Cela s'est passé le 13 octobre dernier, dans deux lieux du XIIIe et du XIXe arrondissement de Paris. L'exercice, qui s'inscrit dans la stratégie de résilience de la Ville de Paris, visait à se projeter en juin 2032 en mettant en scène une vague de chaleur entre 38°C et 42°C, puis un pic à 50°C. Ecoles, habitants, résidents d'Ehpad, opérateurs de réseau, Croix-Rouge, préfecture de police... ont pris part à cette simulation de canicule extrême. Ainsi, une classe de CM2, rue Manin, a été évacuée, d'abord dans un square puis dans un parking, tandis que, dans le quartier Rungis, des enfants ont été mis à l'abri dans un tunnel pour se rafraîchir.
L'objectif de ce voyage vers le futur ? « Essayer d'anticiper, de travailler avec les habitants et tous les partenaires pour imaginer les différentes crises qui pourraient avoir lieu et explorer des pistes d'actions pour y remédier et se tenir prêts », explique Pénélope Komitès, adjointe à la Maire de Paris chargée de l'innovation, de l'attractivité, de la prospective Paris 2030 et de la résilience. Une opération inédite... « La culture du risque et des crises n'existe pas dans ce pays. Il devient nécessaire aujourd'hui de former les habitants à la gestion de celles-ci », pointe l'élue. Voire de mettre en place une chaîne citoyenne de solidarité et de confier à l'avenir aux habitants des rôles particuliers.
S'il ne s'agissait que d'un entraînement, celui-ci n'a pourtant rien d'une dystopie mais s'inspire bien de pronostics climatiques réels. En juillet 2019, le thermomètre a grimpé à 42,6°C, battant un record à Paris. Pis, selon les données de Météo France et de l'Agence parisienne du climat, d'ici à 2050, il y aura un rythme moyen de 10 à 25 canicules par an en France. Dès 2030, 34 journées de canicule et autant de nuits dites tropicales par an sont attendues dans la capitale. Bref, une hausse des températures qui remet en question la possibilité même de vivre en ville.
Changement de paradigme
Face à cette perspective, les élus parisiens retroussent les manches. Un nouveau Plan local d'urbanisme (PLU), dit bioclimatique, a été adopté cette année pour définir les orientations dans les quinze années à venir, tandis que cette semaine, le 4e Plan climat devrait être présenté en Conseil de Paris. « Ce PLU est à bien des égards révolutionnaire, parce qu'il change radicalement le paradigme et la vision urbaine », affirme Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la Maire de Paris en charge de l'urbanisme, de l'architecture, du Grand Paris, des relations avec les arrondissements et de la transformation des politiques publiques, tout en soulignant l'importance de la « densité désirable » qui constitue d'après lui l'une des grandes solutions au problème climatique des villes.
Place, donc, à de nouveaux modèles. « On est dans un moment central de l'histoire de l'urbanisme, en particulier à Paris », analyse de son côté Marion Waller, directrice générale du Pavillon de l'Arsenal. Fini le temps où la solution était de créer des mètres carrés ou même de parler de smart city. « Aujourd'hui, la question, c'est l'urbanisme de survie. Ce qu'on doit faire dans les villes, c'est avant tout assurer notre vie », prévient la dirigeante de ce centre d'information, de documentation et d'exposition d'urbanisme et d'architecture à Paris. « La priorité, désormais, c'est l'eau et l'ombre, des choses finalement basiques qui façonnaient les villes telles qu'elles existent ». Sans faire table rase, l'enjeu est de réactualiser. « Il s'agit de s'appuyer sur la qualité de notre modèle urbain haussmannien qui est incroyable de par sa densité, sa marchabilité, où tout est proche, et où l'on accède à des services très rapidement », avance Marion Waller.
