Electricité : quatre fournisseurs s’allient pour des offres « plus vertes » et relancent le débat sur l'origine de l'énergie

EXCLUSIF. Quatre fournisseurs d’énergie (llek, Enercoop, Octopus Energy et Volterres) viennent de former un collectif afin de promouvoir des offres d’électricité « vraiment vertes », dans la jungle du marché de détail. Seulement voilà, leurs positions ne font pas l’unanimité dans le secteur. Au cœur du débat : le fonctionnement des garanties d’origine, ces certificats électroniques servant à prouver qu'une quantité donnée d'énergie renouvelable achetée par un opérateur a bien été produite pour approvisionner un client final.
Le nouveau collectif entend promouvoir des offres d'électricité « vraiment vertes »
Le nouveau collectif entend promouvoir des offres d'électricité « vraiment vertes » (Crédits : DR)

Certains fournisseurs d'énergie sont-ils plus vertueux que d'autres ? Alors que le nombre d'offres d'électricité « 100% verte et locale » a explosé ces dernières années, difficile pour le consommateur d'y voir clair au-delà des slogans. Et pour cause, la plupart de ces entreprises ne génèrent pas elles-mêmes le courant qu'elles commercialisent. Or, le document électronique certifiant que l'électricité qu'elles achètent pour un client est bien renouvelable, appelées « garantie d'origine », suscite de vives critiques, puisque ces certificats sont vendus aux enchères sur le marché plutôt qu'obtenus directement auprès des producteurs concernés.

Résultat : selon nos informations, quatre fournisseurs d'énergie, Ilek, Enercoop, Octopus Energy et Volterres ont créé la semaine dernière un collectif, afin de promouvoir des offres plus « propres » que celles reposant uniquement sur ce mécanisme. Le but : « faire entendre qu'on peut distribuer de l'électricité avec un niveau d'exigence élevé », - sous-entendu, meilleur que les autres -, explique-t-on chez l'un d'entre eux.

« Nous avons réalisé que nous étions souvent, tous les quatre, alignés dans nos prises de position pour défendre la production d'énergies renouvelables françaises, en achetant à la fois l'électricité et les garanties d'origine auprès de producteurs verts et locaux », fait valoir Alexis Bouanani, directeur de Volterres.

Mettre en cohérence la production et l'achat de certificats d'origine

L'objectif sera notamment de faire « exister » le label « VertVolt » de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), destiné à aider les consommateurs à choisir de l'électricité « verte » (sic). Celui-ci repose sur la notion d' « achat conjoint » : en plus d'acquérir une garantie d'origine sur un marché virtuel, c'est-à-dire un document électronique servant à prouver qu'une quantité donnée d'énergie renouvelable a bien été produite (valant, par exemple, 5 euros le mégawattheure), le fournisseur paie directement auprès du producteur français le volume d'énergie associé à cette garantie d'origine, en plus de celle-ci (à 80 euros le mégawattheure, par exemple). Ce qui permet d'aboutir à une offre de « fourniture verte premium », se targue-t-on chez Enercoop, fondé entre autres par Greenpeace, la Nef et le réseau Biocoop.

« L'idée est ainsi de ''coller'' ce certificat de traçabilité au parc qui l'a émis plutôt que de se limiter à une transaction financière, même si on ne peut pas identifier physiquement la provenance des électrons », explique l'un des membres du collectif. « Ce label a été mis à mal par certains acteurs qui souhaitent pousser les garanties d'origine uniquement, sans achat conjoint », regrette-t-on chez Ilek.

Et pour cause, aujourd'hui, le système autorise les opérateurs à se procurer séparément les garanties d'origine mises aux enchères et l'électricité, ce qui « s'apparente à du greenwashing » selon le site de comparaison des offres Selectra. Concrètement, pour bénéficier de meilleurs tarifs, les fournisseurs peuvent acheter l'énergie sur les marchés de gros, essentiellement composés d'électricité nucléaire en France et fossile en Europe, et se procurer ensuite autant de garanties d'origine que la quantité consommée par leurs clients afin de « verdir » leurs offres, explique le courtier.

