![La région Normandie estime que le gouvernement n'a aucunement tenu compte de sa contribution en janvier 2024, « qui avait pour objectifs majeurs de défendre son potentiel agricole, ses paysages et sa biodiversité ».](https://static.latribune.fr/full_width/2374260/agrivoltaisme-recours-decret-normandie.jpg)
Et de deux ! Après la Confédération paysanne, c'est au tour de l'exécutif de la région Normandie, pourtant peu connu pour sa proximité avec le troisième syndicat agricole, d'annoncer qu'il va déposer un recours contre le décret encadrant l'implantation de panneaux solaires sur les espaces agricoles. Son président Hervé Morin avait déjà proscrit l'agrivoltaïsme de son schéma régional d'aménagement (SRADDET). Cette fois, il franchit une marche supplémentaire pour, explique t-il, « éviter un développement nocif, débridé et anarchique » du solaire aux champs.
Pour l'ancien ministre de la défense, le texte paru le 9 avril présente plusieurs défauts rédhibitoires, qui font peser un grave risque sur l'écosystème agricole et agroalimentaire normand. Se disant soutenu par la Chambre régionale d'agriculture, il pointe en particulier l'autorisation de couvrir de panneaux la totalité des surfaces en herbe (800.000 hectares en Normandie) où paissent les troupeaux.
Sa crainte ? Que l'élevage ne devienne alors un pis aller pour des agriculteurs en quête des revenus plus confortables promis par les énergéticiens. « Si on peut couvrir 100% des prairies, la production animale va devenir un alibi pour ceux qui peuvent vivre avec des panneaux photovoltaïques. Derrière, c'est toute la filière laitière qui s'effondrera », prévient-il.
L'approche jacobine contestée
Autre faiblesse du décret dénoncée par Hervé Morin, son application uniforme sans considération pour les spécificités des territoires. « La question ne se pose pas de la même façon en Normandie qu'en Occitanie. Le seuil de couverture de 40% prévu pour les surfaces cultivées peut se concevoir au Sud de la Loire mais pas au Nord », martèle t-il. Pour l'intéressé, le gouvernement fait fi, au passage, des nouvelles compétences des régions en matière de déploiement des énergies renouvelables. « C'est une négation des dispositions prévues par la loi », peste-t-il.
L'intéressé estime enfin que l'agrivoltaïsme risque de profiter essentiellement aux exploitations disposant de vastes surfaces solarisables « en contradiction avec les objectifs de la loi qui vise à fournir des ressources complémentaires aux petits agriculteurs ».
Le recours devrait être déposé la semaine prochaine devant le Conseil d'Etat par Raphaël Romi, avocat et ancien doyen de la faculté de droit de Nantes, connu pour diriger l'un des rares masters de droit du développement durable et de l'environnement. L'impétrant obtiendra t-il gain de cause ? Difficile de le dire. A défaut, Hervé Morin table sur ce pourvoi devant la plus haute juridiction administrative pour freiner les ardeurs des développeurs et des énergéticiens impatients, à l'en croire, de coloniser le bocage. « Ils n'aiment pas l'insécurité juridique », glisse-t-il sur le ton de la confidence.
Vers une doctrine normande
L'ancien ministre de la défense table aussi sur ce délai pour plancher, avec la Chambre régionale d'agriculture, sur « une doctrine normande » du solaire aux champs. Laquelle promet d'être plus restrictive que le décret du gouvernement. La dite doctrine devrait être présentée dans le courant de l'été.
Objectif, l'appliquer aux projets d'agrivoltaïsme qui sont obligatoirement soumis à l'avis des CDPNAF (commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers) : des instances dans lesquelles siègent des représentants des Régions et des Chambres et dont les préfets suivent le plus souvent les recommandations.
La FNSEA, syndicat majoritaire, ayant salué le décret qu'elle juge apte « à préserver la souveraineté alimentaire », reste à voir si Hervé Morin parviendra à faire entendre son point de vue très radical à l'ensemble du monde agricole régional. En attendant, ses services font valoir l'abondance des zones artificialisées (friches, usines, parkings, entrepôts...) solarisables en Normandie.
Selon une étude, leur potentiel énergétique pourrait atteindre 20 Twh, « trente fois les objectifs fixés dans le SRADDET à 2030 », nous rappelle t-on. Problème, les surfaces en question plus compliquées à équiper offrent un retour sur investissement autrement moindre que celui des zones agricoles. Et là est bien la question.
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