Débat télévisé Royal - Sarkozy : l'intégrale (première partie)

Retrouvez dans la série d'articles ci-joint la version intégrale du débat télévisé intervenu mercredi soir entre le candidat UMP à l'élection présidentielle Nicolas Sarkozy et la candidate PS Ségolène Royal. Pour ceux qui auraient raté ce moment fort de la campagne et ceux qui voudraient le relire avec attention. Les thèmes abordés sont indiqués entre parenthèses, les questions des deux journalistes sont signalées par un tiret.

Patrick Poivre d'Arvor (TF1) et Arlette Chabot (France 2) - "Nous avons décidé de définir quatre grands chapitres de durée à peu près égale : la conception du pouvoir et des institutions, les problèmes économiques et sociaux, les problèmes dits de société (éducation, famille, recherche, culture, environnement...), les relations internationales avec l'Europe comprise.
Avant tout, quel est votre état d'esprit ? Ségolène Royal, vous vous sentez comment ?

Ségolène Royal : Très bien, très heureuse.

- Et vous Nicolas Sarkozy ?

Nicolas Sarkozy : Concentré parce qu'un débat est quelque chose d'exigeant. Et les Français nous ont sélectionnés, Mme Royal et moi, pour être au deuxième tour. Donc nous portons tous les deux une responsabilité, la même, celle de redonne à la vie politique sa dignité. Donc, j'espère qu'à la fin du débat, ceux qui nous regardent, quelles que soient leurs convictions, pourront se dire : voilà on en sait un peu, on a compris ce que l'un et l'autre veut faire pour la France.

- Quel président serez-vous si vous êtes élu ? Vous appartenez tous les deux à une nouvelle génération. Ensuite, il y a eu le quinquennat qui accélère la vie politique française. Donc quel style voulez-vous donner à cette présidence ? Quels pouvoirs doit avoir un président dans un monde moderne et quels contre-pouvoirs pouvez-vous installer ?

N.S. : L'affaire de génération, il faut rester un peu calme là-dessus. Nous sommes des quinquagénaires. Dans l'entreprise, ce n'est pas les tout jeunes et je ne pense pas d'ailleurs que l'âge change quelque chose à l'affaire. Ce qui est important, c'est de tirer les conséquences de tsunamis politiques de ces dernières années en France. 2002, Jean-Marie Le Pen au deuxième tour ; 2005, le non au référendum. On ne peut plus faire de la politique comme avant. J'essaierai, si les Français me font confiance, d'être un président de la République qui, d'abord, s'engagera sur des résultats. Je veux des résultats ; il ne s'agit plus de dire, il ne s'agit plus de proclamer des droits virtuels. Il faut promettre aux Français des droits qui deviendront réels, des résultats.

Je voudrais être un président de la République qui prend ses responsabilités. Je ne m'abriterai pas derrière des tabous, derrière des excuses ou des paravents. Je vais m'engager sur un certain nombre de sujets, je prendrai des engagements, je tiendrai parole et je demanderai à être jugé là-dessus. Je voudrais également être un président de la République qui parlera beaucoup plus fréquemment aux Français, qui leur expliquera les choses. Et je demanderai d'ailleurs à chacun des ministres -je leur donnerai une lettre de mission et, chaque année, ils rendront compte de ce qu'ils ont fait ou pas pu faire et pourquoi.

Je voudrais également une République irréprochable. Cela veut dire une République où les nominations seront simplement le fait de la compétence et non pas de la connivence. Je vais donc proposer un changement très important qui ne s'est jamais produit dans la Répuolique française : pour toutes les grandes nominations, qui sont aujourd'hui dans le pouvoir du président de la République, je proposerai que les choix que je proposerai au Conseil des ministres soient ratifiés par un vote à la majorité qualifiée des commissions compétentes du Parlement, ce qui veut dire que l'opposition aura son droit de veto. Les nominations, me semble-t-il, doivent être hors de tout soupçon ; seule la compétence doit compter.

