 8,2 % des voix, les députés favorables à l'indépendance seraient donc 72 au prochain parlement. Autrement dit, la majorité absolue de 68 sièges serait dépassée, grâce à l'appui de la CUP qui a affirmé qu'elle ne freinerait pas le processus de sécession, même si elle refuse de participer au gouvernement.

L'indépendance minoritaire en voix

En revanche, les listes indépendantistes n'obtiendraient pas la majorité des voix, mais seulement 47,8 % des suffrages exprimés. Ce résultat était très important, car les indépendantistes avaient voulu que le scrutin soit « plébiscitaires », autrement dit qu'il ait la forme d'un référendum de substitution puisque les tentatives d'organiser un tel référendum se sont heurtées sur le refus juridique des institutions espagnoles. Sur ce terrain référendaire par substitution, les Catalans ont donc dit « non » à l'indépendance par 52,2 % des voix.

Ciudadanos en tête dans le camp unioniste

Dans le camp unioniste, le grand vainqueur est Ciudadanos (C's), le parti des Citoyens, qui a obtenu 17,9 % des suffrages, contre 7,5 % en 2012, et 25 sièges contre 9 en 2012. Cette forte poussée s'explique par la capacité de ce parti à avoir concentré le vote unioniste, notamment au détriment du Parti Populaire (PP) de Mariano Rajoy qui subit une véritable déroute, avec seulement 8,5 % des voix contre 13 % en 2012 et 11 sièges. La venue vendredi pour le dernier meeting de campagne de Nicolas Sarkozy n'aura guère permis de freiner la chute du PP. A gauche, les socialistes du PSC (12,8 % et 16 sièges) et l'alliance entre Podemos et la Gauche Unie réalisent de mauvais scores. Cette dernière alliance, notamment, fait moins bien que la seule Gauche Unie en 2012 (8,9 % contre 9,9 % en 2012). C'est donc une nette défaite qui s'explique par la forte poussée de la CUP indépendantiste qui gagne 5 points et 7 élus.

Le processus de séparation sera-t-il lancé ?

Que va-t-il se passer à présent ? Certes, Junts Pel Sí n'a sans doute pas obtenu le triomphe de l'indépendantisme qu'il souhaitait. Son score est assez décevant puisque ses deux principaux partis, ERC et CDC, avaient 68 députés en 2012.  Mais les deux listes indépendantistes obtiennent plus de 2 millions de voix, plus que le "oui" à la consultation du 9 novembre sur l'indépendance. Et si l'absence de majorité de voix ne donne pas le droit à ses listes à lancer une déclaration unilatérale d'indépendance, l'existence d'une majorité parlementaire  grâce à la poussée de la CUP autorise le lancement du programme des partis sécessionnistes : une feuille de route débouchant sur un référendum sur l'indépendance d'ici 18 mois. La tête de liste de Junts Pel Sí, Raul Romeva a ainsi indiqué dimanche soir à Barcelone que « nous disposons d'une légitimité pour faire ce que nous voulons faire. » Si l'indépendance n'a pas eu la majorité ce dimanche 27 septembre, le programme indépendantiste a nettement gagné.

En réalité, le programme de Junts Pel Sí n'est pas celui de la rupture immédiate. C'est celui d'une rupture négociée et sanctionnée démocratiquement par un référendum. Ces élections plébiscitaires n'avaient pas vocation à déboucher immédiatement sur l'indépendance, mais bien à ouvrir la voie à un référendum reconnu par Madrid et l'Europe, comme en Ecosse voici un an. Il s'agissait d'obliger Madrid à sortir de sa position purement juridique qui lui permet un refus complet d'écouter cette volonté des Catalans de se prononcer sur leur avenir institutionnel.

Pourquoi un référendum peut être nécessaire

Mais ce référendum est-il encore nécessaire ? L'échec en voix des indépendantistes ce dimanche ne sanctionne-t-il pas la volonté de la Catalogne de demeurer au sein de l'Espagne ? Rien n'est moins sûr, car ces élections, fussent-elles plébiscitaires, ne sont pas l'équivalent d'un référendum « chimiquement pur. »

Parmi les listes que l'on classe dans le camp du « non », les différences sont notables sur le futur institutionnel de la Catalogne. Ciudadanos, le PP et le PSOE souhaite le statu quo, mais la gauche unioniste et les Démocrates-chrétiens (qui ont obtenu 2,5 % des voix) favorisent une évolution institutionnelle de la Catalogne et sont favorables à un référendum. Le « non » n'est donc pas un « bloc » et s'il existe aussi des différences dans le camp du « oui », ces différences ne portent pas sur la création de l'Etat catalan, mais sur sa gestion. Autrement dit, le résultat du « référendum plébiscitaire » n'est pas si clair qu'il y paraît. Le « non » de ce 27 septembre n'est pas un accord pour le statu quo qui n'obtient que 40 % des voix.

