Climat : l'action de l'Europe reste insuffisante pour éviter la catastrophe climatique

Dans un rapport attendu, l'Agence européenne de l'environnement (AEE) pointe les lacunes de l'Union européenne en matière d'adaptation aux risques climatiques. Si le Vieux Continent n'accélère pas, « l'aggravation des impacts climatiques pourrait amputer de 7% le PIB de l'UE d'ici la fin du siècle », affirme l'AEE. Bruxelles a présenté son plan pour faire face. Décryptage.
Mathieu Viviani
Les événements climatiques, plus nombreux et intenses, font courir à l'Europe des risques « critiques », selon l'AEE.
Les événements climatiques, plus nombreux et intenses, font courir à l'Europe des risques « critiques », selon l'AEE. (Crédits : Fabrizio Bensch)

Malgré les efforts de l'Europe pour s'adapter aux impacts négatifs du dérèglement climatique, c'est encore insuffisant. Telle est la conclusion principale de l'Agence européenne de l'environnement (AEE), qui a publié lundi son tout premier rapport sur l'évaluation des risques climatiques du Vieux Continent. Dans le même élan, Bruxelles a publié le lendemain ses pistes pour se préparer à ceux-ci.

Selon l'Agence européenne de l'environnement, ces lacunes pourraient être « catastrophiques » tant les événements climatiques, plus nombreux et intenses, font déjà courir à l'Europe des risques « critiques ». D'autant que ce continent est celui qui s'est réchauffé le plus rapidement ces quarante dernières années, rappelle l'agence.

Ce qui fait dire à Leena Ylä-Mononen, directrice exécutive de l'AEE, que la société européenne « n'est pas suffisamment préparée ». Et la dirigeante d'appeler « les décideurs politiques européens et nationaux » à « agir maintenant » en baissant rapidement les émissions et en menant des politiques et des actions d'adaptation plus « fortes ».

Pour François Gemenne, politologue et co-auteur du sixième rapport du GIEC, ce rapport est bienvenu car l'adaptation était jusqu'à aujourd'hui « un domaine de l'action climatique largement délaissé ». D'après lui, en Europe « nous étions un peu aveugle au fait que l'on était, nous aussi, vulnérable au changement climatique. Ce n'est pas réservé aux générations futures et aux pays du sud ».

Les phénomènes climatiques extrêmes, comme « nouvelle norme »

Pour dresser un tableau aussi sévère, le rapport de l'AEE s'est basé sur les données des récents rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), du service européen Copernicus et du Centre commun de recherche de la Commission européenne (JRC).

Référents sur le sujet climat, ces différents acteurs alertent depuis plusieurs années déjà l'intensification des phénomènes climatiques anormaux sur le territoire européen : inondations plus fréquentes, sécheresses plus longues, incendies géants à répétition, montée des eaux sur les littoraux à une vitesse sans précédent, épisodes de canicules plus forts et fréquents, saisonnalité bousculée, etc.

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Autant de phénomènes qui, selon l'AEE, « vont s'aggraver, y compris dans les scénarios optimistes du réchauffement climatique », tout en affectant « les conditions de vie sur tout le continent ». « Ces événements représentent la nouvelle norme » a d'ailleurs insisté la directrice de l'agence, lors du point presse présentant le rapport hier.

Plus de trente risques climatiques majeurs

Pour y voir clair, et in fine, mener l'action la plus pertinente face à cet enjeu de taille, l'étude de l'Agence européenne de l'environnement, a répertorié 36 risques climatiques majeurs pour l'Europe, et les a classés en fonction de leur degré d'urgence. Ainsi, vingt-et-un d'entre eux nécessitent « une action intensifiée et immédiate », tandis que huit autres sont considérés comme « particulièrement urgents ».

Les risques liés aux dégradations des écosystèmes, principalement marins et côtiers, sont ainsi en haut de la pile. Parmi ceux qui subissent les impacts climatiques les « plus sévères » selon l'AEE, les écosystèmes sont au cœur du fonctionnement de la société. Ils fournissent en effet de nombreux services vitaux aux populations, comme l'alimentation et la santé, mais aussi des infrastructures essentielles pour l'économie (on pense à celles du tourisme) et donc l'emploi.

Autre risque majeur pointé par l'agence, les vagues de chaleur et les sécheresses plus intenses et fréquentes. Ces phénomènes sont « une menace importante pour la production végétale, la sécurité alimentaire, et l'approvisionnement en eau potable », pointe l'étude. Parmi les zones les plus touchées, l'AEE désigne le sud de l'Europe, mais aussi l'Europe centrale.

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La chaleur est aussi « le facteur de risque climatique le plus grave et le plus urgent pour la santé humaine » alerte l'agence dans son enquête. Tout particulièrement pour « les personnes travaillant en extérieur exposées à une chaleur extrême », mais aussi les personnes âgées, et les personnes vivant dans des logements mal isolés thermiquement, donc plus vulnérables aux vagues de chaleurs.

La hausse des tempêtes et des inondations ou l'élévation des niveaux de la mer, sont aussi des menaces sérieuses pour le bâti dédié à des services publics essentiels, tels que l'énergie, l'eau et ou les transports. A titre d'exemple, on peut citer en France : entre novembre et décembre dernier, 348 communes du Nord-Pas-de-Calais qui ont subi des inondations successives, avec 450.000 habitants impactés et parmi eux, des personnes qui n'ont pu retrouver leur domicile.

Alerte sur l'assurance

Le rapport de l'Agence européenne de l'environnement fait également un zoom sur les répercussions du dérèglement climatique sur l'économie et la capacité d'assurance des territoires.

