Martin Schulz, l'ultra-centriste

Sous des dehors fougueux, la tête de liste sociale-démocrate aux élections européennes veille à ne fâcher personne. Il est contre la rigueur budgétaire, atlantiste mais critique virulent des géants américains de l'Internet, contre le dumping fiscal mais sans s'attaquer au droit de veto des États.
Martin Schulz, le candidat social-démocrate à la présidence de la Commission européenne, se dit prêt à accorder un nouveau délai d'un an à la France pour ramener son déficit sous les 3% du PIB. / Reuters

 

Il le bouclera, finalement, son tour d'Europe, ou presque... A quelques jours du scrutin européen du 25 mai, Martin Schulz avait déjà visité 24 des 28 pays de l'Union européenne. Le candidat social-démocrate du premier scrutin parlementaire paneuropéen a toutefois banni une destination de son agenda : le Royaume-Uni. Ce natif d'Eschweiler, petite ville industrielle allemande nichée aux confins du Benelux, n'est pas le bienvenu outre-Manche, y compris auprès de ses « frères » sociaux-démocrates.

Trop allemand pour être présentable dans un pays où l'euroscepticisme fait rage et où le débat européen se résume à y rester ou en sortir. L'ancien libraire, parfaitement anglophone et francophone, prend ce camouflet avec distance : « Je formerai une majorité avec le Labour », dit-il. Il sait pourtant bien que sa nationalité pose problème, et pas seulement de l'autre côté du Channel.

La crise a éloigné les peuples européens les uns des autres, au point de poser un problème existentiel à l'Union européenne.

Ceux qui ont « le sentiment d'être perdus ou abandonnés continueront à suivre des gens qui n'ont pas de solution à leurs problèmes, sinon celle consistant à désigner un bouc émissaire ».

Bouc émissaire allemand un peu partout en Europe. Bouc émissaire européen en Allemagne, où l'extrême droite antieuropéenne pourrait profiter de la suppression du seuil par la Cour constitutionnelle pour faire son entrée au parlement de Strasbourg.

« Soixante-dix ans après le début de la Deuxième Guerre mondiale, nous courrons le risque, réel, que les apologues de l'idéologie hitlérienne aient un siège », déplore-t-il.

Du bouillant député au président consensuel

Entre la défense de son pays et la critique de sa politique, la ligne est étroite... et la métaphore footballistique toujours bien venue en période électorale. Martin Schulz aime citer la célèbre formule du footballeur anglais Gary Lineker s'agaçant en ces termes des performances de la Mannschaft :

« Le football est un jeu simple : 22 hommes courent après un ballon pendant 90 minutes et à la fin, ce sont les Allemands qui gagnent. »

Mais c'est pour mieux la démentir.

« Il en va de même avec les conseils européens, dit-il. Il y a 28 chefs d'État autour de la table et les gens disent : "à la fin c'est toujours Merkel qui gagne". Eh bien non, ce n'est pas Merkel seule, c'est toute une philosophie politique », qui est en cause.

« La division de l'Europe est le résultat d'un développement social et économique déséquilibré, d'une bataille non tranchée entre des vues économiques différentes, souligne-t-il. Les Allemands sont assis à la table avec d'autres [qui partagent] l'idée que la discipline budgétaire permet de reconquérir la confiance des investisseurs. Nous pensons que ce n'est pas assez. Il faut réformer les budgets et réduire les dettes, c'est une question de solidarité entre générations, certes. Mais nous devons combiner cela avec une politique de croissance et d'emploi. »

Mais que propose-t-il au juste ? C'est ici que les choses se compliquent. Car, désigné par un parti socialiste européen qui est en fait une mosaïque de partis nationaux aux traditions différentes, l'homme doit composer. Son programme s'en ressent. Martin Schulz, qui fut un député européen bouillant, volubile, passionné avant de devenir un président du Parlement beaucoup plus consensuel, s'avère en définitive un candidat excessivement prudent.

Un délicat exercice d'équilibrisme

« Toute proposition de la prochaine commission doit passer le "job test" », en clair ne pas détruire des emplois, plaide-t-il.

Belle idée, mais est-ce autre chose que la déclaration d'intention déjà au centre de tous les documents de la Commission ? Réformer le statut de la Banque centrale européenne, de telle manière qu'à l'instar de la Réserve fédérale américaine elle inscrive la croissance et l'emploi au nombre de ses objectifs, marquerait une vraie rupture. Mais contrairement à une partie de la gauche française, il se garde bien d'évoquer cette possibilité qui est un « No go » pour ses camarades allemands ou néerlandais.