Deuxième élément : malgré une campagne axée vers l'indépendance, nul ne peut affirmer que tous ceux qui ont voté pour les partis unionistes ne voteraient pas, dans un référendum pour l'indépendance. La présence d'une liste commune regroupant le centre et le centre-gauche a pu détourner quelques indépendantistes de Junts Pel Sí qui n'approuvaient pas cette alliance. Dans ce cas, ils ont pu choisir de voter pour un parti unioniste, plus proche de leurs convictions politiques. Compte tenu de la faiblesse de l'écart entre le « oui » et le « non », le doute autoriserait une « vérification » via un véritable référendum. C'est pourquoi les Indépendantistes vont pouvoir justifier l'application de leur programme.

La balle dans le camp de Madrid

La balle est désormais dans le camp de Madrid. Mariano Rajoy peut « continuer comme avant » et s'appuyer sur la majorité unioniste des voix pour maintenir sa politique sourde aux demandes catalanes. Il peut continuer à s'appuyer sur le Tribunal Constitutionnel pour briser juridiquement le mouvement catalan. Mais, jusqu'ici, cette stratégie n'a contribué qu'à renforcer l'indépendantisme, qui était ultra-minoritaire jusqu'en 2010. En agissant ainsi, il refuserait de reconnaître le désaveu qu'il a personnellement reçu ce dimanche. Le score du PP est un désaveu contre sa politique catalane, au-delà des options unionistes ou indépendantistes.

En ignorant le message des Catalans, Mariano Rajoy engagera aussi un bras de fer direct avec le gouvernement catalan. Or, l'élection de ce dimanche révèle un danger : la polarisation extrême de la vie catalane, incarnée notamment par la poussée de la CUP et de Ciudadanos, autrement dit de deux partis hostiles aux compromis sur la question de l'indépendance. Pour empêcher l'aggravation de la situation, Madrid doit donc s'ouvrir au dialogue. Les Catalans sont devenus indépendantistes après la décision du Tribunal Constitutionnel de rejeter le nouveau statut catalan, approuvé par les Catalans et les Cortès espagnols en 2006. Madrid doit pouvoir proposer un moyen de renforcer l'autonomie et la démocratie en Catalogne.

C'est cependant peu probable qu'il en soit ainsi, Mariano Rajoy n'a pas fait preuve de souplesse et il sera tenté de jouer l'unionisme comme un argument pour sa campagne nationale avant les élections du 20 décembre en Espagne. Dès dimanche soir, il a salué "la défaite fracassante" des indépendantistes. Autrement dit, entre le gouvernement espagnol et catalan, le fossé va continuer à se creuser et la crise catalane ne fait donc sans doute que commencer.

La responsabilité de l'Europe

C'est donc à l'Europe de se pencher sur la question. Là encore, les institutions européennes et les Etats européens auraient tort de s'en tenir à ce résultat en voix pour fermer le dossier. Ce serait oublier un peu vite la responsabilité européenne dans cette crise catalane. Car l'austérité imposée à l'Espagne dès 2011 a joué un rôle certain dans cette poussée indépendantiste. La poussée de la CUP le rappelle : beaucoup de Catalans voient désormais dans l'indépendance un moyen de défendre leur Etat-providence menacé par la politique de Madrid imposée par la « culture de stabilité » de la zone euro. Cette « culture de la stabilité » montre une nouvelle fois qu'elle est une source d'instabilité. Et c'est bien là où l'Europe ne peut se contenter de traiter l'affaire de Catalogne comme une simple affaire intérieure. Si la crise s'accroît, alors l'UE ne devra pas hésiter à intervenir. Elle devra cesser de regarder ailleurs en espérant qu'il ne se passera rien.

 Les résultats complets sont disponibles sur le site du gouvernement catalan.