Or, l'Islande, par exemple, émet ces fameuses garanties d'origine alors même que ce pays n'a aucune interconnexion avec le réseau de transport d'électricité français. De manière générale d'ailleurs, la plupart de ces documents électroniques s'avèrent moins coûteux s'ils sont associés à une production d'énergie renouvelable hors de France, alors même que ce courant ne transite pas vers l'Hexagone. Une « aberration », estime l'un des fournisseurs du collectif.

« Argument marketing »

Mais ce modèle d'achat conjoint est, lui aussi, loin de faire l'unanimité. « L'achat direct au producteur, c'est une fable », fait valoir Julien Tchernia, PDG d'ekWateur. « Même si j'achète l'électricité issue d'un barrage ou d'un parc solaire ou éolien, je devrai de toute façon en acheter ou en revendre sur les marchés pour équilibrer production et consommation. Puis compenser avec les garanties d'origine, comme le permet la loi », justifie-t-il.

« C'est un argument marketing. En quoi ce système contribue-t-il davantage à la transition énergétique ? Même ses partisans ne parviennent pas à justifier son intérêt » renchérit Ivan Debay, président de l'association de promotion de l'électricité « verte » Qui est vert.

Interrogés, les membres du collectif affirment néanmoins que celui-ci permet de « sortir d'une logique de simple trading sur le marché » et de favoriser une production française plutôt qu'étrangère. « Si l'idée était de promouvoir le localisme, il suffirait d'exclure toutes les garanties d'origines qui ne sont pas françaises », rétorque Ivan Debay, qui déplore une vision « par principe anti-système ». D'autant que tous les membres du collectif s'approvisionnent en parallèle auprès d'EDF via le système de l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), qui leur permet d'acquérir de l'électricité atomique à prix cassé auprès de l'opérateur historique.

L'intermittence non prise en compte

Autre critique : pour être tamponné « engagé » par l'Ademe, le fournisseur peut acheter l'énergie renouvelable en question auprès d'un parc subventionné par les pouvoirs publics. Or, dans ce cas de figure, les revenus du producteur ne dépendent pas du marché de gros de l'électricité, et les garanties d'origine appartiennent à l'Etat. Si bien que le consommateur final ayant souscrit une offre d'achat conjoint avec ces parcs ne participe en rien à les financer. « Ce n'est que quand cela génère la construction d'infrastructures renouvelables hors subvention, que l'on peut dire qu'il s'est fait grâce aux clients », fait valoir un professionnel de l'électricité ayant requis l'anonymat.

Enfin, selon certains fournisseurs interrogés par La Tribune, ce système alternatif ne répond pas au « problème principal » des garanties d'origine : la non-prise en compte de l'intermittence des renouvelables, c'est-à-dire la variabilité de leur production en fonction des conditions météorologiques. En effet, en France, ces certificats sont valables pour une production générée sur le mois, alors que la contribution de l'énergie solaire, par exemple, fluctue énormément au cours d'une seule journée - et ne coïncide très souvent pas avec les pics de consommation du matin et du soir. Or, pour être utiles, les moyens de production doivent répondre au besoin physique d'équilibrer le réseau à chaque seconde...

Une charte de principes éthiques pour se distinguer

Au-delà de ces offres vertes présentées comme « premiums », les quatre fournisseurs entendent se distinguer autour d'autres dénominateurs communs d'ordre d'éthique. Et ce, alors que la crise de l'énergie a entaché la réputation de certains opérateurs, mettant au jour la manière dont ils vendaient à prix d'or sur les marchés de l'électricité nucléaire, achetée à bas coûts auprès d'EDF, via le mécanisme de l'Arenh.