Enfin, je voudrais être un président de la République qui fera une chose nouvelle, qui limitera le nombre de mandats successifs. Je pense qu'on ne peut pas être candidat et président de la République plus de deux mandats successifs. Pourquoi ? Parce que l'énergie qu'on met à durer, on ne la met pas à faire. La passion de ma vie porte un nom : l'action. Je veux le faire. Et si les Français nous choisissent, que ce soit Mme Royal ou moi, ils nous choisiront pour faire, pour agir, pour changer, pour obtenir des résultats. C'est cela la vision que j'ai du président de la République moderne.

- Ségolène Royal, votre conception du pouvoir et d'un président de la République ?

S.R. : Je souhaite sortir la France de la situation dans laquelle elle se trouve aujourd'hui. D'abord, la dette puisque, aujourd'hui, la France est endettée -plus de 20.000 euros par Français-, le nombre de travailleurs pauvres -deux millions et demi de travailleurs pauvres en France-, la précarité qui s'est accrue, du pouvoir d'achat qui s'est abaissé, de la pauvreté -deux millions et demi de Français vivent en dessous du seuil de pauvreté, parmi eux deux millions d'enfants, comme le dit l'association Emmaüs, des retraites qui ont perdu du pouvoir d'achat - le niveau moyen des retraites des femmes est de 850 euros pour une carrière complète et de 622 euros pour une carrière incomplète parce que les femmes subissent très durement le chômage partiel-, un déficit de la Sécurité sociale qui s'élève à 11 milliards d'euros, un chômage qui touche près de 3 millions de personnes, des agressions qui ont augmenté depuis 2002 de plus de 30%, de violences physiques gratuites contre les personnes.

En 2002, vous aviez parlé de "tolérance zéro" et vous avez vu qu'aujourd'hui, les Français s'inquiètent beaucoup de la montée des violences et des agressivités dans la société française. Le nombre de faits de violence à l'école a augmenté de 26%.

Alors, voilà, je veux être la présidente de la République qui va faire une France où l'agressivité et les violences reculent, qui va faire une France qui va gagner la bataille contre le chômage et contre la vie chère, qui va permettre aussi que reculent les inégalités, parce que je crois que toutes ces formes d'insécurité au quotidien, d'insécurité sociale, appellent de nouvelles règles du jeu, appellent un nouveau système politique, appellent en effet des responsables politiques plus efficaces qu'ils ne l'ont été au cours des cinq dernières années et même au-delà sans doute, parce que je ne schématise pas l'Histoire.

Mais il est vrai aussi que la morale politique -puisque vous venez d'évoquer ce mot- demande que les responsables politiques rendent des comptes par rapport à ce qu'ils ont fait. Je sais aussi que ce qui intéresse les Français c'est le futur. Mais malgré tout, Monsieur Nicolas Sarkozy, vous estimez-vous pour une part responsable de la situation dans laquelle se trouve la France aujourd'hui ?

(débat sur la sécurité)

N.S. : Est-ce que je suis responsable d'une partie du bilan du gouvernement ? Oui, Madame Royal. Vous avez parlé des violences, je suis responsable. J'ai été le ministre de l'Intérieur pendant quatre ans, j'ai trouvé une situation catastrophique qui a compté pour beaucoup dans la défaite d vos amis du gouvernement auquel vous apparteniez à l'époque. Si, en 2002, les Français on changé, n'ont même pas qualifié le Premier ministre que vous souteniez pour le deuxième tour, il y avait bien une raison. Cette raison, chacun l'a observée.

C'est parce que les violences et la délinquance avaient explosé. Et c'est dans ces conditions que j'ai été nommé ministre de l'Intérieur. Tout n'a pas été réussi. Et il y a un point sur lequel je voudrais vous dire que je suis d'accord : c'est que, sur les défaillances de la République, gauche et droite confondues, nous avons chacun notre part et vous avez raison de dire qu'il ne faut pas avoir une vision manichéenne.