Commentaires 30
à écrit le 31/03/2017 à 21:51
Signaler
Pour prendre la mesure du parti pris implicitement nationaliste catalan de Romaric Godin, il suffit de relire cet autre article. http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/en-catalogne-les-independantistes-obtiennent-la-majorite-des-sieges...

à écrit le 16/12/2015 à 13:52
Signaler
ESSAI

à écrit le 30/09/2015 à 17:32
Signaler
Si les indépendantistes ou sécessionnistes passent, n’est-ce pas la preuve que l’Europe a des soucis ? Avons-nous une sécession gris bleu et un euro de bois qui flambe au clair de lune avec un bonnet blanc à trous ? Ne manquerait-on pas de dents en t...

à écrit le 29/09/2015 à 8:40
Signaler
..." les catalans sont devenus independantistes ...en 2006 ..." : c'est une blague ? ma majorité est avec les 10 sièges de CUP qui , eux , dejà ne veulent pas de Mas ...; mariage de la carpe et du lapin ...; et enfin , Madrid a peut etre ( suremen...

à écrit le 28/09/2015 à 19:30
Signaler
Et quand ils auront banni l'Espagnol, que les entreprises étrangères auront déménagé à Madrid, que les étudiants européens qui venaient apprendre l'Espagnol ne seront plus là, que les hispanophones qui se croyaient chez eux s'exileront, écoeurés d'êt...

le 01/10/2015 à 0:33
Signaler
Excellente critique et je suis tout à fait d'accord avec vous. Beaucoup de Catalans ne savent plus que faire a cause des restrictions économiques tandis que d'autres, meme pas un 20% en profitent pour proposer une séparation en utilisant tous les me...

à écrit le 28/09/2015 à 18:29
Signaler
Encore un excellent diagnostique de la situation. Je partage votre scepticisme vis-à-vis des éventuelles réactions de Madrid et d'Europe. Les deux attitudes coïncident dans "on ne fait rien, tout passera" dans les meilleurs des cas, et on constate qu...

à écrit le 28/09/2015 à 14:41
Signaler
Quelque chose d'essentiel se joue pour l'Europe. Est-elle capable de ne parler de démocratie que pour les pays extérieurs à ses frontières? Ou peut-elle veiller à l'application des principes démocratiques à l'intérieur de celles-ci? Un Etat n'a jamai...

le 30/09/2015 à 8:19
Signaler
..." quelque chose d'essentiel se joue en Europe ..." vous ne pensez pas que c'est plustot vous ...qui vous la jouez un peu ? ( et bien sur Mas , acculé dans la position insoutenable dans laquelle il s'est placé ).

à écrit le 28/09/2015 à 11:32
Signaler
L'Espagne comme le Portugal n'ont pas de partis d'extrême droite et il n'y en avait effectivement pas dans ce vote. Faut dire qu'ils ont déjà donné jusqu'au milieu des années 70 (j'ai travaillé en Espagne du temps de la fin de la dictature et ça m'a ...

à écrit le 28/09/2015 à 10:48
Signaler
Génial, ils auront un drapeau tout neuf ! Ce sera formidable, ça fera oublier la misère, c'est sûr. C'est le Moyen-âge ! Et les Catalans qui ne veulent pas de cette indépendance ? Il faudra qu'ils s'exilent. Qui peut croire que ces pseudo indépendant...

à écrit le 28/09/2015 à 10:38
Signaler
Je ne sais pas ce que veut dire l'indépendantisme de la Catalogne comme souvent ces micro territoires qui réclament une indépendance. C'est au-dessus de leurs moyens. Il leur faudra lever une armée, construire une police, protéger ses frontières, cr...

le 30/09/2015 à 20:49
Signaler
Trop tard, vous avez déjà dérapé... c'est ce qui se passe quant se lance sans y réfléchir sur une piste dont on ignore tout et avec une carte routière vieille et abîme comme repère.

à écrit le 28/09/2015 à 10:34
Signaler
Comme l'ensemble des articles de Romaric Godin, celui-ci se termine sur un "c'est la faute à l'Europe". C'est comme une signature. S'il écrivait des bulletins de metéo ce serait sans doute pareil.

à écrit le 28/09/2015 à 9:27
Signaler
Voilà que la Catalogne a donné mandat a des gens véritablement concerné plutôt qu'a ceux qui ont un petit pied au pays, un pied a Madrid et un grand pied a Bruxelles, qui sont en faveur du régionalisme a la sauce UE!

