Du côté d'Avignon

La 62ème édition du Festival d'Avignon s'est ouverte vendredi soir hors les murs, à la carrière Boulbon, avec "Partage de midi" de Paul Claudel, une production inégale. Vue samedi, l'étonnante adaptation théâtrale des films politico-historiques de Sokourov (sur des scénarii d'Arabov) par le belge Guy Cassiers, "Wolfskers". Ce même samedi soir, la Cour d'honneur a tremblé avec l'adaptation tonitruante de la première partie de "La Divine comédie" de Dante, présentée par le metteur en scène italien Romeo Castellucci, "Inferno" (L'Enfer).

"Partage de Midi"

Entre les murailles rocheuses de la carrière de Boulbon, à quelques kilomètres au sud d'Avignon, une vaste étendue de sable ocre. En son centre, une grand plateau de lattes de bois. Comme un radeau ivre ou comme un pont de bateau. Derrière, on devine des voies de chemins de fer qui se perdent au loin. Et puis une ampoule, au fond, une vigie. C'est là que des comédiens de talents ont décidé de jouer et de mettre en scène en commun la première version, celle de 1905 (Gallimard), de la pièce de Paul Claudel "Partage de Midi".

Il y a là Valérie Dréville, Jean-François Sivadier qui est aussi metteur en scène de pièces très remarquées, Gaël Baron, Nicolas Bouchaud et Charlotte Clamens qui ne joue pas mais qui a apporté, dit le programme, le regard extérieur nécessaire au projet. Voilà donc quatre personnages en quête de vérité, poussé dans des aventures passionnelles, dans un long voyage maritime vers cette Chine alors agitée. Récit très autobiographiques, vécu par l'auteur lui-même dans ses voyages en extrême Orient il y a un siècle.

La belle et mère de famille Ysé suit son mari Cize dans ses aventures lointaines mais croise sur le pont Amalric (Bouchaud), une connaissance toujours troublée et troublante. Et puis il y a le passager Mesa (Sivadier), l'homme en désir d'absolu. Entre dieu et la chair. En attendant la Chine.

Quand la pièce démarre, on entend d'un poste de radio placé quelque par sur le pont du navire des airs de musique. Et puis très vite, ce sont les Rolling Stones ("When the train....") qui chantent. Plus tard, ce seront les Doors, plus violents. Volonté de moderniser, d'insister sur l'universalité du propos ? Les quatre ont choisi un jeu très physique sans pour autant incarner les personnages. Ils s'alpaguent, se frottent, se cognent. Entrent dans des danses chorégraphiés comme des rites animaliers.

Ce parti pris laisse dubitatif. Entre quelques moments très beaux et très intenses, le mystère des passions, les profondeurs des sentiments, s'estompent trop vite et laissent libre cours à une certaine vulgarité que l'on soupçonne vouloir être expression de violence. A ce jeu là, c'est Valérie Dréville qui perd le plus. Ici, sa voix forcée amplifie le malaise. Cette Ysé perd sa grâce de femme fatale. Dréville traduit ses blessures par des coups de gueule et des provocations façon Carmen (Bizet) qui ne font pas toujours mouche. Le regard extérieur d'un metteur en scène n'est pas, en effet, superflu.

Jusqu'au 26 juillet à Avignon (04 90 14 14 14). En novembre aux Gémeaux à Sceaux et au CDN d'Orléans, en décembre à Chambéry (Espace Malraux) et à Lille (La Rose des vents).

"Wolfskers"

Sous réserve d'avoir bien lu, wolfskers est le nom néerlandais de la belladone, une des plantes parmi les plus vénéneuses connues dans le monde. Tel est donc le titre de cette pièce présentée à l'Opéra-théâtre d'Avignon dans la mise en scène du Belge Guy Cassier qui en assure aussi avec Jeroen Olyslaeger l'écriture à partir des textes de trois films du Russe Alexandre Sokourov, à savoir "Taurus" consacré à Lénine, "Moloch" à Hitler et "Le Soleil" à Hirohito. Autrement dit, Guy Cassier, nous dit clairement qu'il s'intéresse à ces pouvoirs qui empoisonne l'histoire du monde.