Donc sur le bilan en matière de violence, de délinquance, avec le même appareil statistique, rien n'a changé, c'est le même à l'époque de Daniel Vaillant et le même maintenant, sur les cinq ans de gouvernement Jospin, la violence, la délinquance avaient augmenté de 18% ; sur les cinq années du gouvernement du quinquennat de Jacques Chirac, la délinquance, avec le même appareil statistique, a diminué de 10%. Je ne dis pas que tout est résolu. Cela fait quand même un million de victimes en moins. C'est, me semble-t-il, suffisant pour que je ne parte pas en courant quand on évoque le mot "bilan" sur la sécurité.

Il y a un deuxième point où l'on est en accord : il faut résoudre le problème de la dette. Vous avez parfaitement raison. Mais, Madame Royal, vous savez bien, vous connaissez les chiffres comme moi, j'imagine que, dans cette campagne électorale, on est au même niveau de préparation, cela fait depuis combien de temps que les budgets de la France sont en déficit ? Vingt-cinq ans. On ne peut pas expliquer que l'endettement de la France dépend des cinq dernières années. Vous avez raison, il faut réduire l'endettement. Le problème est comment on le fait.

Je propose une chose. 45% du budget de la France, c'est les salaires de la fonction publique et les pensions de retraite, 15% les intérêts de la dette, 60% ces deux postes. Donc se trouvera poser pour Mme Royal comme pour moi -ce n'est pas une question de gauche ou de droite, c'est une question de bon sens. Si vous voulez, comme je le pense, réduire la dette de la France, il va bien falloir faire des économies. On ne peut pas réduire la dette de la France si on dépense autant. Nous avons une opportunité historique : la pyramide d'âge dans la fonction publique. Il faut réduire le train de vie de l'Etat, réduire les dépenses.

Donc, si je suis président de la République, je vais proposer aux fonctionnaires un pacte de progrès : on remplacera un départ sur deux à la retraite, la moitié des gains de productivité permettant d'augmenter les salaires des fonctionnaires, parce que les salaires de la fonction publique sont très bas, l'autre moitié permettant de réduire la dette de la France. C'est impératif. Est-ce que, au moins, sur ce choix là, nous ne pourrions pas, gauche et droite, opposition et majorité selon le choix des Français, nous trouver d'accord pour dire, bien sûr si l'on veut soulager la dette des Français, qui est injuste pour les générations qui viennent, il va bien falloir qu'on fasse des économies et que les économies, on les fait sur les gros postes de dépenses.

S.R. : Je voudrais revenir un instant sur la conception du pouvoir, parce que c'est important, sur cet engagement qui consiste pour tout chef d'Etat demain de rendre de comptes sur son pouvoir passé. Nous sommes en 2007, nous ne sommes pas en 2002. Donc j'observe déjà que, sur le bilan que j'ai fait tout à l'heure sur la situation de la France, qui inquiète aujourd'hui les Français, vous ne contestez pas ce bilan. J'ajoute, Monsieur Nicolas Sarkozy, qu'il y a deux jours, une femme policière s'est fait violer, tout près de son commissariat à Bobigny, en sortant de son commissariat. Au mois de mars dernier, au même endroit, l'une de ses collègues s'était également fait violer. Qu'est-ce qui s'est passé entre ces deux faits pour qu'aucune protection ne soit apportée à une femme policière ?

Demain, si je suis élue président de la République, les agents publics seront protégés et en particulier les femmes, elles seront accompagnées à leur domicile lorsqu'elles sortent tardivement des commissariats de police. Je dis cela parce que cela me permet devenir directement à la question que vous posez sur les agents publics et sur la diminution du nombre de fonctionnaires. Non, je ne diminuerai pas le nombre de fonctionnaires ou alors il va falloir me dire dans quel domaine vous allez réduire ce nombre de fonctionnaires, parce que, s'il y avait davantage de policiers, peut-être que cette femme n'aurait pas été violée parce qu'elle n'aurait pas été seule ; elle serait rentrée chez elle avec un collègue.