à écrit le 28/09/2015 à 8:44
Signaler
bravo aux catalans, maintenant les catalans français devraient faire de même pour créer un nouveau pays. Je ne suis pas catalan mais j'ai une résidence secondaire là bas et cela me plairait d'être dans un autre pays pendant quelques semaines.

à écrit le 28/09/2015 à 8:40
Signaler
Finalement, un référendum pour l'indépendance aurait été plus simple. Le NON l'aurait emporté hier ce qui aurait calmé les indépendantistes (enfin temporairement, les nationalistes veulent toujours faire revoter leur peuple jusqu'à ce que le OUI pass...

à écrit le 28/09/2015 à 8:40
Signaler
Finalement, un référendum pour l'indépendance aurait été plus simple. Le NON l'aurait emporté hier ce qui aurait calmé les indépendantistes (enfin temporairement, les nationalistes veulent toujours faire revoter leur peuple jusqu'à ce que le OUI pass...

à écrit le 28/09/2015 à 7:32
Signaler
@ Totor Vous me l'enlevez de la bouche. Avec la disparition de la France , je pourrais exercer les titres que j'ai achetés chez Maître Du Sol , rue de la Grande Truanderie , et qui me feront Comte de Nansac. Enfin , je pourrais légalement me com...

à écrit le 28/09/2015 à 7:29
Signaler
Mais bien sûr, laissons le pouvoir aux multinationales/corporations qui devraient dirger le monde par droit "divin" monétaire. Ce ne sont pas ces régions sans pouvoir politique qui pourrons faire quoique ce soit face à elles. Jettes un coup d'oeil su...

le 29/09/2015 à 13:00
Signaler
Bien vu. Mais je vous signale que vous êtes en retard, la Grande-Bretagne a déjà, socialement, un pied dans le XIXiè siècle !

à écrit le 28/09/2015 à 7:00
Signaler
Je suis pas sure que la sécession soit une solution ...pensez-vous que le repli sur soi est une solution ... Moi , je ne le pense pas .... La Catalogne sans l'Espagne ne vaut rien ... Et vous le verrez rapidement ! Ils ont vécu ensemble pendant des s...

le 28/09/2015 à 8:39
Signaler
il semblerait s'il faut boire vos écrits sans broncher, moi vous voyez je dis bravo aux catalans, l'histoire, heureusement n'est pas scellé dans le marbre. Il y a aussi d'autres avis que le votre.

le 28/09/2015 à 14:46
Signaler
Vous semblez ne rien connaître à l'histoire de l'Espagne. Ils n'ont pas vécu ensemble pendant des siècles, cela fait des siècles que les Catalans et le reste de l'Espagne sont en conflit. Pourquoi croyez vous qu'on parle catalan en Catalogne et pas c...

à écrit le 28/09/2015 à 3:36
Signaler
Il faudrait que les régions de France demandent leur indépendance pour que la République Française disparaisse enfin. Les gens seraient plus heureux et plus besoin de fuir ce pays qui devient un boulet pour l'Europe entière. Les bobos parisiens pourr...

le 28/09/2015 à 19:30
Signaler
Patience, l'indépendance des régions en France, en Espagne, viendra nécessairement...Lorsque l'Etat diminuera son aide financière à ces régions. Ce sera alors le retour des royaumes, comme avant. Et une belle pagaille.

à écrit le 28/09/2015 à 0:44
Signaler
Quid du regionalisme ? Quid de la volonté politique européenne de fracturer les Etats-Nations en développant des grandes "euro régions" ? Et enfin : Quid des intérêts géopolitique et économique de cette séparation ? Allez monsieur Godin une...

le 28/09/2015 à 14:48
Signaler
Là est en effet la question. L'indépendance pour quoi faire ? La CUP veut que cela accélère la sortie de l'Union européenne, au contraire le parti d'Artur Mas veut que sa région se place sous l'aile protectrice de l'europe et de l'euro. dans le premi...

à écrit le 27/09/2015 à 23:30
Signaler
Est-ce à dire que la Paëlla ne sera plus le plat national catalan ? Les pêcheurs autochtones ont-ils au moins été mis au courant de cette nouvelle donne de la catalane Problématique ?

le 28/09/2015 à 8:41
Signaler
je ne comprends pas votre commentaire, vous pensez que ce sera les nems.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.