La fin de la publicité sur France Télévisions déchaîne les réactions

L'annonce mardi par Nicolas Sarkozy d'une réflexion en cours sur la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques a d'abord créé la surprise. Puis elle a déclenché un flot de réactions contrastées. Aucun "calendrier précis" n'est encore fixé pour la réforme de l'audiovisuel public, abordée en Conseil des ministres ce mercredi.

Ni le ministère de la Culture, tutelle du groupe France Télévisions, ni Bercy, ni les services concernés par la mise en oeuvre technique de cette mesure, comme la Direction des Médias à Matignon, ne semblaient avoir été préalablement informés de l'imminence du projet présenté mardi par le président de la République et qui, s'il était mené à terme, bouleverserait l'économie des médias en France.

Georges-Marc Benamou, conseiller médias de l'Elysée, qui a visiblement poussé dans le sens de cette "révolution" annoncée du mode de financement de la télévision publique, s'est expliqué sur l'antenne de RTL: l'Etat n'a pas "assumé ses responsabilités envers le service public audiovisuel depuis la privatisation de TF1", il y a 20 ans. Il n'a pas défini "le service public audiovisuel. Il a demandé à ses dirigeants d'être schizophrènes, d'avoir l'image d'Arte et l'audience de TF1. Le président de la République a décidé de rompre avec cette hypocrisie. Si on veut un service public, il faut lui donner une identité, un périmètre et des moyens de se financer".

Prise au dépourvu, la direction du groupe France Télévisions s'est efforcée de faire bonne figure. Dans un message, le PDG Patrick de Carolis, a indiqué: "A plusieurs reprises, depuis deux ans, j'ai demandé à notre actionnaire une clarification de notre mode de financement, condition sine qua non pour préserver un groupe public fort dans la perspective du basculement au tout numérique. Cette clarification est aujourd'hui faite. Elle valide notre stratégie éditoriale. Elle va permettre de renforcer encore l'identité du service public, en confortant le travail mené depuis deux ans et que nous souhaitons amplifier".

Il s'est évidemment dit très attentif "aux nombreuses conséquences pour le groupe France Télévisions" de cette profonde modification de son modèle économique. Niant l'effet de surprise, il a ajouté: "ces conséquences sont d'ores et déjà étudiées avec précision, à l'intérieur de notre groupe, en liaison permanente avec notre actionnaire". Quant à l'avenir des 300 salariés de France Télévisions Publicité, il a déclaré qu'il serait "naturellement très vigilant sur l'impact de cette décision en matière d'organisation de notre entreprise, en particulier pour les collaborateurs de notre régie publicitaire, dont la pérennité de l'avenir professionnel au sein de notre groupe sera ma première préoccupation". La régie, elle, a refusé tout commentaire.

Le syndicat CGT du groupe en revanche, tout comme l'opposition socialiste, ont dénoncé le cadeau octroyé aux chaînes privées, qui devraient récupérer une partie de la manne publicitaire perdue par France Télévisions. Nicolas Sarkozy "renvoie l'ascenseur au privé en saignant le service public", a dénoncé le syndicat CGT de France Télévisions. "Qui peut imaginer une seconde que les 800 millions de recettes publicitaires annuelles de France Télévisions, qui représentent 40% du budget de France 2 et 30% de celui de France 3 , seront compensés par une hypothétique taxe sur la publicité du privé, ou une 'infinitésimale' taxe sur le chiffre d'affaires des nouveaux moyens de communication (évoquée dans son discours par Nicolas Sarkozy, NDLR) ?", se demande-t-il.

Pour Ségolène Royal, ex-candidate PS à la présidentielle, il s'agit d'un "beau cadeau à M. Bouygues (actionnaire de TF1, NDLR), ami de M. Sarkozy". "Il est totalement irresponsable d'aller proposer la suppression d'une recette sans savoir quelle sera la recette qui viendra garantir le bon fonctionnement du service public", a-t-elle jugé.

Patrick Bloche, vice-président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale en charge des médias, a également exprimé "la plus vive inquiétude", jugeant que "ce jeu de bonneteau hasardeux consistant à déshabiller le service public pour venir à la rescousse des grandes chaînes privées dont les actions ont aussitôt décollé, augure mal des orientations de la future loi sur l'audiovisuel promise par le gouvernement". "Alors que les grandes chaînes privées ne parviennent pas à tirer profit de la croissance de la publicité à la télévision et que leurs titres atteignaient mardi matin un niveau historiquement bas (...), le président de la République vient de leur faire les plus belles étrennes qui soient en enfilant le costume de l'apprenti boursicoteur", estime le député de Paris.

Du côté des professionnels de l'audiovisuel, les avis sont plus partagés. Sans surprise, le PDG du groupe M6 Nicolas de Tavernost, interrogé sur Europe 1, s'est déclaré "favorable" au projet estimant qu'il s'agissait d'une "clarification". "Partout où la télévision en général se porte mieux, c'est dans les pays où il y a le moins de publicité sur la télévision publique", a-t-il déclaré, citant l'Angleterre et l'Allemagne. "Là où il y a des crises à répétition, a-t-il ajouté, c'est la RAI (la télévision publique italienne, NDLR) et l'Espagne, où il n'y pas de limitation de publicité sur la télévision publique". "Je ne vois pas en quoi c'est critiquable", a-t-il dit, rappelant que l'ancienne ministre de la Culture Catherine Trautmann avait déjà réduit en 2000 l'importance de la publicité sur la télévision publique.