Peut-être que, s'il y avait davantage de fonctionnaires aussi, si vous n'aviez pas supprimé autant d'emplois dans l'Education nationale, nous n'aurions pas les fermetures de classes à la rentrée prochaine et une augmentation de l'échec scolaire. Peut-être que, si nous avions aussi davantage d'agents publics, notamment d'infirmières, nous n'aurions pas une dégradation de leurs conditions de travail à l'hôpital public et une montée des inquiétudes comme je l'ai encore observé récemment en me rendant dans un hôpital public à Corbeil, où les personnels de l'hôpital ont tiré la sonnette d'alarme et sont très inquiets sur l'avenir de l'hôpital public. Et ils m'ont demandé de les aider, je leur ai donné des engagements sur ce sujet. Oui, l'hôpital public redeviendra une priorité.

Bien sûr, on peut faire améliorer l'efficacité du service public, on peut évaluer l'efficacité du service public, mais il faut dire très clairement aux Français, lorsque vous leur dites qu'il y aura 225.000 fonctionnaires en moins où vous allez les retirer. Moi, je crois tout le contraire de ce que vous venez de dire, c'est-à-dire que ce sont les services publics efficaces qui garantissent aussi la compétitivité économique d'une entreprise et la compétitivité économique de l'économie française.

Et lorsque l'on demande aux investisseurs étrangers pourquoi ils viennent en France, savez-vous ce qu'ils citent en premier ? La qualité du service public de la France. Alors, le nombre de fonctionnaires sera maintenu. En revanche, comme je réformerai la décentralisation, c'est-à-dire comme je vais faire une nouvelle étape -et une vraie cette fois- de régionalisation, au lieu d'avoir des doublons, des chevauchements, de l'augmentation de la fiscalité locale, parce que, avec votre loi, l'Etat a transféré des compétences sans transférer les ressources et sans clarifier la répartition des responsabilités, je propose de lutter contre toutes les formes de gaspillage d'argent public, parce que chacun sera au clair sur ses responsabilités : la région saura ce qu'elle a à faire -et en particulier les aides économiques-, les départements seront au clair sur leurs responsabilités, les communautés d'agglomérations et les communautés de communes aussi et les communes. Et il n'y aura plus ces chevauchements et ces gaspillages, c'est-à-dire une véritable réforme de l'Etat pour qu'il soit à la fois plus rapide, plus efficace et plus économe en fonds publics.

- Nous laissons répondre Nicolas Sarkozy et on ira au fond de notre première question : faut-il changer les institutions actuelles ?

N.S. : Je ne veux pas polémiquer avec Mme Royal. Je dirai juste un mot. Elle trouve qu'il n'y a pas assez de policiers ; c'est dommage que le groupe socialiste n'ait pas voté les créations d'emplois de policiers sur les quatre dernières années.

S.R. : Permettez-moi de vous interrompre. Le commissariat de Clichy que vous aviez promis n'est toujours pas ouvert. Alors en effet, il manque de policiers.

N.S. : Très bien, alors expliquez-nous pourquoi le groupe socialiste n'a pas voté les créations de la loi de programmation de 2002...

S.R.: Parce que ce n'était pas suffisant sans doute et qu'en particulier, il n'y avait pas suffisamment d'équilibre aussi avec la justice qui est aussi en situation de grande misère. Voulez-vous nous dire que vous allez aussi supprimer des magistrats, alors qu'il n'y a aucune réponse pour l'accueil des mineurs délinquants et que vous n'avez pas construit les centres renforcés ?

N.S. : Si vous me permettez, sur la réduction de l'endettement, aucune piste d'économies. Il s'agit simplement pour Mme Royal de dire qu'elle va transférer aux régions, ce qui d'ailleurs est assez cohérent, ce qui permettra aux régions de faire une autre augmentation d'impôts après les augmentations faramineuses que vous avez réalisées les deux dernières années.

Sur les policiers, il n'y en a pas assez, mais chaque fois que j'ai proposé des créations de postes, puisque nous en avons créé beaucoup, des milliers de policiers et de gendarmes, le groupe socialiste ne les a pas votés. Passons, ce n'est pas le plus important.

