Pourquoi l'Allemagne peut encore remettre en cause le plan de sauvetage de l'euro

Deux rapports dévoilés outre-Rhin insistent sur la perte de souveraineté budgétaire du Bundestag dans le cadre du mécanisme de stabilité de l'euro qui devra entrer en vigueur en 2013. Le texte pourrait échouer à Karlsruhe devant la cour constitutionnelle.
Copyright Reuters

L'Allemagne est encore loin d'accepter entièrement la création du mécanisme européen de stabilité. Certes, la chancelière Angela Merkel a donné son accord et elle dispose en théorie d'une majorité confortable au Bundestag. Mais l'affaire n'est pas si simple. La popularité chancelante de la coalition au pouvoir à Berlin, les réticences persistantes de la population et l'épée de Damoclès de la cour constitutionnelle de Karlsruhe représentent des obstacles bien délicats à franchir pour le gouvernement fédéral. Deux rapports viennent de le rappeler et de donner un sérieux avertissement à Angela Merkel.

La constitution allemande interdit à Berlin de signer un chèque en blanc à Bruxelles

Le message de ces deux rapports, le premier de la cour fédérale des comptes, le second des services scientifiques du Bundestag, peut se résumer en un mot : l'Allemagne risque, avec ce nouveau mécanisme, de signer un chèque en blanc à l'Europe, ce qui est inconstitutionnel. Les deux documents s'inquiètent du mécanisme lié au risque de défaut de l'ESM si le fonctionnement de ce dernier est calqué sur celui de son prédécesseur l'EFSF.

En ce cas, en effet, c'est le conseil d'administration de l'entité européenne, formé des représentants des pays membres, qui décide de son renflouement. Or, souligne le rapport parlementaire dévoilé ce mercredi par le quotidien économique allemand Handelsblatt, "un contrôle par les législateurs nationaux ou la participation de ces derniers à la décision n'est pas prévu". Et le rapport de poursuivre : "Au final, cette procédure placerait l'Allemagne dans la position de devoir accepter des obligations, sans pouvoir déterminer de façon autonome la hauteur de ses engagements et leurs conditions". Du coup, "le législateur national se verrait limiter son pouvoir de décision sur l'endettement de l'Etat". Même constatation de la cour des comptes qui insiste sur le fait que cette décision de renflouer l'ESM pourrait être prise à la majorité simple, c'est-à-dire même contre l'avis du représentant allemand.

Et que se passera-t-il si une nouvelle crise oblige les Etats européens à dépenser plus que prévu ?

Cette analyse pose deux problèmes. Le premier est d'ordre budgétaire. La cour des comptes met en garde contre le montant des sommes mises à la disposition de l'ESM par l'Allemagne. Officiellement, il s'agira de 22 milliards d'euros de numéraire et de 168 milliards d'euros de garanties. Des sommes que la Cour juge déjà considérables : "Cela représente jusqu'à deux tiers des revenus fiscaux de la Fédération" souligne-t-elle. Mais elle met en garde. En théorie, la constitution du fonds en numéraire de l'ESM, 80 milliards d'euros au total, durera cinq ans à partir de sa création en 2013. Mais que se passera-t-il s'il y a durant cette période une crise qui oblige l'ESM à intervenir au-delà de ses capacités alors constituées ? "Si le capital en numéraire ne suffit pas, s'inquiète la cour des comptes, du capital supplémentaire sera automatiquement transféré depuis les Etats membres". Et la Cour de prévenir Angela Merkel : s'il faut payer les garanties accordées, alors le gouvernement devra faire son deuil de la règle constitutionnelle qui, à partir de 2016, limite à 0,35 % du PIB le déficit budgétaire de l'Etat fédéral.


L'ESM posera donc un second problème, constitutionnel celui-là. D'autant que l'absence de contrôle budgétaire par le parlement pourrait attirer l'attention de la Cour de Karlsruhe. Cette dernière avait, en effet, indiqué, lors de sa décision sur le Traité de Lisbonne le 30 juin 2009 que "le transfert de compétence vers l'UE est conditionné à la souveraineté constitutionnelle de l'Allemagne". La Cour constitutionnelle avait même explicitement précisé que la "constitution n'autorise pas les organes d'Etat allemands à transférer des droits souverains qui pourraient donner lieu de façon autonome à de concessions ultérieures" (voir le document original en allemand). Voilà qui ressemble étrangement au cas de l'ESM. En cas de plainte à Karlsruhe, nul doute que ce mécanisme européen pourrait donc être remis en cause.

Si les parlementaires ont leur mot à dire, les marchés risquent de ne plus avoir confiance

Du coup, la cour des comptes invite le Parlement à poser ses conditions et à réclamer le droit de donner son feu vert à tout paiement supplémentaire ou non prévu. Mais cela reviendrait à placer l'ESM sous la dépendance du Bundestag ou, si le système est élargi à l'ensemble de l'Europe, des parlements des grands Etats. Une telle incertitude nuirait à la confiance que se propose justement de rétablir le mécanisme. Le SPD a déjà déposé une motion pour réclamer le "respect du droit du parlement" par le gouvernement. Et au sein de la coalition, les dents commencent à grincer. Selon le Handelsblatt, le président CDU du Bundestag Norbert Lammert aurait écrit à Angela Merkel pour réclamer plus de transparence sur sa politique européenne et ses conséquences.

