Prix de l'électricité nucléaire : les entreprises fustigent l'accord entre l'Etat et EDF

La CLEEE, qui représente une multitude d'entreprises grandes consommatrices d'électricité dans les secteurs industriel et tertiaire, dénonce l'accord conclu entre EDF et l'Etat sur la nouvelle régulation du prix du nucléaire. Selon elle, le prix de 70 euros du mégawattheure, mis en avant par le gouvernement, ne correspond pas à la réalité. Elle estime que ce nouveau mécanisme protègera moins bien les entreprises en cas de crise et, surtout, qu'il ne leur donnera pas la visibilité suffisante pour investir.
Juliette Raynal
Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie et des Finances, lors de la conférence de presse avec EDF, ce mardi 14 novembre.
Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie et des Finances, lors de la conférence de presse avec EDF, ce mardi 14 novembre. (Crédits : Reuters)

« Une bonne négociation est une négociation où tout le monde est satisfait du résultat final. Je pense que c'est le cas », s'est félicité, ce matin, le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire, lors d'une conférence de presse présentant l'accord entre EDF et l'exécutif sur la nouvelle régulation encadrant le prix de l'électricité nucléaire.

Cet accord intervient après de longs mois de négociations sous haute tension entre l'électricien historique et le gouvernement, alors que le mécanisme actuel de l'Arenh, qui contraint EDF à vendre une grande partie de son électricité nucléaire à prix cassé (42 euros du mégawattheure), va s'arrêter fin 2025.

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La déclaration du locataire de Bercy a de quoi faire grincer des dents Frank Roubanovitch, le président de la CLEEE, une association d'entreprises grandes consommatrices d'énergie issues de secteurs variés, allant de l'industrie métallurgique à l'agroalimentaire, en passant par les semi-conducteurs, l'automobile, les télécoms ou encore les grands transporteurs et l'hôtellerie. Loin d'être satisfaite par cet accord, la CLEEE dénonce, au contraire, « un grand pas en arrière pour les entreprises françaises ».

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Un doublement du prix par rapport à l'Arenh ?

Dans les faits, le gouvernement assure que l'accord trouvé avec EDF doit permettre de « garantir un prix de l'électricité nucléaire moyen de l'ordre de 70 euros le mégawattheure sur toute la production ». Or, selon la CLEEE, il y a « un abîme entre la communication du gouvernement (...) et la réalité de ce dispositif ».

« Je ne conteste pas le prix de 70 euros le mégawattheure. Si on devait payer ce prix là, cela ne me choquerait pas, même s'il est beaucoup plus élevé que les 42 euros mis en place dans le cadre de l'Arenh. Mais, en réalité, nous allons payer beaucoup plus cher que ces 70 euros », s'inquiète Frank Roubanovitch.

Dans le détail, la nouvelle réglementation repose sur un mécanisme de compensation qui prévoit que les ventes d'électricité nucléaire d'EDF soient taxées à hauteur de 50% dès lors que le prix du mégawattheure sur le marché dépasse la barre des 78-80 euros, puis à hauteur de 90% au-delà de 110 euros du mégawattheure.

« Dans les conditions de marché actuelles, cela reviendrait à un doublement du prix du mégawattheure par rapport à l'Arenh », estime Frank Roubanovitch, démonstration à l'appui.

« Prenons le prix de marché du jour pour 2024. Celui-ci est de 120 euros le mégawattheure. Cela signifie qu'EDF va vendre en moyenne son électricité à 120 euros. Avec le nouveau mécanisme, nous ne serons protégés qu'à partir de 80 euros. Et nous le serons à hauteur de 50% entre 80 et 110 euros. Cela signifie que, sur un écart de 30 euros, nous serons remboursés de 15 euros. Donc aux 80 euros que nous devrons payer, s'ajouteront les 15 euros restants. Ce qui fait un total de 95 euros. Nous payerons donc le double par rapport à l'Arenh », fustige-t-il.

« Un manque catastrophique de visibilité »

Outre ce niveau de prix très élevé, la CLEEE, dont les entreprises adhérentes représentent près de 400 milliards d'euros de chiffre d'affaires et environ 2 millions d'employés, estime que ce nouveau mécanisme les protègera moins en cas de crise sur la production d'électricité nucléaire.

Surtout, elle s'inquiète « d'un manque catastrophique de visibilité pour les entreprises ». « Pour les prix d'électricité en 2026, nous ne connaîtrons que début 2027 le montant qui nous sera rétrocédé. Nous avancerons donc à l'aveugle, alors que nous aurions besoin de connaître vers mi-2025 les prix de l'électricité de 2026 pour établir notre budget, fixer nos propres prix de ventes. Cela va être très compliqué pour prendre des décisions d'investissements. Ce manque de visibilité est délétère pour les entreprises. Cela fait des semaines que je le répète », déplore-t-il.

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« Le fait que ce soit régulé a postériori peut être effectivement un problème », reconnaît Philippe Darmayan, l'ancien président d'ArcelorMittal France et auteur d'un rapport destiné à favoriser les contrats d'approvisionnement à moyen et long terme pour les industriels dits électro intensifs, regroupé pour la plupart au sein de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (Uniden)

Les entreprises électro-intensives plus réservées

Pour l'heure, ses adhérents, qui représentent environ 70% de la consommation énergétique industrielle en France, sont beaucoup moins critiques à l'égard de l'accord trouvé avec EDF. Et pour cause, ces derniers devraient pouvoir bénéficier de prix bien plus compétitifs et d'une visibilité suffisante pour la décarbonation de leurs activités grâce à la mise en place de contrats d'approvisionnement de très long terme avec EDF (à travers lesquels ils participeront au financement du nucléaire). Contrats, dont les modalités d'applications n'ont toutefois pas encore été révélées.

