Innovation : la tangente comme méthode

Francis Pisani est chroniqueur indépendant, auteur, expert international en innovation, conférencier. Son site : francispisani.net.
Francis Pisani. Copyright Laetitia Attali.
Francis Pisani. Copyright Laetitia Attali.

En matière d'innovation, il y a d'abord les lignes droites... qui sont trompeuses, voire paradoxales. Les suivre dans le sens que recommande la logique est rarement une bonne piste.

Créer une direction de l'innovation semble faire partie des décisions raisonnables. Elle conduit trop souvent à lui laisser la responsabilité d'une attitude qui devrait régner dans toute l'entreprise. Plus grave, ça n'est pas essentiellement, pas seulement, une affaire d'invention, c'est-à-dire de technologie. Cela concerne ou devrait concerner tout autant le marketing ou le modèle de revenus. Tout le monde et tous les secteurs.

Encourager l'échec

Le plus provocateur est sans doute le fait qu'il faut tolérer l'échec, voire l'encourager. C'est là que réside l'avantage compétitif le plus difficile à copier de Silicon Valley, la caractéristique la plus originale, la plus propre de sa culture. Tout le monde peut s'en inspirer pourtant en participant à une FailCon (pour TheFailureConference) et se « préparer au succès » en partageant ses erreurs avec d'autres. Il commence à y en avoir un peu partout dans le monde.

Grey Advertising de New York va plus loin et décerne à l'un ou l'une de ses employés un « heroic failure award » un prix de l'échec héroïque. Qui n'échoue pas n'a pas tenté d'aller assez loin.

Renvoyé parce que n'ayant jamais échoué

On m'a même rapporté une anecdote invérifiable mais bien trouvée, celle d'un brillant produit de nos grandes écoles, major ou dans la botte de plusieurs d'entre elles qui, cherchant un travail aux États-Unis, se serait vu renvoyer à ses dossiers confortables parce que, n'ayant jamais échoué, il avait encore beaucoup apprendre du monde réel, de celui de l'entreprise.

Et puis il y a les tangentes.

La première est la notion de serendipité : un peu comme le veau Marengo, un nombre incommensurable d'innovations sont le fruit du hasard ou des circonstances. Autant dire qu'on les trouve par accident ou en cherchant autre chose. Trop peu de gens connaissent la notion en France. Nous en sommes encore au cartésianisme de base et ce genre de process nous est impensable.

La valeur économique de l'obliquité

La seconde est fournie par un délicieux économiste britannique du nom de John Kay pour qui l'obliquité est une valeur économique de premier plan. Les chemins indirects voir détournés sont souvent les meilleurs. Les entreprises les plus motivées par le profit ne sont pas nécessairement les plus profitables. Les individus les plus obsédés par le bonheur ne sont pas forcément les plus heureux.

Tout ceci parce que nous vivons dans un monde complexe et plein d'incertitudes dans lequel ce qui semble clair peut être une illusion, éventuellement dangereuse. Les instructions longuement pensées ne donnent que rarement les résultats voulus. Flexibilité et détours sont préférables.

Résilience entre paradoxe et tangente

A mi-chemin entre le paradoxe et la tangente se trouve la notion de résilience. Plutôt que de lutter pour éviter une catastrophe à tout prix ou se protéger contre toutes les éventualités - ce qui est souvent illusoire comme dans le cas des cyclones -, il est préférable de se préparer à redémarrer dès que possible après le déluge. Une notion clé pour les entreprises et en particulier pour l'innovation.

Celle-ci dépend en bonne partie de tests et d'expériences pour lesquelles ont doit engager des ressources. Plutôt que de ne pas s'y lancer, comme le conseille la prudence, la meilleure solution semble d'y aller avec conviction. Ce que l'on fait d'autant plus facilement que l'on est prêt à redémarrer en cas d'échec. Accenture vient de nous montrer que « la peur du risque est une stratégie périlleuse ».

Les tâtonnements, des solutions qui n'ont pas marché

Fondateur de General Electrics, inventeur de l'ampoule électrique, détenteur de 1.093 brevets, Thomas Edison a dit un jour de ses tâtonnements : « Je n'ai pas échoué, j'ai trouvé 10.000 solutions qui ne marchaient pas. » Une bonne phrase à avoir en tête pour repartir d'un bon pied quand on s'est mis dans un trou noir.

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Commentaires 12
à écrit le 07/06/2013 à 3:51
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Expert en innovation c'est un métier ça? Encore un consultant fumeux qui fait payer cher ce que tout bon manager pourrait trouver en interne. Lisez ou relisez le Prince, Sun Tzu ou Clausevitz pour vous faire une stratégie en c'est assez. En tout les ...

le 07/06/2013 à 10:49
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Il y a une trentaine d'années les français étaient connus pour leur culture de l'astuce. C'est évidemment un levier essentiel de l'innovation... mais il n'en est pas question dans cet article ! Un oubli sans doute ?...

à écrit le 07/06/2013 à 3:37
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Un petit mot : Les français qui innovent vont à l?étranger une fois qu'ils sont confrontés au corporatismes et blocages franco-français. Plus de soutien des entrepreneurs et de souplesse dans la vie des entreprises française serait plus utile que de...

le 07/06/2013 à 8:01
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qu'est ce que "fablab " ???

le 07/06/2013 à 10:44
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@ bertrand: il y a eu récemment un article sur LT à propos des Fablab !

le 07/06/2013 à 10:48
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@ Maroussan: L'électronique avec des composants discrets c'est fini ! Dans les années 80, on pouvait encore réparer un carte d'un micro, voire en monter un from scratch en allant chez le chinois du 12ème...

le 07/06/2013 à 16:11
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@Bubu Les composants discrets sont encore d'actualité dans le secteur de l'énergie càd essentiellement pour une alimentation. Pour le reste ce sont des circuits intégrés qui les ont remplacés cependant cela reste plus ou moins accessible selon le de...

à écrit le 07/06/2013 à 3:25
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La serendipité est très utilisée dans le monde US. Et pour l'utiliser moi-même je confirme que cela marche, à condition d'avoir un esprit curieux, méthodique, ouvert et capable d'imagination. Il est évident qu'il faut noter toutes les idées et tous l...

à écrit le 06/06/2013 à 21:00
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Un très bon ensemble de remarques sur les risques innovants qui sont la vie. L'échec n'existe pas, il n'y a que des solutions qui n'ont pas atteint le but prévu. Erreur de prévision ou erreur d'exécution ou erreur d'appréciation car un autre but a ét...

à écrit le 06/06/2013 à 20:36
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"Encourager l'échec" : pourtant qu'est ce qu'on l'encourage !!!!!!!!!!!! Pour innover il faut des gens compétents, malheureusement depuis des années les postes sont pourvu par des brèles incompétentes et dans tous les domaines !!!!

à écrit le 06/06/2013 à 17:29
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Je trouve lennart un peu dur, ce qui est dit dans l article plus n est forcément évident; surtout en France. Il ne me semble pas que ce soit notre mentalité

à écrit le 06/06/2013 à 16:16
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ou l'art d'enfoncer des portes ouvertes ! Mais comme on dit les conseilleurs sont rarement les payeurs.

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