
La fête aura été de courte durée. Mardi dernier, quand elle a reçu des autres pays européens l'autorisation de réguler les prix de son nucléaire, la France se félicitait d'avoir remporté une « victoire importante » à Luxembourg sur la réforme du marché de l'électricité. Mais cette bataille en annonçait d'autres. Car l'Etat doit désormais convaincre l'exploitant du parc tricolore, l'énergéticien EDF (dont il vient d'acquérir 100% du capital), d'accepter un plafonnement de ses tarifs qui l'empêchera de vendre à sa guise, et selon ses conditions, sa production sur les marchés.
Or, pour l'heure, aucun compromis ne se dégage clairement sur la question...au point que, d'après l'agence de presse Reuters, plusieurs responsables de l'entreprise publique mais aussi des administrateurs redoutent une possible démission de son PDG, Luc Rémont.
« S'il estime que l'Etat limite trop les moyens d'EDF, il est tout à fait possible qu'il démissionne. Tout va dépendre des volumes et du prix (prévus dans la nouvelle régulation) », a déclaré une source interne à l'agence de presse anglo-saxonne.
Un scénario qui n'arrangerait ni EDF, ni les pouvoirs publics, bien résolus à trouver une porte de sortie avant la fin de l'année.
« Le gouvernement n'a pas intérêt à ce que Luc Rémont claque la porte. Ce serait même un sacré échec ! », affirme un administrateur à La Tribune. « Chacun a intérêt à sortir par le haut, surtout vis-à-vis des Allemands », ajoute un cadre d'EDF.
« Si EDF n'a pas de visibilité pour se financer, cela remet en cause toute la filière nucléaire. Et si l'Etat ne trouve pas d'accord avec EDF, le programme nucléaire ne redémarrera pas, qu'il y ait Luc Rémont ou non », souligne pour sa part Pierre Gadonneix, PDG d'EDF de 2004 à 2009.
Trouver un successeur à l'ARENH
D'où vient, alors, ce blocage persistant ? Pour le comprendre, il faut avoir en tête la perspective de la fin de l'ARENH dès 2026, un mécanisme qui oblige depuis 2011 EDF à vendre une partie de sa production au prix de 42 euros/MWh, afin de faire profiter les Français de la « rente » du nucléaire. Or, ce prix n'est plus considéré comme le coût réel de production du parc atomique depuis bien longtemps, si tant est qu'il l'a déjà été.
Ainsi, le gouvernement et EDF cherchent un système alternatif, qui prendrait mieux en compte le prix de revient des centrales d'EDF. Lequel a augmenté ces dernières années, en raison de la volonté de prolonger au maximum les centrales (ce qui exige de les remettre à niveau), mais aussi à cause des baisses de production et de l'inflation. Autrement dit, le successeur de l'ARENH devra garantir des prix compétitifs aux consommateurs français, tout en permettant à EDF de couvrir ses frais...et d'investir dans son outil de production.
Mais cette équation n'est pas si simple : concrètement, où placer le curseur ? En l'espèce, l'intérêt du consommateur et celui d'EDF ne se recoupent pas forcément. Car tandis que l'un s'intéresse davantage à sa facture qu'à la santé financière de l'électricien historique, l'autre cherche d'abord à s'y retrouver d'un point de vue comptable, alors qu'une relance du nucléaire pèse sur ses épaules.
Des intérêts divergents
Résultat : chacun tente de faire valoir ses intérêts. Celui de l'exécutif est d'obtenir un prix de l'électricité le plus bas possible pour les consommateurs. Et pour cause, sur les marchés, l'électricité s'échange aujourd'hui autour de 120 euros le MWh pour livraison début 2025 ! Pour les contourner, le gouvernement cherche ainsi à garantir un prix de vente qui s'assimilerait à une sorte de plancher...mais également à définir un plafond proche des coûts de production, estimés autour de 60 euros/MWh par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), au-delà duquel l'Etat ponctionnerait les rentes d'EDF.
« La position de certains au sein de l'Etat, c'est de sacrifier le long terme au profit du court terme avec des prix régulés le plus bas possible, quitte à faire l'impasse sur le financement du nouveau nucléaire et à dire que l'Etat en fera son affaire...plus tard. Et ce, alors même qu'il est déjà surendetté », glisse un très bon connaisseur du dossier.
Luc Rémont, lui, ne l'entend pas de cette oreille. Afin de vendre à un prix qui lui permet d'investir sans se voir imposer des couloirs de prix, le groupe préfèrerait négocier des contrats selon ses termes, sur des logiques de marché. Celui-ci avance d'ailleurs des coûts complets de production bien supérieurs à ceux établis par la CRE, autour de 75 euros par MWh sur la période 2026-2030. Auxquels il faudrait ajouter, donc, des marges pour assurer le renouvellement du parc.
L'histoire se répète
Ce bras de fer entre le patron d'EDF et l'exécutif a comme un goût de déjà vu. En 2009, avant l'ouverture du marché français de l'électricité à la concurrence, Pierre Gadonneix, alors aux manettes de l'électricien, avait plaidé pour une hausse de 20% des tarifs de l'électricité sur cinq ans pour permettre à EDF de relancer ses investissements. La proposition avait suscité une levée de boucliers au sein du gouvernement au point que son mandat n'avait pas été renouvelé... Pour l'heure, le point de rupture entre les deux parties n'a pas encore été atteint. Les négociations, bien qu'extrêmement tendues, semblent même avancer avec l'esquisse d'une fourchette de prix comprise entre 70 et 90 euros le mégawattheure (MWh).
Malgré ces timides avancées, le flou persiste sur l'état réel des négociations tant les discours sont contradictoires. Alors que Luc Rémont ne s'exprime pas publiquement sur le sujet et que ses rendez-vous avec la Première ministre Elisabeth Borne se sont multipliés au cours des dernières semaines, le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire tente, lui, de minimiser les tensions. « Il n'y a pas de bras de fer entre l'Etat et EDF », a-t-il affirmé lors d'une conférence mardi dernier. « L'opposition que l'on présente entre EDF et l'Etat est très caricaturale et ce n'est pas la réalité », avait également glissé Alexis Zajdenweber, à la tête de l'Agence des participations de l'Etat (APE), devant la presse mi-octobre.
« L'Etat se comporte bien pire qu'un actionnaire classique »
Un discours réfuté par d'autres.
« Les négociations avec l'Etat ne vont pas mieux contrairement à ce que dit Bruno Le Maire. L'Etat se comporte bien pire qu'un actionnaire classique », assure un administrateur, pour qui ces négociations constituent « un vaste jeu à multiples bandes ».
Derrière ce bras de fer autour du prix de l'électricité se pose en réalité un véritable sujet de gouvernance car, même si le capital du groupe est désormais entièrement dans les mains de l'Etat, EDF reste une société anonyme et non une entreprise publique. Luc Rémont affirme donc sa vision d'une entreprise de droit privé évoluant dans un marché ouvert et concurrentiel.
« A sa nomination, il lui a été dit qu'EDF resterait une véritable entreprise et pas un service de l'Etat dans lequel tout est décidé ailleurs », pointe un très bon connaisseur du dossier.
Pour certains représentants syndicaux, la voie de sortie consisterait d'ailleurs à faire d'EDF un Établissement public à caractère industriel ou commercial (EPIC)...
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