Énergies renouvelables : plutôt que d’accélérer, les députés freinent sur l’agrivoltaïsme

Alors qu'ils ont voté ce mardi la loi « accélération des énergies renouvelables », les députés ont ajouté de nombreux garde-fous au développement des panneaux solaires sur les parcelles agricoles. Les professionnels de la filière défendent pourtant cette pratique, laquelle est d’ailleurs retenue dans tous les scénarios de RTE sur le mix énergétique en 2050. Mais à l'Assemblée, les craintes de dérives sont vives, notamment à gauche de l’échiquier politique.
Marine Godelier
(Crédits : Julien Bru Studio)

Multiplier les éoliennes et les panneaux photovoltaïques sur le territoire français, mais pas à n'importe quel prix. Ainsi pourrait-on résumer le texte voté ce mardi à l'Assemblée nationale, issu du projet de loi du gouvernement sur l'accélération des énergies renouvelables. Car plutôt que de lever les freins au déploiement rapide de ces installations bas carbone, les députés de gauche comme de droite ont ajouté de nombreux garde-fous au développement de nouveaux parcs. Y compris sur l'agrivoltaïsme, cette pratique qui consiste à combiner sur les mêmes parcelles des panneaux solaires et des cultures agricoles.

De quoi agacer le Syndicat des énergies renouvelables (SER). « Alors que l'idée était d'élaborer un texte de simplification, on va se retrouver avec plus de règles qu'avant », souffle son président Jules Nyssen. « Arrêtons d'avoir peur de tout, et de vouloir être plus vert que vert », abonde Marc Jedliczka, porte-parole de l'association négaWatt, qui milite pour un mix 100% renouvelables. D'autant que les premiers pourfendeurs de l'agrivoltaïsme se trouvent en réalité dans les rangs de la NUPES, par ailleurs partisans d'un bouquet énergétique sans nucléaire ni combustibles fossiles.

Sonnette d'alarme

Lors de l'examen du projet de loi, tous ont ainsi tiré la sonnette d'alarme. Car les risques de dérives sont « nombreux », ont affirmé les députés de l'opposition. Celui d'un « développement anarchique », d'abord, a souligné Jean-Louis Bricout (PS). Mais aussi d'une « appropriation [...] féroce » des terres arables par les « marchands de soleil », afin de « produire vite avec beaucoup de gains », a tempêté Dominique Potier (PS). Et Clémence Guetté (LFI) d'ajouter que son mouvement « refusera tout agrivoltaïsme, qui artificialise les sols et nuit à notre souveraineté alimentaire ».

« Les objectifs sont largement atteignables en se concentrant sur les surfaces déjà artificialisées, à prioriser avant de grignoter les terres agricoles ! », a quant à elle assuré Aurélie Trouvé (LFI).

Même prudence du côté d'EELV : « On doit aller beaucoup plus loin sur les règles, qui doivent être extrêmement claires », a insisté Charles Fournier. Résultat : les parlementaires ont durci le texte, en ajoutant notamment qu'un décret en Conseil d'Etat devra déterminer les conditions de déploiement et d'encadrement de l'agrivoltaïsme. Lequel devra apporter au moins un « service » à la parcelle : « améliorer son potentiel », l'adapter « au changement climatique », la protéger « contre les aléas » ou encore « améliorer le bien-être animal ».

Fait étonnant, même des députés Renaissance ont voulu serrer la vis : une partie d'entre eux ont déposé un amendement, adopté malgré l'avis défavorable du gouvernement, pour qu'une installation agrivoltaïque soit précédée de l'installation de panneaux solaires sur des toits de bâtiments de plus de 300 m², si ces derniers existent sur le site. Bref, sur ce sujet, le projet de loi censé permettre l'accélération des énergies renouvelables s'apparente plutôt à un freinage en règle.

Une pratique déjà encadrée

Pourtant, il existe déjà des règles claires en la matière, note Marc Jedliczka. « Il faut arrêter de voir l'agrivoltaïsme comme le diable. La France est déjà le pays le plus réglementé, et des fermes solaires qui utiliseraient l'agriculture comme prétexte, comme cela a pu être le cas il y a quinze ans, n'obtiendraient jamais de permis de construire aujourd'hui », affirme-t-il.

