Projet de loi souveraineté énergétique : pourquoi le gouvernement met les énergies renouvelables en sourdine

Un projet de loi relatif à la souveraineté énergétique est en préparation. Le texte mentionne bien le rôle des énergies renouvelables pour la sécurité d’approvisionnement du pays sans pour autant assigner d’objectifs précis à leur déploiement... contrairement au nucléaire. Tandis que le gouvernement défend une approche « neutre technologiquement », plusieurs observateurs y voient une manœuvre politique pour obtenir le vote du texte au Parlement.
Juliette Raynal
« On se retrouve donc avec un projet de loi où le récit de l'avenir énergétique de la France ne repose que sur le nucléaire », Jules Nyssen, le président du Syndicat des énergies renouvelables (SER).
« On se retrouve donc avec un projet de loi où le récit de l'avenir énergétique de la France ne repose que sur le nucléaire », Jules Nyssen, le président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). (Crédits : Reuters)

Le gouvernement a-t-il supprimé les grands objectifs chiffrés de développement des énergies renouvelables dans son projet de loi relatif à la souveraineté énergétique par crainte que la droite s'y oppose et bloque le vote du texte ? C'est en tout cas une explication qu'avancent et déplorent plusieurs acteurs du secteur, dont Jules Nyssen, le président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), alors que l'adoption de la loi sur l'accélération des énergies renouvelables, au printemps dernier, avait déjà suscité de vifs débats parlementaires.

 « Le gouvernement présuppose que les députés LR ne voudront pas entendre parler d'énergies renouvelables. Il y a une volonté de privilégier le fait qu'un texte soit voté à son contenu », regrette-t-il.

« On se retrouve donc avec un projet de loi où le récit de l'avenir énergétique de la France ne repose que sur le nucléaire. Alors que la ministre assure que les énergies renouvelables sont complémentaires, où sont les objectifs chiffrés ? Il manque une donnée de l'équation. Je suis extrêmement surpris de la première version de ce texte de loi. C'est la mauvaise nouvelle de la rentrée », lâche, très irrité, le représentant de la filière.

Eviter un blocage de la droite

« L'extrême droite et la droite ne voteront aucun projet aussi ambitieux que ce que souhaite faire le gouvernement sur le solaire et l'éolien offshore. (...) C'est une question politique. Si l'aile gauche de l'Assemblée nationale soutenait beaucoup plus activement les énergies renouvelables, nous aurions peut-être eu un projet de loi plus engageant sur ces dernières », estime, pour sa part, Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting.

Dans une interview accordée dimanche 7 janvier dans nos colonnes, la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a présenté les grandes lignes d'un avant projet de loi visant à assurer la souveraineté énergétique de la France à l'horizon 2035. Le texte fait la part belle à l'atome civil en lui assignant plusieurs objectifs précis. Il est ainsi question de « maintenir une puissance installée d'au moins 63 GW et une disponibilité d'au moins 66 %, avec l'objectif d'atteindre une disponibilité de 75 % à partir de 2030, assurant un socle de sécurité d'approvisionnement jusqu'en 2035 ».

Absence d'objectifs chiffrés

Le texte acte également la volonté d'engager la construction de huit réacteurs EPR en plus des six déjà annoncés, et ce dès 2026. Certes, la formulation choisie dans le texte privilégie (du moins sur le papier) une neutralité technologique en ne faisant référence qu'à 13 GW supplémentaires, mais l'exposé des motifs précise justement que ces 13 GW correspondent à huit EPR. Par ailleurs, la ministre a affirmé dans le même entretien qu'il faudrait aller au-delà des six premiers EPR.

A l'inverse, le texte est bien plus timide sur l'éolien et le solaire, deux sources d'énergies renouvelables intermittentes, dont la production varie selon les conditions météorologiques, et à l'acceptabilité particulièrement difficile dans l'Hexagone. Aucun objectif chiffré quant aux capacités à déployer et au niveau de production à atteindre n'y apparaît. Seule une cible sur la chaleur et le froid renouvelables (reposant sur des méthaniseurs ou de la géothermie) est mentionnée.

Interrogé sur cette absence, l'entourage de la ministre assure, au contraire, que le texte « confie un rôle crucial aux énergies renouvelables, qui constituent la clef de voûte sur laquelle repose la sécurité d'approvisionnement énergétique » de la France, en faisant notamment référence au 5ème alinéa de l'article 1er du texte. Lequel stipule que le déploiement des énergies renouvelables doit permettre « d'assurer conjointement aux moyens pilotables [que constituent le nucléaire, l'hydraulique ou encore la biomasse, ndlr] (...) la couverture des besoins en électricité décarbonée ». Il est « strictement faux d'indiquer que ce projet de loi n'a pas d'ambition dans les renouvelables », insiste-t-on. Les objectifs de chaque filière renouvelable, eux, «seront déclinés au niveau réglementaire avec la PPE [Programmation pluriannuelle de l'énergie, ndlr], en cours de préparation », explique-t-on, en évoquant des « volumes massifs ».