C'est un regard politique très fin qu'il propose. Des trois personnages essentiels, il n'en prend qu'un quotidien très court situé dans les instants d'une défaite quasi irrémédiable.. Et en grand manipulateur d'effets scéniques - emploi d'images vidéo trafiquées et changeantes pour aller jusque dans l'intimité des personnages, lumières filtrées et vibrionnantes, voix des acteurs modulées comme ajouter de la proximité, mais froide.

Sur la scène, Hitler à jardin et Hirohito à cour encadrent Lénine. Trois cases mais sans réelle frontières. Les proches respectifs des trois "héros" (Eva Braun, le couple Goebbels..., Nadia la femme de Lénine, Staline..., les serviteurs de l'empereur du Japon, sa femme impératrice, etc) sont joués par les mêmes comédiens.

C'est impressionnant de voir la continuité d'esprit et de préoccupations entre ces trois mondes. Guy Cassier glisse dans les petites histoires de fin de règne de potentats pour mieux faire surgir les horreurs de la grande histoire. Au-delà des images parfois trop "glacieuses", il y a les mots qui restent. Toujours inquiétants sur les hommes ou femmes de pouvoirs.

Jusqu'au 8 juilet à l'Opéra-Théâtre d'Avignon (04 90 14 14 14).

Au Théâtre de la Ville à Paris du 30 septembre au 4 octobre. En novembre à la MC2 de Grenoble, en janvier 2009 à la MC Amiens, etc.

"Inferno"

Et voilà la Cour d'honneur du Palais des papes totalement embrasée, chahutée, tremblante dans ses fondations, explosée de lumière, un déluge d'éclair et d'orage. Une guerre titanesque s'engage en quelque seconde. Toutes les fenêtres du Palais qui donnent sur cette Cour deviennent boule de feu, tour à tour ou en même temps.

Ce premier "épisode" librement adapté de "La Divine Comédie" de Dante par Romeo Castellucci, "Inferno" (l'enfer) parle très peu, la musique même si elle se montre intense reste peu dense. L'enfer, c'est d'abord une affaire de nature hostile et de monde - hommes, femmes, enfants - désemparé.

Castelllucci a construit une succession de chocs auditifs et visuels rarement aussi percutants, sans perdre le pouvoir de l'émotion. Même dans son oeuvre déjà fortement spectaculaire. Naturellement, ça dérange, ça pose question et cela peut ne pas plaire à tout le monde. Mais, sans besoin de discours didactiques, quelle force et violence on reçoit quand, première scène, Castellucci revêtant un habit de protection, des chiens berger-allemands retenus commencent à s'énerver pour, une fois lâchés, bondir sur Castellucci, l'artiste devenant pantin désarticulé sous les crocs des molosses.

Et puis il y ce roi de l'escalade qui grimpe, mains nues, les hauts murs intérieurs de la Cour pendant qu'un adolescent, très Harry Potter, joue avec un ballon (fortement sonorisé) avant de "bomber" en rouge le prénom Jean sur le mur. C'est le début d'une apocalypse incroyable, d'un voyage. Il convoque le Christ ou Andy Warhol. Mais surtout, sur le plateau, une foule de gens de tous âges, ces habitants de la terre qui cherchent du sens.

C'est un spectacle à vivre directement. Mais on peut se demander comment Castellucci va adapter ce spectacle pour des salles fermées comme ce sera le cas dans sa longue tournée déjà programmée. Confiance, c'est un magicien.

Jusqu'au 12 juillet dans la Cour d'Honneur en Avignon (04 90 14 14 14). Spectacle retransmis sur Arte le 12 juillet à 22h15. Le deuxième volet "Purgatorio" sera présenté du 9 au 19 juillet au Parc des Expositions, et le troisième "Paradisio" en l'Eglise des Célestins du 11 au 26 juillet.

En tournée notamment en France en 2009 (en janvier au Maillon de Strasbourg et à Poitiers, puis au Duo à Dijon, etc.)

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