On n'arrête pas le progrès

HOMO NUMERICUS. Les innovations doivent d'abord et avant tout servir le progrès. Oublier cette règle c'est prendre le risque d'associer « innovation » à « futilité ». Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
Philippe Boyer
(Crédits : © Herve Chatel / Hans Lucas)

Il existe de multiples façons d'innover. Si, innover consiste, pour le dire simplement, à mettre sur le marché de nouveaux produits ou procédés, quitte parfois à puiser son inspiration dans le passé, à l'instar de la future R5 électrique de Renault, son best-seller des années 1970 et 1980, le chemin de l'innovation se transforme parfois en un enfer pavé de bonnes intentions, surtout lorsque le produit espéré ne se plie pas aux contingences du monde réel.

Même les meilleurs ont à intégrer cette règle intangible quand bien même leur palmarès sur ce domaine ne serait plus à démontrer. On imagine la déflagration que cela a dû représenter pour les quelques 2.000 salariés affectés depuis dix années sur le projet « Titan » (nom de code du projet de voiturer autonome) lorsque Jeff Williams, directeur général adjoint, annonça il y a peu que l'Apple Car électrique et autonome ne verrait pas le jour... en tout cas pas dans l'immédiat.

Voiture autonome au point mort

Sans ergoter sur cette situation de clair-obscur qui, après plusieurs années d'espérance d'un nouvel âge d'or de la mobilité, assombrit la plupart des projets actuels de voitures totalement autonomes - fin 2023, Cruise, filiale de General Motors, ayant pourtant obtenu le droit de faire rouler ses voitures dans tout San Francisco, fut interdite de circulation en Californie - un constat s'impose : outre que pour l'instant ce marché est embryonnaire, les défis technologiques et réglementaires constituent autant de barrières à l'entrée qui ne facilitent pas l'industrialisation de ces solutions technologiques au-delà de quelques expérimentations.

Pour les constructeurs, et a fortiori pour les firmes technologiques, plutôt que de miser des sommes énormes sur la voiture autonome, il est plus sage de capitaliser sur le SDV, « Software Defined Vehicles », tendance qui fait que les voitures se transforment en de véritables smartphones sur roues dopés à l'intelligence artificielle. Au moins, sur ce segment, les futures courbes des ventes devraient sans peine rentabiliser les investissements.

Différentier innovation et progrès

Ce qui est vrai avec la voiture autonome, promue par ses thuriféraires comme devant être une innovation de rupture et vrai facteur de progrès, l'est aussi avec d'autres innovations censées transformer nos vies à l'instar des villes intelligentes (smart cities), de l'œil artificiel ou encore de la 6G. Tous les débuts d'année, le salon CES qui se tient à Las Vegas rivalise d'innovations, certaines utiles, d'autres futiles.

Sans tomber dans la caricature facile, on peut s'interroger sur la notion de progrès de ces aspirateurs-robots qui, couplés à des stations de vidange, sont capables de chauffer l'eau pour laver plus efficacement sa serpillière ? Que dire encore de cette peinture de voiture conçue pour changer de couleur au bon vouloir de son conducteur ?

Eduquer au progrès

Plus fondamentalement, c'est bien la notion de progrès qui doit plus que jamais être placée au centre des enjeux d'innovations. À l'instar de la maxime gravée sur le fronton du Grand Palais à Paris : « L'avenir sera fait des outils que nous avons créés», on pourrait ajouter que sans progrès, point d'innovation requise. Ce n'est sans doute pas un hasard si l'expression apparue il y a quelques années de « Tech for good », autrement dit ces technologies «inclusives », sans forcément être high-tech, va dans le sens de cette quête d'innovations porteuses de sens et partant de progrès.

Cerné par les thuriféraires de la décroissance ou par les techno-sceptiques, le progrès n'a d'autre choix que de prouver son indispensable apport dans de nombreux domaines à commencer par des domaines pour lesquels il y a une véritable urgence : l'environnement, la santé et l'éducation. Disons que la voiture autonome pourra attendre un peu, n'en déplaise aux millions de fans d'Apple qui se voyait sans doute déjà assis du côté conducteur de l'Apple Car non en train de surveiller la route, mais de visionner une vidéo. On n'arrête pas le progrès !

Philippe Boyer

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Commentaires 3
à écrit le 01/03/2024 à 8:34
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Ne pas confondre "Progrès" avec de simples innovations qui ont besoin de publicité pour être "adopté" ! ;-)

à écrit le 29/02/2024 à 11:31
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L'auteur de l'article évoque la voiture autonome et pose la question d'innovation et progrès .Si en soi la voiture autonome n'est pas un progrès bon nombre des technologies misent en œuvre sont déjà intégrées sur un grand nombre de voitures ; les ada...

à écrit le 29/02/2024 à 9:16
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Force est de constater que le progres n'est pas infini, dans plein de domaines, le progres s'est maintenant arrete

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