« Par exemple, les phénomènes climatiques extrêmes peuvent augmenter les primes d'assurance, menacer les actifs et les prêts hypothécaires, ainsi qu'accroître les dépenses publiques et le coût des crédits », liste l'étude. Le fonds de solidarité de l'UE serait par ailleurs « déjà gravement menacée » à cause des incendies et inondations à répétition ces dernières années.

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Selon une étude publiée mardi 28 février par le groupe de réassurance Swiss Re, le coût des phénomènes climatiques extrêmes avoisinent dans le monde 200 milliards de dollars par an. Un chiffre en hausse constante à mesure que le changement du climat s'accentue. D'après la Fédération des assurances, en France, le coût global de ces sinistres pourrait même être multiplié par deux dans les trente prochaines années. A tel point que certains assureurs redoutent de ne plus pouvoir assurer certains territoires face à ces nouveaux risques. A ce jour, 2.000 communes françaises seraient dans ce cas en France.

Aller plus vite

Face à une facture climatique de plus en plus lourde, quelles recommandations préconise l'Agence européenne dans son rapport ? La première priorité est que tous les gouvernements d'Europe reconnaissent unanimement ces risques, et décident d'agir plus fort et plus vite. Ce, même si l'agence reconnaît des « progrès considérables » en la matière.

Au centre du message de l'AEE, demeure donc la question de la rapidité d'exécution. « (...) La mise en œuvre des politiques ne suit pas l'augmentation rapide des niveaux de risque », souligne-t-elle. Les priorités dans l'agenda politique sont tout aussi importantes, selon le politologue François Gemenne.

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Il explique : « À l'occasion des élections européennes, on se rend bien compte de la montée des forces politiques populistes. Mais il faut rappeler que le nationalisme est le pire ennemi du climat. Des politiques localistes est le pire qui puisse arriver en la matière ».

Selon le chercheur, un changement de forces politiques au sein du Parlement européen et de la future Commission est un risque sur la politique plutôt volontariste de l'UE pour le climat. « Or pour changer, les marchés et les investisseurs ont besoin d'un cap clair et constant en la matière », pointe-t-il.

Le plan de Bruxelles sur les risques climatiques

Dans l'élan de ce rapport de l'AEE, Bruxelles a publié mardi ses pistes pour se préparer aux risques climatiques. Ce, avec un scénario de réchauffement de 3 degrés dans l'UE, ce qui est susceptible de grever sérieusement le PIB européen.

Selon les « prévisions conservatrices » de l'AEE, « l'aggravation des impacts climatiques pourrait amputer de 7% le PIB de l'UE d'ici la fin du siècle », a d'emblée rappelé le vice-président de la Commission européenne Maros Sefcovic, lors d'une conférence de presse.

« Sans cesser de lutter contre les causes profondes du réchauffement et de limiter nos émissions (...) il est plus logique sur le plan économique de renforcer notre résilience aux impacts climatiques maintenant que de payer plus tard le coût des dommages », a aussi souligné son confrère Wopke Hoekstra, commissaire au Climat.

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Dans son plan, la Commission propose déjà « une coopération plus étroite entre les niveaux national, régional et local » et avec l'UE, pour partager les données et garantir que les ressources soient déployées « là où c'est le plus efficace ». Elle souhaite aussi « améliorer les outils d'alerte précoce » pour les incendies de forêt et autres catastrophes via une surveillance renforcée. Le recours au service satellitaire Galileo est aussi envisagé.

Bruxelles appelle aussi les Vingt-Sept à renforcer leurs « politiques structurelles » : organisation territoriale, intégration des risques dans leurs trajectoires budgétaires, entretien des infrastructures critiques, et investissements dans les mécanismes de protection civile, etc.

Enfin, une plus forte mobilisation des fonds publics et privés est absolument indispensable. Selon une récente étude de l'Institut de l'économie pour le climat, les investissements pour le climat dans le UE ont augmenté de 9 % entre 2021 et 2022, atteignant 407 milliards d'euros en 2022, soit 2,6 % du PIB. Pour atteindre ses objectifs climatiques en 2030, l'UE a besoin que ceux-ci doublent, selon l'institut.

Mathieu Viviani

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Commentaires 6
à écrit le 14/03/2024 à 8:29
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Une approche catastrophique. Tant que nos dirigeants politiques et économiques ne voudront pas lutter contre les dégâts que eux seuls ont généré rien ne se fera or ils n'exposent toujours aucune activité cérébrale. Nietzsche nous avait prévenu seuls ...

à écrit le 13/03/2024 à 16:50
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Ce n'est pas de "reforme" préparée à l'avance qu'il nous faut, mais de permettre à la population de "s'adapter" en résilience sur son territoire !

à écrit le 13/03/2024 à 15:32
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Connaissant les connaissances scientifiques du JRC organe de recherche de la Commission, je me méfierais….

à écrit le 13/03/2024 à 14:41
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Incompréhensible !! L’UE, c’est une île ?? L’UE a elle seule va résoudre le problème climatique, mais pas les US, l’Inde, la Chine ,et le reste du monde ?? C’est ça qui est choquant, c’est à dire l’absurdité !!!!

le 13/03/2024 à 16:35
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+ 1. L'Europe seule ne va pas sauver le monde

à écrit le 13/03/2024 à 13:31
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Ca fait plaisir de lire des titres comme cela. Enfin, les médias mainstream sortent du déni climatique. Avant c'était "Si on ne fait rien, alors on ira a la catastrophe". Maintenant c'est : "On va vers la catastrophe". Fini les discours infantilisant...

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