"La publicité qui va aujourd'hui sur les chaînes publiques, si elle diminue, ira sur tous les autres médias, y compris la radio et l'affichage", a-t-il encore souligné. Interrogé sur une éventuelle taxe sur les ressources publicitaires supplémentaires ainsi acquises par les chaînes privées, Nicolas de Tavernost a souligné qu'il payait déjà "beaucoup de taxes". Il s'agit, selon lui, de "rester dans la mesure", mais il fait "confiance aux pouvoirs publics".

Les producteurs audiovisuels pour leur part ont appelé à un "véritable débat national". Pour l'Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA), la transformation des bases de financement de la télévision publique "doit lui donner les moyens, dans son périmètre actuel, d'une ambition accrue et les capacités d'une concurrence saine avec les chaînes privées, tenant compte du considérable accroissement de ressources qui serait apporté à celles-ci", estiment les producteurs. Le "renforcement des chaînes privées" doit de son côté permettre une "amélioration de leur financement de la création audiovisuelle", jugent-ils.

Les auteurs regroupés au sein de la Société civile des auteurs multimédias (Scam) prennent acte "avec satisfaction" des propos du président de la République, mais soulignent que pour être "fiable", sa proposition doit garantir des ressources financières conséquentes au service public pour qu'il puisse remplir ses missions convenablement en proposant des programmes différents des télévisions privées.

C'est du côté du marché publicitaire lui-même que les réactions sont les plus sceptiques. Pour Maurice Lévy, PDG de Publicis, la réforme sera un handicap. "Le marché français est un marché qui a une offre insuffisante, notamment en médias audiovisuels. Et il est clair que ne plus avoir accès à la télévision publique va handicaper le marché", a-t-il estimé sur la radio BFM. "La croissance que l'on pouvait espérer sur un certain nombre de segments risque de ne pas se produire" a-t-il ajouté. Néanmoins, Maurice Lévy a ajouté n'être "pas très inquiet pour la croissance globale du marché publicitaire français", évoquant la possibilité de "relais" de croissance comme Internet, qui est "en train d'exploser en France" et pourrait compenser la suppression de la publicité sur la télévision publique.

La société de conseil en achat d'espace publicitaire, Aegis Média France, estime cette démarche "plutôt inquiétante pour ses annonceurs en télévision". "Comment continuer à séduire un public populaire de qualité avec une grande incertitude sur le financement des chaînes?" L'agence estime peu probable que la taxe parvienne à financer la totalité du manque à gagner et pointe le risque d'un "renchérissement tarifaire important du média TV, accentué par la taxe sur les autres chaînes et les médias digitaux". Cela priverait aussi les annonceurs "d'audiences de qualité, notamment sur les CSP+".

Pour Sébastien Danet, président de la filiale d'achat d'espace de Publicis, ZenithOptimedia, interrogé dans Le Figaro, "ce projet est une double mauvaise nouvelle pour les annonceurs" qui pourront plus difficilement atteindre certaines cibles (CSP+, 50 ans et plus). Il pourrait en outre stimuler le risque inflationniste sur le prix des écrans publicitaires. "Les grandes chaînes historiques ne pourraient absorber que 30 à 50 % des 800 millions d'euros actuellement investis sur les chaînes publiques" et les projets du gouvernement peuvent "déstabiliser les chaînes publiques mais aussi l'ensemble du marché".

Le Syndicat national de la publicité télévisée (SNPTV), qui regroupe les régies publicitaires des chaînes privées, ne se livre encore à aucune analyse faute d'information plus précise, mais se dit "a priori réticent sur les taxes. Même si on veut taxer les 15 millions de foyers abonnés à Internet et les 55 millions d'abonnés à un téléphone mobile, on ne pourra taxer plus de quelques euros par mois. Pour compenser les 800 millions d'euros générés en 2007 par France Télévisions Publicité, les chaînes privées devraient encore trouver 600 à 700 millions d'euros par an. Elle ne commenceraient à travailler pour elle qu'au mois d'avril" s'est interrogé Stéphane Martin, directeur délégué du SNPTV dans la lettre d'information Satellifax.

Enfin les opérateurs télécoms, susceptibles d'être taxés comme fournisseur d'accès Internet et opérateurs mobiles, pour participer au financement de l'audiovisuel public, passée la première colère sensible mardi soir aux voeux de leur instance de régulation, l'Arcep, attendent désormais de connaître davantage le contenu de la réforme pour se prononcer.

Et justement, il était difficile d'en savoir plus ce mercredi à l'issue du Conseil des Ministres pendant lequel la réforme de l'audiovisuel public a pourtant été abordée. Le porte-parole du gouvernement, Laurent Wauquiez a indiqué que le gouvernement n'a pas encore fixé de "calendrier précis". Quant aux futurs moyens donnés au service public, le porte-parole était tout aussi vague. Enfin, revenant sur les propos du Président, il a expliqué: "Notre but, ce n'est pas cette question de supprimer ou non la publicité dans l'audioviseul public. (...) Le chantier est beaucoup plus large".

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