Séquence émotion à l'Université d'été du Medef

Le débat sur "Le droit à l'émotion" a fait salle comble. Michèle Alliot-Marie témoigne : "six heures après ma nomination avait lieu l'attentat de Karachi".
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Les organisateurs attendaient jeudi une forte présence à la conférence sur le pacte social du programme du B20 à la vue de l?immense tente dans laquelle elle avait lieu. A la même heure se déroulait dans le hall d?honneur (moitié moins de places) un débat intitulé « le droit à l?émotion ». Alors que les rangs du premier étaient totalement clairsemés, le second a fait salle comble. Deux heures durant, certains sont restés debout sans broncher dans une chaleur étouffante. L?animateur, Jean-Luc Placet, PDG d?IDRH, n?en croyait pas ses yeux, avouant devant cette assemblée attentive ?malgré l?heure de la digestion- sa réticence initiale devant le thème : « Quand on m?a proposé ce sujet sur l?émotion dans l?université d?été du Medef je me suis demandé à quelle sauce voulait me manger Laurence Parisot. Et puis lorsque j?ai découvert les intervenants de la table ronde j?ai compris qu?il était essentiel d?aborder ce sujet dans le monde de l?entreprise. Plus que jamais nous nous devons de regarder derrière le miroir pour sensibiliser les dirigeants à un monde en pleine mutation ».

Le « droit à l?émotion » donc, défendu à la tribune par des intervenants semble-t-il très concernés par le sujet : un ministre en exercice (Frédéric Mitterrand), une ex-ministre (Michelle Alliot-Marie), deux psy célèbres (Marcel Rufo, pédopsychiatre Marie-France Hirigoyen, psychiatre spécialiste du harcèlement moral), trois patrons (Stéphane Richard de France Télécom, Jérôme Clément du théâtre du Châtelet, Arnaud de Saint Simon du groupe de presse Psychologies) et enfin un avocat (Pierre Olivier Sur) et un philosophe professeur à HEC et SciencesPô (Charles Pépin).

Pour dire quoi ? « On a l?impression que la société et l?entreprise en particulier s?est formée contre les hommes, fuyant l?émotion. Retenir l?émotion à la porte de l?entreprise c?est retenir de l?eau avec les mains. L?entreprise est devenue un lieu d?émotion parfois même dangereux et difficile. Beaucoup d?éléments se jouent aujourd?hui dans nos vies professionnelles au travers de l?émotion » a introduit Jean-Luc Placet, concluant sur l?émotion qu?elle est une idée neuve en Europe.

Ce sur quoi il s?est fait immédiatement remettre à sa place par Frédéric Mitterand : « Rien n?est neuf en matière d?émotion. L?émotion est au c?ur du fonctionnement de l?histoire et de nos entreprises. Le mot a la même racine que le terme « émeute ». Par le passé on qualifiait par « émotion » les émeutes. On ne peut donc pas sortir l?émotion du cadre de nos activités. Alors le droit à l?émotion oui ! Mais quel devoir avons-nous face à l?émotion ? »
Le débat était lancé, tel un train à grande vitesse.

Vous avez dit « canaliser » ?

Marie-France Hirigoyen, psychiatre et psychanalyste spécialisée dans le harcèlement moral, s?est d?emblée chargée de resituer le sujet : « l?émotion naît dans le corps. Après elle devient un affect et ensuite un sentiment. Certaines personnes établissent une coupure entre le ressenti et l?éprouvé d?où la psychosomatisation. Et de citer en référence Marcel Mauss qui en 1921 précisait qu?on fait plus que manifester ses émotions : on les manifeste à soi en les manifestant aux autres. D?où son importance en terme de communication non verbale. Mais aussi son rôle dans les situations de burn out au travail, où l?émotion empêchée aboutie à une violence physique traduite en stress.

« Pourquoi avons-nous aujourd?hui le sentiment que ce sujet est très contemporain ? » interroge alors Arnaud de Saint Simon. Parce que par l?intermédiaire des médias on les partage et on les sublime. On les exprime plus volontiers collectivement qu?individuellement ». Une analyse confirmée par Marcel Ruffo, le pédopsychiatre venu souligner que l?émotion est quelque chose de très intime aux individus. L?enfant garde secrètement ses émotions. En grandissant il va ou non apprendre à s?en servir pour partir à la conquête de soi. Et de lancer à l?assemblée : « peut-être qu?un chef d?entreprise c?est celui qui va réussir à canaliser ses émotions ».
Stéphane Richard, le grand patron de France Télécom attrape la belle au bond. « C?est un vecteur fantastique. L?entreprise ne peut pas bannir l?émotion même si elle entre en contradiction apparente avec elle. Elle transcende la hiérarchie et permet de réunir les hommes et les femmes de tous niveaux ». N?éludant pas devant l?auditoire la crise profonde traversée ces dernières années par France Télécom, son patron admet que le premier des remèdes est de « permettre à cette émotion très forte de s?exprimer. C?est le premier travail que l?on a mené en interne. Le temps de l?écoute est fondamental et il est très dommageable pour l?entreprise de le refuser. Non seulement une entreprise doit l?accepter mais de surcroît l?accueillir ».

Qu?en est-il alors du domaine politique ? Car Michèle Alliot-Marie, si elle admet que l?émotion est aujourd?hui incontournable dans la sphère politique (« on est sensible si on montre ses larmes ») souligne l?ambiguïté d?une telle situation. « Six heures après ma nomination avait lieu l?attentat de Karachi, raconte-t-elle. A partir du moment où en qualité de ministre vous devez partager l?émotion, il faut veiller à ne pas s?y laisser emporter. On m?a souvent reproché d?être froide, précise-t-elle tout sourire, mais j?ai toujours pensé qu?il faut savoir maîtriser l?émotion pour aider les gens à aller de l?avant. On doit représenter un point d?ancrage qui puisse permettre aux individus de se reconstruire, donc veiller à ce que tout se passe bien pour ceux qui restent. ».