Le risque d'objectifs réglementaires plus « fragiles »

De fait, la PPE dont la publication par décret est attendue pour l'été prochain, fixe des objectifs ambitieux avec, par exemple, une multiplication par cinq des capacités photovoltaïques d'ici 2035 ou encore 18 GW d'éolien en mer, contre seulement 0,5 GW aujourd'hui. En matière d'éolien terrestre, le document ne prévoit pas d'accélération mais un maintien du rythme de développement. « Ce qui représente quand même l'équivalent d'un EPR par an », souligne Nicolas Goldberg.

Reste que ces objectifs chiffrés, bien qu'inscrits dans un décret, n'auront pas la même valeur que s'ils étaient inclus dans un texte législatif. « Un préfet qui s'oppose à l'éolien pourra dire que les objectifs n'ont pas été votés. Ce sera juridiquement plus fragile », pointe Nicolas Goldberg.

« Pis encore », déplore Jules Nyssen, le texte supprime du code de l'énergie, la part que les énergies renouvelables devront représenter dans la consommation énergétique finale. « L'objectif des 30% en 2030 en part de consommation finale a disparu et n'a pas été remplacé par l'objectif de 42,5% fixé récemment à l'échelle européenne », s'indigne-t-il.

L'argument de la « neutralité technologique »

« Une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas souhaité mettre un pourcentage comme il a existé par le passé, c'est que nous préférons avoir un objectif plus modulaire et résilient, qui permet de couvrir les besoins [en électricité, ndlr] selon les variations »  de production et de consommation d'électricité, défend l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher, en qualifiant ce projet de loi de « neutre » d'un point de vue technologique. L'objectif est de sortir des énergies fossiles, insiste-t-on.

Cette approche présentée comme « agnostique », est aussi celle que la France défend à l'échelle du Vieux Continent. Alors que la nouvelle directive européenne RED 3 relative aux énergies renouvelables a été adoptée en fin d'année dernière après de difficiles tractations, Paris et les autres membres de l'Alliance pour le nucléaire, qui regroupe désormais 14 pays, font bloc pour que la prochaine directive ne soit pas une directive « renouvelable », mais une directive « bas carbone ».

Une obligation de résultat ou de moyens ?

« Il faut probablement se poser la question de la structure même des objectifs, qui fixent aujourd'hui une part des énergies renouvelables dans la consommation d'énergie finale. Nous arrivons à une impasse et à une vraie difficulté pour les Etats membres qui ont une partie significative de nucléaire, qui ne peut être intégrée », avait expliqué, fin décembre, le cabinet de la ministre.

Autrement dit, au-delà de 2030, la France ne souhaite pas être soumise à un objectif plus contraignant en matière d'énergies renouvelables et préfère privilégier une obligation de résultat (qui consiste à sortir des énergies fossiles pour décarboner l'économie) plutôt qu'une obligation de moyens. Etonnamment, la logique inverse a été retenue dans l'avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique où il n'est plus question de « réduire» (obligation de résultat) les émissions de gaz à effet de serre, mais de « tendre vers une réduction de » (obligation de moyens). Ce qui n'a pas échappé à plusieurs observateurs, qui y voient une façon pour le gouvernement de se protéger de possibles futurs contentieux juridiques.

Juliette Raynal

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Commentaires 5
à écrit le 09/01/2024 à 11:26
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La "loi" McKroniste conclue qu'il est plus facile de gagner du temps, en le faisant perdre aux français, avec le nucléaire qu'avec le renouvelable ! ;-)

à écrit le 08/01/2024 à 22:48
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Dès qu'une question devient politique, les décisions absurdes suivent. La production d'électricité n'échappe pas à la règle. Comment justifier de devoir se passer d'énergies renouvelables alors que la consommation électrique va exploser ? Le nucléair...

le 09/01/2024 à 15:37
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N Sarko disait 'quand on mettra un euro dans le nucléaire on en mettra autant dans les renouvelables' mais il n'est plus aux manettes (et a-ce été fait sous son 'règne' ?). Un politique dans l'opposition s'oppose à tout même à ce qu'il préconise, c'...

à écrit le 08/01/2024 à 19:51
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Maintenant, quand on parle nation, il n'y a que pensées mercantiles... tout ce qui se fabrique sur un territoire est destiné à être vendue à l'extérieur avec plus value comme pour nos anciennes colonies ! ;-)

à écrit le 08/01/2024 à 19:32
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Les "LR"! Pour exister, alors qu'ils ne sont quasiment plus rien, ils sont prêts à tous les coups tordus, aller contre leur interet et surtout celui de la France. Résultat, ça se voit et ça ne va pas leur faire du bien. Les combines politicardes, le...

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