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Mais cette alternative « ne correspond pas au besoin de 99% des entreprises françaises », déplore Frank Roubanovitch. « Les hyper électro-intensifs sont des entreprises qui peuvent se projeter sur 20 ans, ce qu'une ETI ne peut absolument pas faire », poursuit-il. Alors que cette régulation devra être adoptée dans le cadre d'une loi, le président de la CLEEE mise sur le débat parlementaire pour obtenir « une révision importante » de ce mécanisme. « Toutes les entreprises vont se mobiliser derrière ces belles annonces. Je suis certain que les lignes vont bouger », assure-t-il.

De son côté, le gouvernement a prévu une clause de revoyure dans un délai de six mois et le lancement d'une consultation auprès des industriels, des consommateurs et des fournisseurs.

Juliette Raynal

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Commentaires 16
à écrit le 15/11/2023 à 15:49
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il faut poursuivre l'etat francais, et Lemaire en particulier, pour manipulation de cours, delit d'initie, escroquerie en, bande organisee, et abus de bien social........apres avoir tripatouille les regles de l'electricite, ils ont envoye edf au tas,...

à écrit le 15/11/2023 à 11:49
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Comme ce gouvernement en tout ezt pour tout est incapable de dire la vérité aux citoyens Français et pour l'électricité nucléaire: que nous ne sommes pas sorti du dispositif de l'UE et que la conséquence est le surenchérissement important du KWH. Que...

à écrit le 15/11/2023 à 8:00
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Avec tout cet argent public déversé sur les entreprises et personnes privées, peut on encore parler de capitalisme ?

à écrit le 15/11/2023 à 6:42
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Bonjour, pour les entreprises hors les entreprises de production d,energie qui profite au maximun de l'électricité d'origine nucléaires, les autres devraient avoir un prix stable.. Ou alors elle peuvent produire pas elle même leur électricité, pa...

à écrit le 15/11/2023 à 3:49
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@de l'etat. On se reveille ? Attendez la suite, il vous reste un peu moins de quatre ans.

à écrit le 14/11/2023 à 22:59
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Cette idée que si le prix de l'électricité n'est pas fixe les entreprises ne peuvent pas investir est grotesque et digne de dirigeants d'une économie administrée plus que d'entrepreneurs. L'incertitude et la flexibilité des prix de tous les intrants ...

le 15/11/2023 à 3:34
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quel est le nom de votre entreprise ?? merci

à écrit le 14/11/2023 à 19:57
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Si on comprend bien, EDF vendait à 42 € aux fournisseurs alternatifs qui revendaient à une multitude de grandes entreprises à un prix inférieur au coût de production dont on sait désormais qu'il tourne autour des 70 €! Autant qu'EdF vende directeme...

à écrit le 14/11/2023 à 19:36
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Quelqu'un saurait-il expliquer la chose suivante : D'un côté, entreprises comme particuliers, trouvent que les tarifs EDF sont hors de prix ...! D'un autre côté, EDF a des comptes dans le rouge malgré tout !!! Où passe l'argent ?????????

le 14/11/2023 à 19:56
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Il faut bien commencer à rembourser les emprunts qui ont financé les investissements massifs actuels et ceux à venir et les recettes n'y suffisent pas ..

le 14/11/2023 à 22:12
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@Idx. Pourtant, c'est bien un business model (Moral Hazard) que vous cautionnez en 2023 (en référence par exemple à votre opposition à mon post sur la dernière manœuvre financière ORPEA, en la minimant par comparaison crasse, c'est-à-dire via un soph...

le 14/11/2023 à 22:28
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La reponse: epr et les taxes dans les poches de l'état. Regardez vos factures, 75% sont les abonnements et taxes de l'état Ils arrivent même à taxer les taxes...

le 15/11/2023 à 0:16
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L’ argent est passé dans l’ arenh: les 65 milliards de dettes - il n y en avait qu une 15 il y a 20 ans -correspondent à la différence coût prod / tarif vente forcée aux prix bas aux « énergéticiens « alternatifs qui en ont revendus une partie su...

le 15/11/2023 à 0:16
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L’ argent est passé dans l’ arenh: les 65 milliards de dettes - il n y en avait qu une 15 il y a 20 ans -correspondent à la différence coût prod / tarif vente forcée aux prix bas aux « énergéticiens « alternatifs qui en ont revendus une partie su...

le 15/11/2023 à 2:59
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L'état a toujours ponctionné les finances d'EDF. Mme Lagarde lors de son passage à Bercy avait imposé une règle pour éviter à l'état de trop voler les bénéfices de l'électricien. Cette règle a depuis été revue et l'état dont le locataire de Bercy un ...

à écrit le 14/11/2023 à 19:36
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Quelqu'un saurait-il expliquer la chose suivante : D'un côté, entreprises comme particuliers, trouvent que les tarifs EDF sont hors de prix ...! D'un autre côté, EDF a des comptes dans le rouge malgré tout !!! Où passe l'argent ?????????

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