Ariane de Rothschild : « Le large en Ultim, c’est surhumain »

ENTRETIEN - La cofondatrice de Gitana Team explique le choix de bâtir un nouveau bateau et confie son admiration pour les skippeurs de ces F1 des mers.
Ariane de Rothschild, jeudi à Paris.
Ariane de Rothschild, jeudi à Paris. (Crédits : © CYRILLE GEORGE JERUSALMI pour La Tribune Dimanche)

Jeudi, à l'occasion de la remise d'un prix par l'Académie de marine, la baronne Ariane de Rothschild a annoncé la construction d'un nouveau trimaran géant, Gitana 18, dont la mise à l'eau est prévue en septembre 2025. Quelques instants plus tard, dans un salon où étaient conviés le directeur général de l'équipe, Cyril Dardashti, le skippeur Charles Caudrelier et l'architecte Guillaume Verdier, celle qui préside et dirige le groupe Edmond de Rothschild, spécialisé dans la banque privée et la gestion d'actifs, a défendu ce nouveau projet. Et refait l'histoire de l'écurie de course Gitana Team, qu'elle a lancée en 2000 avec son mari Benjamin (décédé début 2021), perpétuant une saga de près de cent cinquante ans.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Pourquoi avez-vous décidé de construire un nouvel Ultim ?

ARIANE DE ROTHSCHILD - On avait deux pistes. La première consistait à continuer d'améliorer le bateau existant [Gitana 17] pour lui faire gagner 5 à 7 nœuds. La deuxième - un nouveau bateau - ne devenait intéressante qu'à partir d'un certain différentiel de vitesse. Et on y est. En tout cas, sur ordinateur. Donc ce changement significatif justifiait cette option. On est confiants dans le fait que le gain technologique nous permettra de rester en tête. Comme Gitana 17, ce n'est pas un « concept boat ». La feuille de route est d'en faire une vraie référence dans la voile.

À combien s'élève ce projet ?

Il y a beaucoup de zéros en moins comparé à la Coupe de l'America. [Cyril Dardashti intervient : « L'ancien a coûté entre 12 et 13 millions d'euros, ça sera un peu plus mais on ne pourra le dire qu'en septembre 2025. »] Ce sont des bateaux très chers mais ça reste raisonnable quand on met les choses en perspective. [Cyril Dardashti : « Et il y a une cohérence économique à vendre un bateau au top de sa performance. »] Gitana 17 est à maturité.

Si on dit que vous êtes mécène, ça vous agace ?

Au début de Gitana Team, il se disait que Benjamin se faisait plaisir avec son passetemps. Ces dernières années, les équipes bancaires et des autres activités ont compris pourquoi on le faisait : il y a des valeurs précises derrière. La longévité, la capacité à se réinventer, à prendre des risques, à innover : des thèmes au cœur des entreprises. Par ailleurs, le budget n'est pas illimité. Selon moi, ce n'est d'ailleurs pas la recette du succès. Sous tension, vous êtes plus concentré, plus créatif. Regardez Ferrari au temps de Jean Todt, par exemple.

Le groupe a-t-il vocation à investir dans d'autres sports ?

Non. La voile, ça a un vrai sens. C'est ancré dans la famille et ça reste dans des proportions financières décentes.

En 2026, vous fêterez les 150 ans de Gitana. Quel est le lien entre cette histoire et cette équipe à la pointe de la technologie ?

La passion de la voile, mais aussi le plaisir de construire des bateaux. Julie [de Rothschild, 1830-1907] en a commandé avec des visions très claires. Edmond [de Rothschild, beau-père d'Ariane, 1926-1997] en a construit beaucoup - des ratés, des superbes - et a été pionnier dans les maxi-monocoques. On est dans la continuité. Il y a toujours eu la volonté de découvrir et l'espérance de gagner.

Et vous, vous avez une passion pour la voile ? pour la compétition ?

Je faisais de la voile avec mes parents quand j'étais petite. On naviguait dans les Caraïbes à une époque où il n'y avait personne. Trois semaines par an, on partait à l'aventure et j'adorais. Quant à la compétition, je suis tout le temps dedans - ça doit être mon côté germanique. Quand je monte à cheval, ce n'est pas uniquement pour le plaisir de la balade... Avec Cyril [Dardashti], on se lance des petits challenges en kitesurf. Plus sérieusement, la compétition, c'est être concentré. Ce n'est pas la gagne, mais le plaisir de bien faire les choses. J'admets néanmoins que ça peut être intense pour mes collaborateurs.

Michael Schumacher avait cette capacité à retransmettre aux équipes tout ce qu'il vivait dans la voiture

Ariane de Rothschild

L'univers de la voile est-il aussi impitoyable que celui de la finance ?

Non. Ça reste une saine compétition sportive.

Quel est le plus beau moment vécu avec Gitana Team ?

La mise à l'eau du Gitana 17 [juillet 2017]. C'était un pari de créer un bateau volant. De passer de la théorie sur écran, même bien maîtrisée, à la réalité sur l'eau. Et si ça ne marchait pas ? Quand je voyais la taille, je m'interrogeais. On suscitait énormément d'attention et de curiosité. Tout le monde savait que ça serait disruptif. Donc, quand il s'est mis à voler, ça a été une émotion incroyable. Mais les deux années qui ont suivi ont aussi été les pires : on a cumulé les problèmes, on nous a dit qu'il était mal né, on a douté. Il faut persévérer.

Vous avez gagné la Transat Jacques-Vabre en 2021 et la Route du Rhum en 2022, mais rien en 2023. On s'habitue à la victoire ?

Non. Je doute tout le temps.

Comment vivez-vous une course ?

Au départ, je suis très émotive. Parce que vous avez quand même la responsabilité d'envoyer quelqu'un en course - même si c'est son choix. Ça, je le prends très au sérieux. Une fois lancée, j'échange beaucoup avec Cyril. En revanche, je n'appelle pas Charles [Caudrelier] car je n'aime pas déranger. Mais bien sûr, je le suis, je regarde la carte, je stresse...

Quel regard portez-vous sur les skippeurs ?

On sous-estime ce qu'il faut aujourd'hui pour être un bon barreur sur ce type de bateaux. L'excellent marin d'il y a dix ans n'est pas forcément capable de les mener. Le niveau technologique est très élevé. Il y a 350 points d'observation, c'est un problème si on ne sait pas lire la data. Charles est sportif et ingénieur. Ceux qui n'ont pas cette sensibilité ne sont pas capables de faire des rendus corrects aux équipes à terre afin d'améliorer les performances. Michael Schumacher est une icône parce qu'il était un génie au volant mais aussi parce qu'il avait cette capacité à retransmettre aux équipes tout ce qu'il vivait dans la voiture.

Y a-t-il des limites à la vitesse ?

C'est un point d'interrogation. Techniquement, elles deviennent vertigineuses. Mais, dans l'effort en solitaire comme va le faire Charles [à l'Arkéa Ultim Challenge, départ le 7 janvier à Brest], on se demande quelle est la limite de l'être humain pour gérer ce type de bateaux. Un choc à certaines vitesses, c'est comme entrer dans un mur. Sans compter la résistance physique. En formule 1, les pilotes perdent beaucoup de kilos en quelques heures mais courent un nombre de tours défini sur un circuit qui l'est aussi. Le large en Ultim, c'est surhumain.

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