« Nous avons une politique très stricte. Dès lors que nous prenons de l'Arenh, nous nous donnons comme obligation morale de vendre au prix du tarif réglementé de ventes (TRV). Pendant la crise, nous avons donc vendu au TRV, ni plus, ni moins », fait valoir le dirigeant d'un des quatre fournisseurs. « On entend régulièrement des attaques sur les fournisseurs voyous et le fait que tous les problèmes d'EDF seraient liés à la concurrence », regrette un autre dirigeant. « Il s'agit de rappeler qu'on peut être un fournisseur alternatif et ne pas être un voyou », poursuit-il.

« L'objectif est de mettre en avant nos engagements en matière de transparence sur la relation client ou encore de prudence vis-à-vis des marchés. Mais sans dire que les autres ne le font pas », complète Eugénie Bardin, responsable des affaires publiques chez Enercoop. Tous les membres fondateurs insistent sur le même point : l'objectif est de mettre en avant des gages de sérieux, sans pour autant dénigrer les autres opérateurs. Il ne s'agit pas non plus de faire concurrence à l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode), la principale association du secteur, dont trois des quatre fournisseurs sont aussi membres.

Dans cette optique, les quatre opérateurs ont rédigé une charte regroupant des grands principes autour de la qualité du service client, de l'absence de démarchage agressif ou encore d'une position favorable à une régulation forte du secteur. Par ailleurs, le collectif se dit ouvert à l'accueil d'autres membres, à la condition que ces derniers « partagent la totalité de ces dénominateurs communs ».

Informel et sans nom, pour le moment, le collectif entend surtout peser auprès des pouvoirs publics. « L'enjeu est aussi de porter des réflexions au niveau du cadre macroéconomique dans un contexte de grandes évolutions réglementaires avec le post-Arenh [à l'horizon 2026, ndlr] », explique Olivier Soufflot, directeur général délégué d'Enercoop, chargé des activités fourniture d'électricité. Ce dernier plaide notamment pour la généralisation des contrats d'approvisionnement direct (ou PPA), au-delà des gros consommateurs d'électricité.

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Commentaires 8
à écrit le 07/02/2024 à 16:03
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Ça y est, ça recommence avec l'économie comportementale pour le grand business vert. Oh les "guys", les quidams ont évolué depuis la pandémie et la stratégie du "nudge" (Behavioural insights). Un p'tit rappel? Les connaissances comportementales - et ...

à écrit le 07/02/2024 à 15:56
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ne rêvons pas, le fric perdu avec les primes voitures electriques et les pertes sur le petrole l'ETAT, incapable de réduire son train de vie , va nous le piquer ailleurs c'est bien le cas puisque l'augmentation prévue est bien des taxes

à écrit le 07/02/2024 à 14:54
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coluche avait deja fait un sketch sur le plus blanc que blanc....desormais l'enfumage, ca touche le ' plus vert que vert' ca rappelle le gvt Hollande et sa ministre tolerante a l'egalite juste et reelle ( a ne pas confondre avec l'egalite injuste et...

le 07/02/2024 à 17:29
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@-churchill- "tolérante à l'égalité juste et reelle" . Toi vouloir dire quoi?

à écrit le 07/02/2024 à 11:30
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Vous êtes de mauvaise foi ! ces gens là baguent les petits électrons en vert à la sortie des éoliennes , puis quand ils se baladent dans le réseau, il n'y a plus qu'à les trier chez ceux qui ont les contrats verts. Elementaire...LOL

à écrit le 07/02/2024 à 11:09
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4 fournisseurs alternatifs et surtout très minoritaires en face d'EDF, d'ENL, TOTAL ENERGIES, ......ils ne peuvent être fiables pour le consommateur lorsqu'on a vu les déconvenues avec des bien plus gros suite à la guerre en Ukraine et au renversemen...

à écrit le 07/02/2024 à 8:59
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Des offres plus vertes. Le consommateur, lui, il veut des offres moins chères.

le 07/02/2024 à 9:27
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Les prix bas, c'est du passé... Vu les montagnes de dépenses à faire pour remplacer les vieux réacteurs qu'on a payés quand j'étais jeune, y a que le consommateur pour régler les factures (dont les grands carénages, les travaux post-Fukushima, les fu...

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