Ce qui est très important, c'est que vous avez parlé de cet abominable viol dans le parc de Bobigny. Si vous devez faire raccompagner toutes les femmes fonctionnaires chez elles la nuit, il faudra dire, il y aura une fonction publique au service des Français et une autre fonction publique des fonctionnaires qui rentrent.

S.R. : Mais cela ne m'amuse pas cela, ce crime abominable... Vous avez une autre solution ?

N.S. : Si vous me permettez de répondre, la solution n'est pas de mettre un garde du corps à chaque fonctionnaire femme qui rentre chez elle, la solution est de réprimer les délinquants pour qu'il n'y en ait plus ou moins. Qu'est-ce que je propose ? D'abord, je propose qu'il n'y ait plus un seul délinquant sexuel...

S.R. : Zéro délinquant sexuel... vous l'aviez dit déjà dit en 2002, cela...

N.S. : Mais non, Madame. Ne vous abaissez pas à cela...

S.R. : "Tolérance zéro" aviez-vous dit...

N.S. : Sur les délinquants sexuels, je propose qu'il n'y en ait plus un seul qui puisse sortir de prison, car vous connaissez la récidive, sans s'engager à suivre un traitement, premier point ; deuxième point, sans être obligé de pointer au commissariat ou à la gendarmerie de son domicile toutes les semaines. En matière de viol, les récidives sont considérables.

Je fais deux autres propositions s'agissant des récidivistes. Vous savez sans doute que 50% des crimes et délits sont le fait de 5% de délinquants multirécidivistes. Je propose d'instaurer des peines planchers. Je dis aux Français, si je suis président de la République, avant la fin de l'été 2007, les récidivistes seront punis très sévèrement et, au moment de la récidive, ils auront la certitude d'une sanction sévère. On ne peut plus continuer à avoir des individus qui viennent 50, 60, 70 fois devant le même tribunal.

Troisième élément, il faut résoudre le problème des mineurs. L'impunité des mineurs est catastrophique. Il faut réformer l'ordonnance pénale de 1945. Et si je suis élu président de la République, je proposerai qu'un mineur multirécidiviste entre 16 et 18 ans soit puni comme un majeur. Par parenthèse, Madame, lorsqu'on est une victime d'un individu de 17 ans ou de 19 ans, le résultat est le même.

(débat sur les effectifs de la fonction publique)

(suite de N.S.) Vous m'avez interrogé sur le fait de savoir où on trouve les économies de fonctionnaires. Avec ce que je propose, Madame, nous reviendrons aux effectifs de la fonction publique en 1992, époque où François Mitterrand était président de la République, je ne sache pas qu'à l'époque, la France était sous administrée. La France a créé un million d'emplois publics depuis 1981 et vous venez expliquer, on ne peut rien changer.

Prenons des exemples : 20.000 douaniers, cela n'a pas bougé depuis 1981, entre-temps on a supprimé les frontières. L'Etat a transféré la compétence de la formation professionnelle aux régions, entre-temps les effectifs de la formation professionnelle dans l'Etat ont augmenté de 60%. L'Etat a transféré aux départements les compétences sociales, entre-temps, les effectifs de l'Etat sur les compétences sociales ont été multipliées par quatre. L'informatisation a fait des progrès considérables, notamment dans un ministère que j'ai connu puisque je l'ai dirigé, le ministère des Finances : 80.000 fonctionnaires à la DGI pour calculer l'impôt, 60.000 fonctionnaires à la comptabilité publique pour le percevoir. Tout le monde sait qu'il faut faire la fusion des deux pour obtenir des économies de postes. Qui peut considérer que, sur 7 millions de fonctionnaires, toutes fonctions publiques considérées, il n'y a pas matière à améliorer la productivité ?

