Le nouveau secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, n'a pas raté son baptême médiatique. En moins de 48 heures, il a martelé des idées totalement à contre courant de la doxa actuelle. Mettant ainsi en pratique la volonté du syndicat de proposer des alternatives à la "politique d'austérité" menée selon lui actuellement en France. Certes, inévitablement, la CGT combat la loi Macron et surtout ses articles qui concernent le monde du travail: libéralisation du travail du dimanche et et en soirée, modifications des règles sur les procédures de licenciements, etc.
Réduire la durée légale du travail à 32 heures hebdomadaires
Mais, la centrale ne s'arrête pas là. De façon plus iconoclaste, elle veut relancer le débat sur la réduction du temps de travail. Elle suggère ainsi qu'on débatte sur un passage aux 32 heures légales. C'est-à-dire que ce serait à compter de 32 heures et non plus 35 heures que se déclencherait le mécanisme des heures supplémentaires.
"Parler des 32 heures par exemple aujourd'hui ne me semble pas une absurdité. Il y a besoin que des salariés qui ont trop de travail, qui sont mal dans leur travail, puissent laisser un peu de temps à ceux qui n'ont pas d'emploi", a expliqué Philippe Martinez ce jeudi 5 février sur France Inter. Et d'ajouter "C'est un vrai défi pour les années qui viennent, cette question de la réduction du temps de travail".
Philippe Martinez assume totalement cette idée qui va à l'encontre du discours ambiant: "je pense qu'être à contre-courant, c'est offrir des perspectives. On n'est pas les seuls à être à contre-courant. Le débat a lieu dans d'autres pays européens sur la réduction du temps de travail", a-t-il souligné.
Une déclaration qui intervient alors que l'on fête cette année les 15 ans des lois Aubry qui ont fixé la durée légale du travail à 35 heures. Or, de nombreuses voix à droite, mais aussi à gauche, prônent un assouplissement de cette durée légale, voire sa suppression, pour laisser les entreprises libres de fixer leurs propres règles. Avec l'idée de leur permettre de limiter , voire de supprimer, le "surcoût" lié aux heures supplémentaires.
"Le coût de la rémunération du capital" s'élèverait à 93 milliards d'euros
Mais Philippe Martinez va encore plus loin en relançant une vieille antienne de la CGT sur le "coût du capital" à opposer au "coût du travail", régulièrement dénoncé.
En 2013, le syndicat s'était appuyé sur une étude publiée par le Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé), une structure de recherches commune à l'Université Lille 1 et au CNRS, qui tend à démontrer que le " coût du capital" est surévalué en France. Selon l'étude, ce surcoût atteindrait 93 milliards d'euros qui pèsent sur les entreprises.
En effet, selon le Clersé :
" L'acquisition des biens capitaux par les entreprises se « charge » ou « se surcharge » d'un coût financier qui est déterminé par les modalités d'approvisionnement des entreprises en capitaux liquides nécessaires au financement des ces acquisitions. Ce coût qui s'ajoute au coût réel du capital est formé concrètement de revenus prélevés sur l'entreprise - les intérêts et les dividendes - qui n'ont, en dehors du risque entrepreneurial, aucune justification économique. Ils relèvent pour une bonne part d'un phénomène de pure rente dont la société dans son ensemble aurait intérêt à se libérer (...). C'est cette part dispensable de la rente financière que nous qualifions de surcoût du capital ".
En d'autres termes, pour la CGT, ce surcoût, qui trouve son origine dans la "financiarisation de l'économie ", est constituée de la part de la rente financière qui pourrait être éliminée "sans dommage pour l'accumulation du capital productif ".
C'est le besoin de financer ce surcoût de capital qui, selon la CGT, pousse les entreprises à renoncer à des projets économiques susceptibles d'entraîner un retour sur investissements inférieurs à 15%.... Pas assez rémunérateurs. Toujours pour la CGT, c'est encore pour cette raison qu'un salarié " consacre maintenant 45 journées de travail à l'actionnaire, contre 12 jours en 1981".
Créer un indice du coût du capital
La centrale veut donc que le gouvernement prenne le coût du capital en considération. Constatant qu'il existe bien un indice du coût du travail, elle propose que soit mis en place un groupe de travail, sous l'égide du Conseil national de l'information statistiques (Cnis), pour élaborer "un indice du coût du capital, permettant de définir l'impact de la financiarisation sur le développement des entreprises, de l'emploi, des salaires, de la protection sociale et des services publics".
La CGT plaide aussi pour l'organisation d'un débat contradictoire sur la répartition des richesses créées par le travail pour déterminer " quelle part va à la rémunération du travail, quelle part va à l'investissement, quelle part va à la rémunération du capital, quelle part va au financement des politiques d'intérêt général via l'impôt".
Reste à savoir si ces idées vont "prendre" dans l'opinion, tant elles vont à l'encontre de toutes les thèses développées - et répétées en boucle - actuellement.