Là où le bât blesse

On le l?entend et on le sent. « Parler d?émotion ne pose en soi pas de problème lorsqu?il s?agit d?évènements graves, note Arnaud de Saint Simon. Ce qui paraît plus délicat ce sont la plupart des émotions honteuses, difficiles à dire et à nommer ».

D?où le danger dans l?entreprise de pousser les dirigeants à surfer sur la vague de l?émotion, prévient Marie-France Hirigoyen. « Beaucoup de dirigeants ont peur des émotions négatives. Quand vous êtes dans la colère ou la honte c?est en effet très difficile. Et pourtant la colère est motrice surtout dans les cas de harcèlement. Sans compter un autre versant peu glorieux de l?utilisation des émotions dans le monde du travail. Ainsi, dans les métiers de service où il faut en permanence éprouver un tas d?émotions positives face aux clients. « Les individus qui font cette gymnastique permanente n?éprouvent plus rien à terme y compris dans le registre personnel. Ce qui interroge la trop grande utilisation des émotions dans le domaine professionnel et qui court le risque de transformer les individus d?une société toute entière ». D?ailleurs précise la psy, « avant nous recevions sur nos divans des pathologies névrosées aujourd?hui ce sont des pathologies à dominante narcissiques. Soit dans le domaine de l?addiction (jusqu?à celle de l?amour) soit dans ce qu?on appelle aujourd?hui l?alexithymie (incapacité à identifier ses émotions et ses sentiments, à trouver les mots permettant de les exprimer, avec déficit de la vie imaginaire) ».

C?est là que la psy situe l?Homo Economicus d?aujourd?hui, dont la pensée opératoire est au top mais qui ne sait pas exprimer ses affects. « Ce sont ceux-là qui font le sale boulot dans les entreprises sans états d?âmes ».
La salle est alors parcourue d?une soudaine émotion. On entend des Oh et des ah, chacun venant par des onomatopées témoigner d?une forme de vécu. La psy imperturbable poursuit : « attention à rester des humains et à ne pas devenir des robots sans états d?âmes ». Soulagement. La salle applaudit à tout rompre.

Stéphane Richard, en sa qualité de patron, ne pouvait laisser passer si belle occasion de réagir. Réponse du berger à la bergère : « Le danger de l?émotion c?est qu?elle bloque l?action. Ce qu?on attend d?un dirigeant c?est qu?il soit plus dans les solutions que les problèmes. Pour y arriver il faut donc une émotion orientée empathie. Aujourd?hui on ne peut être efficace dans l?action que si l?on respecte un temps d?émotion. Et je suis d?accord pour dire que sa récupération est un risque mais pas seulement pour les dirigeants, pour les syndicats aussi. Dans ce domaine nous avons tous un devoir d?exemplarité ».

Quotient émotionnel contre quotient intellectuel

Il n?en fallait pas plus à Michèle Alliot-Marie pour repartir sur ce sujet : « je suis plus intéressée par le quotient émotionnel que le QI. Un dirigeant en capacité émotionnelle c?est celui qui sait prendre conscience de l?émotion de l?autre. Si l?on s?en tient à des dossiers et à des sondages en politique on se plante. L?émotion et l?empathie permettent d?entraîner les autres. Et votre capacité à laisser quelque chose derrière vous me disait Edgar Faure au début de ma carrière, c?est votre capacité à avoir entraîné les autres dans votre sillage ».

Ce qui, traduit par le professeur de philosophie Charles Pépin, donne à peu près ceci : « la raison n?est jamais autant la raison que lorsqu?elle est émue. La raison émue c?est celle qui comprend instantanément par l?intuition et l?évidence. S?il suffisait de savoir pour décider il n?y aurait aucun art de la décision. C?est dans l?au-delà du savoir que l?on trouve le courage de décider ».

Le mot de la fin de cette journée de l?université d?été du Medef qui avait pour thèmes « métamorphoses du présent » et « nouvelles figures de l?humanisme » revient au final au grand patron. Stéphane Richard conclut sous les applaudissements d?une salle visiblement émue : « beaucoup de problèmes dans les entreprises naissent de la qualité de la relation managériale. Il faut trouver des projets mobilisateurs pour retrouver le sens du collectif. La première forme d?émotion positive à entretenir dans l?entreprise est de trouver du sens à ce que l?on fait ». Rien à redire. Mais reste comme toujours l?épreuve des faits.


 

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Commentaires 3
à écrit le 03/09/2011 à 22:16
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Fumisterie. Et dire qu'on nous présente le MEDEF comme représentant du patronat. Non. Du patronat du "Crony-Capitalism" à la française. Aucun créateur là dedans. De l'ego, du surfait et de la com. Du vent en somme.

à écrit le 03/09/2011 à 14:34
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L'article est très instructif mais complètement déconnecté des réalités. La rationalité économique est portée par un seule émotion : l'appât du gain. Que cela détruise des salariés est secondaire. Secondaire signifiant : qui vient après un premier él...

le 04/09/2011 à 8:26
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Alors qu'un salarie en bonne sante physique et mentale(c'est a dire qu'on ne presse pas comme un citron et a suffisamment de repos pour avoir une vie sociale et se reposer) est bien plus productif qu'une personne qui subit un management aggressif et ...

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