Un dernier point, parce que c'est un point d'accord, sur l'hôpital. Bien sûr qu'il y a un malaise de l'hôpital. Il y a un million de fonctionnaires. L'hôpital est un lieu de toutes les douleurs, de tous les malheurs et, en même temps, de tous les bonheurs. Il faut penser à ce personnel hospitalier, il faut le soutenir.

Madame, qu'est-ce qui a désorganisé l'hôpital ? Ce sont les 35 heures. Ce sont les 35 heures qui ont mis à bas l'hôpital public français. C'est cela la réalité des choses. A l'hôpital, il faut des postes. Vous nous expliquerez d'ailleurs comment vous augmentez les recettes de l'assurance-maladie, je suis prêt à en débattre au moment où on l'évoquera, mais ce sont les 35 heures qui ont été une catastrophe, il faut bien le dire, généralisée pour l'économie française, mais qui, s'agissant de l'hôpital public, ont considérablement détruit son organisation. Pour une raison simple : c'est que l'hôpital fonctionne le jour, la nuit, sept jours sur sept, 24 heures sur 24.

S. R. : Sur l'hôpital public, qui est une question cruciale, essentielle, puisque c'est aussi sur le maintien des petits hôpitaux, la présence de santé sur l'ensemble du territoire national, comme vous venez de le dire très justement, en effet les 35 heures -dont d'ailleurs les infirmières, les aides soignantes et tous les personnels hospitaliers se réjouissent parce qu'ils travaillent de nuit, d'ailleurs lorsque vous leur aviez proposé de travailler plus pour gagner plus, vous avez vu que cette proposition n'a pas eu beaucoup de succès dans l'hôpital... j'ai rencontré encore récemment les infirmières, elles ne souhaitent pas travailler plus parce qu'elles travaillent dans des horaires et des conditions déjà extrêmement difficiles.

Oui, il va falloir créer des postes dans la fonction publique hospitalière et ces postes ont été insuffisants au moment des 35 heures. C'est bien la raison pour laquelle nous ne pourrons pas diminuer le nombre de fonctionnaire. Car, si nous pouvons en effet en diminuer au ministère des Finances, notamment dans les services des douanes, ce sera pour en créer là où les besoins sont nécessaires, pour remettre du service public là où il n'y en a plus, pour remettre du service public en milieu rural ou dans les quartiers où, en effet, le manque de service public explique le délitement du lien républicain.

Je voudrais revenir sur les autres éléments que vous avez évoqués, sur la question de la délinquance sexuelle qui, vous en conviendrez avec moi, n'a rien de génétique. Je crois qu'il faut aller plus loin. Et moi, je demande que les pédophiles en particulier ne soient pas relâchés tant que la commission spéciale qui aurait dû être mise en place dans les prisons n'a pas formellement dit par expertise qu'ils sont désormais non nocifs. Or, aujourd'hui, des délinquants sexuels sont relâchés parce qu'ils n'ont pas eu les soins en prison, les soins que la loi pourtant prévoit. Donc je crois que l'urgence dans ce domaine est que les soins soient donnés dans les prisons et que ces délinquants ne soient relâchés que lorsque la garantie qu'ils ne peuvent pas recommencer est donnée par le comité d'experts qui doit siéger dans les prisons.

Sur les multirécidivistes, vous avez été quatre ans ministre de l'Intérieur, pourquoi n'avez-vous pas fait cette loi. Elle est en effet nécessaire, mais je pense que ce qui est plus urgent encore c'est la réponse au premier acte de délinquance. Or, aujourd'hui, il n'y a pas de réponse au premier acte de délinquance. Pourquoi ? Parce que les magistrats n'ont pas de solution. Les centres fermés n'ont pas été construits et moi je ferai si je suis élue présidente de la République parce que je crois que la question de la lutte contre toutes les formes de violence et de délinquance, et en particulier que le fait d'éviter aux mineurs la prison doit appeler à des solutions novatrices.