Autre exemple de ce délicat exercice d'équilibrisme : la question atlantique. Sans nommer le géant californien de l'Internet, Martin Schulz tire à boulets rouges sur Google, s'emporte contre l'« algorithme anonyme logé dans la Silicon Valley » qui décide de notre « profil » sur Internet. Il vitupère les « monopoles » qui facturent à leurs propres concurrents la possibilité d'être présents sur le Net, s'inquiète de la transformation des données personnelles en « marchandises » et des « abus des agences de renseignement ».

Il fustige « le risque que la société européenne devienne complètement dépendante des sociétés américaines », et déplore l'action, selon lui insuffisante, de la Commission européenne.

Mais quand il s'agit du très controversé traité transatlantique (TTIP) en cours de négociation, il applaudit ce qui prépare un rapprochement sans précédent des économies et des sociétés américaines et européennes.

« Combiner les capacités et le pouvoir économique » des deux régions face à des concurrents qui ne partagent pas leur valeur démocratique est « logique ». Le nationalisme économique européen se mue en atlantisme pur et dur. Et son plaidoyer pour mieux « expliquer » l'intérêt du TTIP pourrait sortir de la bouche de Karel de Gucht, l'actuel commissaire (libéral) au Commerce.

L'interroge-t-on sur l'euro fort ? Il assure que « le débat politique est là », oubliant de dire que s'il a lieu dans la presse, il est interdit par l'Allemagne et les Pays-Bas dans la seule enceinte où il pourrait déboucher sur des décisions pratiques. Autour de la table des ministres des Finances, le sujet est tabou. Mais alors considère-t-il oui ou non que l'Europe doive avoir une politique de change, à l'instar du Brésil, de la Chine ou des États-Unis ? Il préfère se rabattre sur le consensus dominant.

« L'euro est fort » mais « il n'y a pas besoin d'interférer politiquement pour le moment. Il faut attendre les prochaines décisions de la BCE », répond-il.

« Il faut vivre avec » le moins-disant fiscal

Même prudence au sujet de la fiscalité. Il dénonce le « dumping » et l'« optimisation fiscale » qui, pour être « légale », n'en est pas moins « immorale ». Mais il se dit « respectueux » de la « souveraineté fiscale » des États. Il ne peut pourtant ignorer que le droit de veto de ces derniers ne permettra jamais d'appliquer le principe de la taxation des profits dans le pays où ils sont réalisés. Un principe que pourtant il prétend défendre et qui permettrait de taxer efficacement Amazon et consorts.

« Il faut vivre avec » le droit de veto de ceux qui pratiquent le moins-disant fiscal, dit-il, même s'il empêche depuis des années la création d'une base commune d'imposition des sociétés et a longtemps permis de faire échapper des milliards d'euros d'épargne à la curiosité des fiscs allemand ou français. Sa solution ? Interdire l'accès aux marchés publics aux entreprises qui localisent des profits dans des paradis fiscaux. Soit.

Pas un mot non plus sur un socle de sécurité sociale ou un début de salaire minimum européen, sur la création d'un budget de la zone euro ou la mutualisation des dettes, seuls remèdes aux maux de la zone euro. Il sait qu'il faudrait pour ce faire en passer par une réforme des traités ou par la création d'une communauté de la zone euro.

Et, à l'instar de Jean-Claude Juncker, il préfère laisser cette question, pourtant cruciale, entre les mains d'Angela Merkel, de François Hollande, d'Enrico Letta et consorts. S'il assure vouloir ne tirer son pouvoir que du résultat des élections, il ménage en réalité le pouvoir des chefs d'État et de gouvernement dont dépend sa nomination.

Les élections européennes vont bien sonner le départ du conservateur José Manuel Barroso de la présidence de la Commission, et elles pourraient même lui substituer un homme (ou une femme) de gauche si les électeurs en décident ainsi. Mais elles ne changeront pas la couleur du Conseil européen. C'est bien la limite de l'exercice de « démocratisation » de la politique européenne dont il se dit pourtant le champion. Ce candidat qui voudrait être choisi par « les peuples »se plie sans le dire à la réalité européenne du moment : la domination des dirigeants nationaux sur une Commission européenne passablement affaiblie par la crise.

 

 

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Commentaires 2
à écrit le 25/05/2014 à 12:22
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Plutot ultra libaral qui va s'enrichire comme Barroso

à écrit le 25/05/2014 à 9:10
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On a déjà Flamby on ne veut pas d'un clone ça suffit.

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