Pour la chancelière, l'affaire est délicate. Céder aux exigences des parlementaires reviendrait à fragiliser l'accord européen sur l'ESM. Mais les ignorer pourrait conduire à des difficultés dans l'adoption de la loi, d'autant que le Bundesrat est désormais sans majorité fixe. Et, au final, le risque serait de voir le texte rejeté à Karlsruhe, ce qui pourrait également dans ce cas déclencher une nouvelle crise européenne. Bref, Angela Merkel pourrait bien être perdante à tous les coups. Et l'Europe avec elle.

Commentaires 17
à écrit le 14/04/2011 à 10:02
Signaler
En ce moment a lieu en Chine le sommet des BRICS (Brazil, Russia, India, China & South-Africa). Tous les chefs d'états de cette union étudient l'avènement d'une autre devise internationale pour remplacer le dollar (et aussi l'euro). L'Allemagne étan...

à écrit le 14/04/2011 à 7:16
Signaler
Si la gross Allemagne ne veut plus banquer il ne nous restera que la solution de l'achat par les banques chinoises de nos obligations comme viennent de la faire la Grèce et tout récemment l'Espagne. Ensuite une fois le loup entré dans la bergerie la ...

le 14/04/2011 à 7:36
Signaler
En effet, ce risque est entrain de devenir une réalité et il faut donc trouver une autre solution, celle préconisée par le FN par exemple !

à écrit le 14/04/2011 à 7:15
Signaler
@Alrix , Si l'Allemagne revenait au Deutsche Mark ce serait ce qui pourrait arriver de mieux à l'UE. Les règles actuelles favorisent l'économie allemande et ils le savent. Alors n'y comptez pas trop. Le capital allemand fera tout pour garder l'euro. ...

le 15/04/2011 à 8:15
Signaler
En vérité nous devons nous en prendre à nous même, nous avons imposé avec l'Allemagne des règles dans la zone euro qui favorisent les plus forts parce-que nous pensions pouvoir aussi en profiter. Nous avons étés bien naifs et peut-être aussi un peu l...

à écrit le 14/04/2011 à 7:14
Signaler
Quand on voit la tête d'Angela Merkel on a envie de lui prescrire des dragées Fuca et l'on voit bien que l'affaire est mal partie. Il faut faire comprendre à l'Allemagne qu'il faut faire un peu d'inflation, seule porte de sortie pour combattre les dé...

à écrit le 13/04/2011 à 19:44
Signaler
L'Allemagne a UN problème, un UNIQUE problème : qu'aucun homme politique ne puisse gérer la monnaie. C'est son OBSESSION, une obsession maladive qui la ronge, qui guide TOUTES ses décisions, qui représente un POISON, un danger mortel... Donner la ges...

le 14/04/2011 à 5:02
Signaler
Et en même temps, je comprends tout à fait que les Allemands, que vous décriez tant, ne veuillent payer éternellement pour des pays ayant des politiques aussi irresponsable comme la Grèce, le Portugal, l'Espagne, l'Italie et la France. L'Euro n'est ...

le 14/04/2011 à 14:56
Signaler
Si l'Allemagne avait le DeustchMark, sa monnaie serait tellement forte qu'elle ne pourrait plus exporter (comme les Suisses qui sont étranglés par la force du franc suisse). Et puis si l'euro n'est qu'un bout de papier pour vous, je veux bien que vo...

le 14/04/2011 à 18:18
Signaler
je ne crois pas mon cher vido , l'Allemagne à certain temps avec l'Euro fort ne se plaind pas et son économie basée sur le commerce roule à plein régime . Mais ce qui choque les allemands dans cet europe c'est qu'ils font des énormes efforts depuis d...

à écrit le 13/04/2011 à 17:37
Signaler
Les Allemands savent que l'Euro est une mine d'or pour eux. Je fais confiance à leur cupidité. Ils feront le nécessaire pour garder et sauver l'Euro. Entre ce qu'ils disent et ce qu'ils font il y a une belle différence. Aucun autre pays européen ne p...

le 13/04/2011 à 19:03
Signaler
@ Arminius : Facile d'accuser sans réfléchir, les autres de cupidité !

le 13/04/2011 à 21:57
Signaler
@ Yves, je n'accuse pas, je constate! Il n'y a pas a reflechir il suffit de lire les chiffres; 154 Milliards d'excédent commercial en 2010, le dix-septième d'affilée. Il ne vont pas tuer la poule aux ?ufs d'or, ne vous en faites pas. Cupides mais pas...

le 14/04/2011 à 7:19
Signaler
Vous avez tord l'Allemagne n'est pas aussi cupide que ça, si le prix à payer est de perdre ce que l'on "a de bon" alors pas la peine de continuer. Ca marche en ce moment parce que l'Allemagne a eu la "grande sagesse" de garder son industrie. Il faut ...

le 14/04/2011 à 14:46
Signaler
D'accord avec Perso, l'allemagne en est là car elle a su faire les réformes nécessaires au moment où il le fallait.

à écrit le 13/04/2011 à 16:51
Signaler
Il n'ont qu'à faire comme les dirigeants français : s'assoir sur la constitution et la démocratie. Après tout, on veut une Europe de tyrans ou pas ...

à écrit le 13/04/2011 à 15:16
Signaler
« le transfert de compétence vers l'UE est conditionné à la souveraineté constitutionnelle. (...) La constitution n'autorise pas les organes d'Etat allemands à transférer des droits souverains qui pourraient donner lieu de façon autonome à de concess...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.