J'ai parlé de l'encadrement militaire pour les mineurs et je les mettrai en place. Les centres éducatifs renforcés seront effectivement créés. Des peines adaptées bien évidemment au premier délit seront exécutées car on sait bien que, s'il y a une réponse au premier acte de délinquance, dans 70% des cas il n'y a pas de récidive et, s'il n'y a pas de réponse au premier acte de délinquance, dans 70% des cas il y a récidive. Donc tout est à repenser dans ce domaine et, en particulier, ma priorité sera sur la prévention et sur la sanction au premier acte de délinquance, parce que je crois que c'est comme cela que nous réussirons à freiner la montée vers la délinquance de masse.

Enfin, vous avez parlé de la lutte contre la dette. Moi je propose d'abord de relancer la croissance. C'est comme cela que nous lutterons contre la dette. Je pense que la France a la capacité de réaliser un taux de croissance de 2,5%, c'est la moyenne nationale. Et je le ferai en faisant un nouveau pacte avec les entreprises. Je veux réconcilier la France avec l'entreprise et je dis que la compétitivité économique n'est pas incompatible avec le progrès social, bien au contraire.

Les trois piliers du développement économique demain seront la compétitivité des PME, celles qui ne dépendent pas des fonds de pension, et c'est sur elles que je concentrerai les 63 milliards d'euros d'aides publiques qui, aujourd'hui, sont distribuées de façon uniforme à toutes les entreprises. Une entreprise du CAC 40 reçoit autant d'allégements de charges qu'une PME qui se bat tous les jours pour conquérir des marchés et des emplois. Eh bien moi, je ferai cette réforme et je vais concentrer sur les PME les aides publiques ; c'est sur elles que je vais faire les allégements de charges. C'est pour elles que je vais relancer l'investissement et dans l'innovation et dans la recherche. Et c'est pour elles aussi que je baisserai l'impôt sur les sociétés pour tous les bénéfices qui seront réinvestis dans l'entreprise, l'impôt sur les sociétés sera divisé par deux sur ces PME.

Le deuxième axe de la relance de la croissance, c'est la qualité du dialogue social. On sait que tous les pays du Nord de l'Europe qui ont réussi à relancer la croissance sont les pays qui ont mis en place un dialogue social de qualité, qui permet aux syndicats de faire des compromis sociaux, d'anticiper, d'être informés en amont des stratégies de l'entreprise pour y contribuer, pour y participer, pour faire des efforts de formation professionnelle là où se trouvent des trésors de valeur ajoutée.

Enfin, je mettrai en mouvement le levier écologique, parce que je pense que c'est dans cette filière du développement écologique et des éco-industries que la France a sans doute plusieurs centaines de milliers d'emplois à conquérir dans ce domaine. Et si la croissance est supérieure à 2,5%, à la fois je finance mon pacte présidentiel, j'ai donc relancé la croissance en mettant l'accent sur les PME et, s'il y a davantage de croissance, je prends l'engagement que tout ce qui sera au-dessus de 2,5% de croissance sera consacré au remboursement de la dette.

- Je voudrais qu'on revienne à la première question sur la conception d'un président de la République et peut-être les institutions. Faut-il changer de République ?

N. S. : Mme Royal ne m'en voudra pas, mais à évoquer tous les sujets en même temps, elle risque de les survoler et de ne pas être assez précise...

S. R. : Laissez-moi la responsabilité de mes prises de parole...

N. S. : Je ne me permets pas de critiquer, mais je fais simplement remarquer que, si vous parlez de tout en même temps, on ne va pas pouvoir approfondir...

S. R. : Tout se tient, la dette et la relance économique...

N. S. : Madame Royal, si vous me permettez, la précision n'est pas inutile dans le débat public pour que les Français comprennent ce qu'on veut faire. Il me semble que, s'agissant de la réduction de la dette, vous n'avez fixé aucune piste d'économies. C'est votre droit le plus absolu.

La relance de la croissance, c'est encore plus intéressant, vous n'avez donné aucun moyen pour relancer la croissance. Vous avez raison, il faut relancer la croissance. Le problème de la France est qu'elle fait, grosso modo, 1% de croissance de moins que les grandes démocraties, les grandes économies qui progressent dans le monde. Pourquoi ? Pour une raison, Madame Royal. C'est parce qu'on travaille moins que les autres.