En effet, si l'implantation de parcs photovoltaïques a pu, à ses débuts, souffrir d'un manque de réglementation facilitant l'utilisation tous azimut de zones agricoles par les développeurs, leur implantation se trouve encadrée depuis 2009. Concrètement, les projets sont désormais soumis à une étude d'impact, réalisée par l'autorité environnementale, et une enquête publique doit avoir lieu. Après quoi il revient au préfet d'autoriser ou non lesdites installations, à partir de l'ensemble des éléments produits par la procédure d'instruction. Et le changement d'usage des terres agricoles pour un usage strictement énergétique est tout bonnement interdit.

« Tout le monde est d'accord sur le fait qu'il ne faut pas faire n'importe quoi, et surtout pas au détriment de l'alimentation. Il faut maintenant laisser l'occasion à des projets de se développer ! », ajoute le porte-parole de négaWatt.

Des impacts qui ne font pas consensus

D'autant que, selon plusieurs chercheurs, il suffirait en réalité de très peu de surface agricole pour produire suffisamment d'énergie. « En équipant moins de 2% de la surface cultivée française en systèmes agrivoltaïques de nouvelle génération, on peut produire l'équivalent en électricité de tout notre parc électronucléaire actuel, sans aucune baisse de la production agricole », affirmait ainsi début décembre Christian Dupras, chercheur en agroforesterie, dans une tribune publiée dans Le Monde.

Un discours que tient également Cédric Philibert, analyste des questions d'énergie et climat à l'Institut français des relations internationales (IFRI).

« Parler de résilience alimentaire menacée est grotesque. Si l'on utilisait ne serait-ce qu'un quart de la production aujourd'hui dédiée aux biocarburants, c'est-à-dire 220.000 hectares, on pourrait construire 210 GW de panneaux solaires, soit l'équivalent de la totalité du photovoltaïque nécessaire dans le scénario 100% renouvelables du gestionnaire de réseau RTE ! », souligne-t-il à La Tribune.

Mais la Confédération paysanne ne l'entend pas de cette oreille. Dans une tribune publiée dans Reporterre, le syndicat appelle à refuser massivement cette « dystopie ». « Imaginez des centaines de milliers d'hectares de champs recouverts de panneaux métalliques », alertent-ils. Même son de cloche du côté des Jeunes agriculteurs (JA), considéré comme la pépinière de la FNSEA, qui demande un moratoire sur l'agrivoltaïsme tant que les terres déjà artificialisées et les toitures « ne seront pas couvertes dans leur plus grande partie ».

Intégration dans les scénarios de RTE

De fait, il serait possible, en théorie, d'abandonner l'agrivoltaïsme pour prioriser l'installation de panneaux solaires sur les surfaces déjà artificialisées, sans pour autant renoncer aux objectifs de transition énergétique. Dans ses rapports de 2018 et 2019, l'Ademe a en effet évalué les gisements à 123 GW sur grandes toitures industrielles, à 49 GW sur les friches industrielles et 4 GW pour les parkings - soit plus que la puissance requise d'ici à 2050.

Il n'empêche que, dans les faits « toutes les toitures ne peuvent supporter le poids des panneaux photovoltaïques, des travaux d'étanchéité parfois complexes sont à engager sur les installations intégrées et les distances de raccordement au réseau sont parfois rédhibitoires », fait-on valoir chez négaWatt. D'autant que cela coûte plus cher de s'attaquer aux toitures que de développer des installations agrivoltaïques.

Résultat : tous les scénarios de RTE sur le mix énergétique pour 2050, qui font aujourd'hui référence, « nécessitent d'envisager l'installation des panneaux photovoltaïques dans des espaces naturels ou agricoles », et « impliquent d'envisager plus largement des modèles agrivoltaïques pour concilier l'effort de développement du photovoltaïque ». Reste à voir si un élan aura lieu en la matière ou si, au contraire, de nouvelles règles finiront par tuer dans l'œuf cette pratique aujourd'hui largement décriée.

Marine Godelier

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Commentaires 2
à écrit le 11/01/2023 à 9:12
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Christian Dupraz a recyclé, ou modernisé, son concept d’agroforesterie, (qui n’est qu’une nouvelle appellation pour des cultures associées des pays du tiers monde, fonctionnelles sans mécanisation), mais cela restera chez nous d’un intérêt très limit...

à écrit le 11/01/2023 à 6:17
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Pourquoi, après l'exemple allemand à plus de 500 milliards, faut-il accélérer des énergies qui refusent de produire aux périodes les plus critiques et qui produisent trop lorsqu'elles sont le moins nécessaires, comme en été pour le photovoltaïque, à ...

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