Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste, héros d’une histoire romanesque

ENTRETIEN - Les deux acteurs surdoués se retrouvent mercredi à l’affiche du film de Katell Quillévéré « Le Temps d’aimer ».
Charlotte Langrand
Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste, héros d’une histoire romanesque
Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste, héros d’une histoire romanesque (Crédits : © CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Ils accompagnent le public français sur grand écran depuis leurs 14 ans. On l'a vue, elle, dans Le Temps du loup de Michael Haneke puis chez la crème des réalisateurs comme François Ozon, Christophe Honoré ou Robert Guédiguian avant qu'elle remporte le césar de la meilleure actrice pour Alice et le maire. Lui a tout de suite crevé l'écran dans Les Beaux Gosses de Riad Sattouf, avant de tourner aussi chez Ozon, Honoré ou Dupieux et de remporter le césar du meilleur acteur dans un second rôle pour Illusions perdues de Xavier Giannoli. Avec leurs filmographies sans faute de goût, Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste sont parmi les meilleurs acteurs de leur génération. Amis dans la vie, ils nous racontent comment s'est passé le tournage de leur premier grand film romanesque, où ils incarnent un couple atypique et maltraité par l'Histoire.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Ce n'est pas la première fois que vous tournez ensemble... Est-ce que c'est utile de bien se connaître pour être un couple à l'écran ?

VINCENT LACOSTE : Oui, nous sommes très amis. Et pour ce film, ça nous a beaucoup aidés. J'aime faire des films avec les gens que j'aime parce que c'est un marqueur du temps et que je serai content de les montrer plus tard à mes enfants !

La première fois que j'ai eu cette impression, c'était avec Première Année, avec Will [l'acteur William Lebghil] ; depuis, je suis en mode « films qui représentent notre amitié avec Will » ! J'aime partager Le Temps d'aimer avec Anaïs, aussi. D'autant plus que, lorsque le jeu est complexe, on doit prendre le temps de faire confiance à son partenaire ; mais là, la confiance existait déjà.

ANAÏS DEMOUSTIER : L'histoire d'amour du film s'étale sur vingt ans, leur amour dévie et devient aussi une amitié, une fraternité... donc le fait qu'on soit complices dans la vie, qu'on ait confiance l'un dans l'autre, a nourri le rapport de nos personnages, nous n'avions pas besoin de l'inventer, de le jouer.

C'est notre luxe de pouvoir être infidèles

Comment avez-vous préparé vos rôles ?

V.L. : C'est une des premières fois que j'entrais dans un personnage par le corps. J'ai beaucoup observé Daniel D. Lewis et revu Phantom Thread, pour le chic et la tenue du personnage : par son éducation, François est assez chic, et il n'est pas très musclé non plus... pas comme moi aujourd'hui, bien sûr ! J'ai dû maigrir car Katell voulait que le personnage ait une retenue, qu'il soit un peu enfermé en lui-même ; donc ça m'a servi de me retenir aussi dans la vie, de me donner faim, car j'étais plus fébrile et fragile. Tout cela fait de mon personnage un homme « empêché », que la société empêche et qui s'empêche lui-même. Il vit dans la honte.

A.D : Madeleine aussi a eu la honte marquée sur son corps : quand elle est tondue puis à la fin. Tout le film montre à quel point le corps des femmes est éprouvé par l'existence. Madeleine est aussi dans l'action : elle est serveuse, elle s'occupe seule de son fils... C'est un personnage de battante, qui avance. Elle ne subit pas. Comme l'histoire s'étend sur vingt ans, j'ai porté des costumes et des coiffures différentes selon les époques et l'évolution de son niveau social. C'est un film qui montre le temps qui passe de façon subtile, pas par une performance : je déteste ça, voir l'acteur qui a tout donné pour « faire la vieillesse ».

Le film aborde des sujets tabous de l'histoire de France qu'on n'a pas souvent vus traités au cinéma...

A.D. : Ensemble, ils vont se sortir de ces interdictions, faire équipe pour affronter les interdits d'une société. Et l'amour peut les sauver.

V.L. : Oui, c'est ce qui fait son originalité et la force des personnages. Elle est tondue à la Libération, moi je suis homosexuel dans une France où c'est interdit. On voit la violence qu'a subie cette femme mais aussi l'après. Le film est beau car il donne un espoir : c'est une épopée romantique, avec de la tragédie et de l'émotion. Un grand film de cinéma.

C'est aussi un film romanesque qui s'interroge sur le couple...

V.L. : Le film dit que le couple, c'est celui qu'on invente. A priori, ces deux personnages ne sont pas faits pour se rencontrer et ils réussissent quand même à s'aimer malgré leurs différences et leurs désirs divergents. C'est très moderne.

Dans les films des années 1970, on a souvent montré une image de l'homosexualité caricaturale, presque homophobe. Ça a changé grâce à des évolutions sociales et aussi grâce à des cinéastes comme Téchiné, qui en ont montré quelque chose de plus subtil.

Le film montre la vérité du couple dans les tréfonds de ce que peuvent partager les gens.