Quel est le levier pour obtenir 1% de croissance de plus ? C'est respecter le travail, récompenser le travail, considérer le travail, valoriser le travail. Il y a dix pays en Europe qui ont le plein emploi ; cinq vraiment très forts - Danemark, Suède, Irlande, Royaume-Uni, dans une certaine façon l'Espagne. Cela devrait vous frapper, Madame Royal, il n'y en a pas un seul d'entre eux qui a fait le partage du temps de travail. Pas un seul d'entre eux a fait les 35 heures. M. Zapatero qui est venu dans le meeting de Toulouse m'a dit, à Madrid, que jamais il ne ferait les 35 heures en Espagne ; il ne voulait pas porter atteinte à la compétitivité des entreprises. Vous dites, et c'est sympathique juste, il faut aider les PME françaises.

Permettez que je vous pose la question : allez-vous -comme c'est prévu dans le programme socialiste- généraliser les 35 heures à tout le monde, notamment aux PME ? Ce que je souhaite, c'est libérer la possibilité de travailler en France. Par quels moyens ? On va encourager les gens qui veulent travailler plus pour gagner plus. Aujourd'hui, tout est fait pour décourager l'obtention des heures supplémentaires. Toute entreprise qui donnera des heures supplémentaires ne paiera pas de charges dessus. Tout salarié qui fera, sur la base du volontariat, des heures supplémentaires ne paiera pas d'impôts dessus. Rendez-vous compte que, quand on est au Smic et qu'on travaille 50 minutes de plus par jour, c'est 25% d'augmentation de salaire. Il y a un formidable problème de pouvoir d'achat en France. Le salaire n'est pas l'ennemi de l'emploi. Partant, cet argent qu'on va donner, ce pouvoir d'achat qu'on va distribuer va relancer la croissance. Mon moyen pour relancer la croissance c'est de libérer les forces de travail.

Deux petites remarques. Vous dites qu'il faut créer de nouveaux emplois dans la fonction publique. D'accord. Pourquoi pas ? C'est sympathique. Vous payez comment ? Est-ce qu'on fait, comme l'a demandé François Hollande une nouvelle CSG ? Pouvez-vous dire aux Français qui nous écoutent aujourd'hui que, si vous êtes élue, il y aura ou non une nouvelle CSG ? Parce que c'est bien beau de dire aux gens, on va faire de nouvelles dépenses, mais c'est avec leur argent, c'est l'argent des Français, c'est l'argent qui taxe le travail, c'est l'argent qui fait en sorte qu'il y a tant délocalisations. Les impôts et les charges sont si lourds qu'il y a une tentation de la délocalisation. Il faut protéger les Français contre les délocalisations. Si vous augmentez les dépenses, vous sera obligés d'augmenter les impôts et, si vous augmentez les impôts, vous détruisez de l'emploi et vous détruisez du pouvoir d'achat et vous détruisez de la croissance. Ce n'est pas très intelligent de dire cela, mais c'est ce qu'ont fait tous les pays qui ont fait le plein emploi.

Moi, je me suis engagé sur le plein emploi. Je dis aux Français, au bout de cinq ans, on sera à 5%. Il n'y a aucune raison que ce que les autres ont réussi, on ne le réussisse pas nous-mêmes. Mais qu'ont fait les autres ? ils ont libéré les forces de travail, ils n'ont pas fait les 35 heures. Vous dites, on paie trop les entreprises.

Mais est-ce que vous dites aux Français que les 35 heures coûtent 17 milliards d'euros chaque année pour empêcher les gens de travailler. Je mettrai un terme aux préretraites : cinq milliards d'euros chaque année pour que les quinquagénaires, pleins de jeunesse, peut-être comme nous, soient obligés de partir en retraite alors qu'ils veulent continuer à travailler. Voilà comment on libère le pays. Voilà comment on obtient la croissance et voilà comment on sera au plein emploi.

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