Le piéton et le végétal au cœur de la rue
Autant de constats qui appellent un nouvel imaginaire collectif. De fait, pendant longtemps, une rue se représentait avec des voitures au milieu, des piétons sur le côté et puis quelques arbres. « Si l'on se dit que le piéton et le végétal sont au centre de la rue, comme c'est le cas du programme Rues aux écoles, on voit que cela ressemble à complètement autre chose », dit Marion Waller. Reste que, alors que le foncier se fait rare à Paris, redonner l'accès à la végétation aux Parisiens sera un combat. Illustration, le Plan 300 hectares, qui s'inscrit dans le PLU bioclimatique, ambitionne de porter à 10 mètres carrés par habitant la surface d'espaces verts. « Quand on regarde le foncier disponible, on s'arrache les cheveux. Cela ouvre le chemin vers des arbitrages très compliqués », admet Emmanuel Grégoire. « Mais il faut comprendre que l'enjeu environnemental est un impératif de la soutenabilité, y compris pour l'attractivité économique à long terme », tranche l'élu.
Intégrer la biodiversité en amont des projets
Autre interrogation, comment concilier la lutte contre les îlots de chaleur et la production de logements, tout en prenant en compte la biodiversité. Une problématique qui, à l'heure de la 6e extinction galopante des espèces, concerne fortement « le secteur de l'immobilier et du logement sur toute sa chaîne de valeur - la logistique, la façon de construire et d'approvisionner les chantiers - mais aussi sa gestion, notamment celle de l'artificialisation des sols », alerte Marianne Louradour, présidente de CDC Biodiversité. Autant de raisons faisant que la filière devrait faire partie des groupes de travail dans le cadre de la récente stratégie nationale de la biodiversité qui invite les acteurs économiques à se saisir du sujet.
Marier les injonctions parfois paradoxales est une quête du « bon équilibre » à laquelle tend Strasbourg, une métropole de plus d'un million d'habitants et 27 000 demandes de logements sociaux en attente, sur un territoire déjà largement artificialisé, témoigne Anne-Marie Jea, vice-présidente de l'Eurométropole de Strasbourg. Exemple d'action, « d'ici la fin du mandat, 60 % des 130 écoles auront des cours végétalisées. On enlève du bitume et on met à la place d'autres types d'aménagements comme les copeaux de bois », décrit-elle. Un plan de plantation de mille arbres par an avec une réflexion sur la nature des arbres qui puissent tenir sur la durée vise, lui, à améliorer la qualité de l'air et des sols, de même que favoriser la biodiversité.
Dans leurs démarches, les élus peuvent se faire accompagner par la CDC biodiversité. Elle a élaboré un « Global Biodiversity Score », outil de modélisation de l'impact sur l'ensemble de la chaîne de valeur. Sans oublier de respecter, dans l'acte de construire, les fondamentaux tel que la séquence ERC (éviter, réduire, compenser) et, surtout, « d'intégrer la biodiversité dès le début du projet », affirme Marianne Louradour.
Se déplacer à 50°C
Enfin, l'un des sujets brûlants reste celui des transports, en particulier la diminution de la place de la voiture individuelle en ville, paramètre de poids dans la pollution. Pour limiter celle-ci, une voie réservée au covoiturage avec une vitesse fixée à 50 km/h sur le boulevard périphérique après les Jeux olympiques de Paris est ainsi défendue par la Ville... non sans faire grincer les dents. « Le dérèglement climatique pose la question de notre liberté et de notre capacité à nous déplacer dans un monde à 50°C, ainsi que de la manière de garantir le droit universel à la mobilité », relève David Belliard, adjoint à la maire de Paris en charge de la transformation de l'espace public, des transports, des mobilités, du code de la rue et de la voirie. Pour cet élu, le débat sur le périphérique est « un jeu de postures politiques ». Parmi les raisons de cette mesure, « si nous voulons faire une voie dédiée au covoiturage, le Cerema nous conseille fortement pour assurer la sécurité de passer à 50km/h pour fluidifier les passages. Ce projet global était dans le dossier des JO qui a été voté », justifie-t-il. Et de marteler que « nous sommes face à une bombe sanitaire ».
Dans cette équation complexe des futurs transports urbains, l'une des réponses pourrait venir de l'innovation, à l'instar de celle de la jeune pousse Zeway, qui cherche à lever les freins au scooter électrique grâce à un système d'échange de batteries en station. Avec d'autres pépites, elle contribue à repenser la mobilité urbaine de demain, pour laquelle les solutions restent à trouver.
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