Anaïs Demoustier

A.D. : Le film montre la vérité du couple dans les tréfonds de ce que peuvent partager les gens. Ce sont des questions très contemporaines : comment un couple dure, comment on élève un enfant qui n'est pas le sien, pourquoi la mère a du mal à aimer son fils... Tout est dans le titre : le temps qu'il faut pour aimer l'autre ou s'aimer soi-même. L'histoire se passe dans les années 1950-1960 mais résonne aujourd'hui, ce n'est pas une reconstitution poussiéreuse !

Les scènes d'amour sont charnières dans le film... Était-ce écrit ou avez-vous improvisé ?

V.L. : La scène avec le soldat est importante car c'est là que mon personnage dévoile son secret et qu'il partage enfin un vrai moment de complicité et de désir. C'est un moment clé pour leur complicité et l'acceptation d'eux-mêmes. La scène est assez crue, mais sans nudité ni voyeurisme. Pour moi, les scènes de sexe réussies sont celles qui participent à la dramaturgie, quand l'histoire progresse grâce à elles.

A.D. : Ils essaient de partager ce qu'ils sont avec le monde, de dépasser leur frustration, de rencontrer leur désir. La scène n'était pas difficile à tourner car elle était nécessaire, pas gratuite ni pour le plaisir du spectateur. Il y a beaucoup de pudeur : la réalisatrice avait écrit la scène précisément, c'était presque chorégraphié et on connaissait toutes les étapes. Il y a surtout des regards... J'adore vraiment cette scène de communication entre les personnages, où ils ne se disent rien mais où l'on comprend tout.

Vous avez tous les deux commencé le cinéma à 14 ans... Ce film, qui vous montre plus vieux et parents, marque-t-il une étape dans votre carrière ?

A.D. : Les gens nous le disent... Et j'ai bien vu que Vincent faisait quelque chose de nouveau dans ce film, et qu'il était loin de ce que l'on connaît de lui, c'est-à-dire cette sorte de jeune extraordinairement drôle. Là, il est père et ça lui donne une nouvelle maturité. Il a beaucoup travaillé la timidité, la retenue... un autre visage de lui. Et moi, je n'avais jamais été aussi vieille dans un film ! Pour moi, Madeleine est vraiment la femme dans toutes ses dimensions : la mère, l'amante, la femme qui travaille... Un personnage génial comme je n'en avais pas eu jusqu'ici. C'est un rôle qui compte pour moi et un film important.

V.L. : Pour moi aussi, même si on ne se rend jamais compte des étapes au moment de les vivre. Quand vous commencez jeune, ça prend du temps de se débarrasser de l'image que les spectateurs ont de vous au départ : comme les gens vous ont vu grandir, ils ont l'impression que vous êtes leur petit frère... Mais tout dépend de la façon dont les films sont accueillis : si nous sommes acteurs dans des films qui marquent les gens, ensuite les réalisateurs nous proposent des rôles différents.

Pour moi, les scènes de sexe réussies sont celles qui participent à la dramaturgie

Vincent Lacoste

A.D. : Je fais aussi attention à ne pas avoir d'étiquette, comme celle de l'éternelle jeune fille... Les gens vous ont vue jeune et n'arrivent pas à vous voir autrement. C'est un vrai risque. Mais pour moi, c'est différent de Vincent : les gens l'ont tout de suite identifié à son rôle dans Les Beaux Gosses, qui a beaucoup marché. J'ai eu un départ plus tranquille : j'ai tourné régulièrement depuis mes 18 ans mais sans le gros « carton » qui vous enferme dans un rôle. J'ai toujours été vigilante dans mes choix car je sais que les acteurs qui m'ennuient jouent toujours dans la même énergie ou le même genre de films. Moi, j'ai adoré faire la flic dans Novembre et La Bête dans la jungle. C'est notre luxe de pouvoir être infidèles et varier les plaisirs.

Vos parents ne viennent pas du milieu du cinéma. Comment est née votre vocation ?

A.D. : Après le film de Haneke, j'étais sûre de vouloir faire du cinéma. Je n'avais aucun doute sur le fait d'arriver à être actrice ! Avec du recul, j'hallucine sur la confiance que j'avais ! J'ai dû attendre et passer mon bac, mais j'attendais impatiemment que le lycée finisse pour aller faire ma vie à Paris et être actrice. Ensuite, ça s'est imposé tout seul. C'est très agréable de ne pas être issue d'une famille qui vient du cinéma, j'en tire une certaine fierté : c'est mon parcours à moi, nos parents ont eu l'ouverture d'esprit de nous laisser faire des films jeunes. Jouer est très agréable et très addictif et les discussions avec les cinéastes me nourrissent, me font réfléchir au monde et m'aident à grandir.

V.L. : C'est marrant, moi c'est pareil... L'échec n'a jamais été une option ! J'ai commencé par hasard, mais du moment où j'ai commencé, j'ai su que j'avais envie d'être acteur et que j'allais le faire. Après, très vite, on m'a proposé des films ; j'ai l'impression d'avoir toujours fait ça. J'ai découvert un monde qui m'a fasciné : se confronter à des personnalités différentes, rencontrer des gens passionnés et passionnants qui viennent de partout... Je me suis senti tout de suite à ma place sur un plateau.

Charlotte Langrand

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