Caroline Vigneaux : « Je suis née avec un trop-plein d’énergie »

ENTRETIEN - Ancienne avocate devenue humoriste, cette grande gueule assumée sera demain la maîtresse de cérémonie de la 35ᵉ Nuit des Molières.
Caroline Vigneaux, à Paris, mardi.
Caroline Vigneaux, à Paris, mardi. (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Depuis toujours, on lui reproche de faire son intéressante. Mais elle est comme ça, « Caro », grande gueule assumée, avec un humour incisif et une soif inextinguible de s'affirmer. À 6 ans, elle n'était pas folle de la messe, mais trouvait de l'intérêt à y accompagner ses grands-parents très pratiquants. Pour chasser l'ennui de l'homélie, elle se porte volontaire pour lire des psaumes au micro sans y comprendre un mot. Pas étonnant qu'avec son talent d'oratrice, elle prête serment à 25 ans. Quatre ans plus tard, elle est élue 11ᵉ secrétaire de la Conférence du barreau de Paris, un concours annuel qui rassemble douze avocats élus par leurs pairs à l'issue d'un concours d'éloquence pour assurer la défense pénale d'urgence. Puis, elle croise la route de son confrère Éric Dupond-Moretti, alias « Acquittator ». Une rencontre qui contribuera à lui faire raccrocher la robe pour monter sur scène.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - En quoi Éric Dupond-Moretti a-t-il fait partie de votre changement de vie ?

CAROLINE VIGNEAUX - En 2006, j'intervenais de temps en temps en tant qu'avocate dans l'émission de Stéphane Bern L'Arène de France. Éric Dupond-Moretti était l'un des invités. On s'était déjà croisés plusieurs fois au tribunal, on s'aimait beaucoup. À la fin de l'enregistrement, il me dit : « Caroline, il va falloir faire un choix. Tu ne peux pas être avocate et saltimbanque. » Cette phrase m'a aidée à prendre une décision, car parce qu'elle venait d'un des plus grands pénalistes, je ne pouvais que l'écouter.

Cette énergie en vous, elle vient d'où ?

Si aujourd'hui, on parle d'enfant hyperactif, à l'époque, on me qualifiait de garçon manqué. Vous imaginez aujourd'hui la violence de ce mot ? Parce que je n'étais pas un garçon et je n'étais manquée de rien. C'est-à-dire qu'on me collait une étiquette d'un truc raté. J'étais juste née avec un trop-plein d'énergie, avec ce besoin de pratiquer du sport, de grimper aux arbres, de parler fort, de courir vite. J'ai passé ma vie à entendre « calme-toi, reste tranquille, arrête de faire ton intéressante ». Je crois que c'est la phrase qui a le plus marqué ma vie.

Même à l'école ?

À l'école, c'était pire que tout. J'ai vécu l'enfer parce que mon cerveau allait trop vite. Chaque fois que la maîtresse expliquait une règle de grammaire, par exemple, je voyais
immédiatement une exception, je levais la main. Les profs finissaient par m'ignorer...

Donc pas du tout adaptée au système scolaire...

Complètement exclue ! J'ai vécu des moments de grande joie, mais aussi de souffrance absolue où je me retrouve seule dans la cour de récré parce qu'une fille a décidé de raconter des horreurs sur moi... C'est une chance que les réseaux sociaux n'existaient pas à l'époque. Parce que, avec mon caractère et ce que j'ai vécu, je ne sais pas si je serais là devant vous à vous parler de mon histoire.

J'ai passé ma vie à entendre : « calme-toi, reste tranquille, arrête de faire ton intéressante »

On vous sent pourtant très forte...

Mon entourage vous dirait que j'étais imperméable aux critiques, sauf que je pleurais dans les chiottes du collège. J'ai beaucoup trop de fierté pour me montrer faible devant les autres. Au risque de passer pour une fille prétentieuse, « fierté » n'est pas un gros mot. C'est plutôt un beau mot.

Dans votre dernier spectacle, In Vigneaux veritas, vous évoquez le viol que vous avez subi à 26 ans. Quel a été le déclic pour en parler ?

Alors là, on est loin de la fierté. J'étais couverte, ensevelie par la honte. Surtout quand on me demandait pourquoi j'étais féministe. Et puis j'ai fini par ne plus supporter ma lâcheté. Alors, au lieu de balancer mon viol au détour d'une interview, j'ai préféré le raconter sur scène avec humour et profondeur. Les femmes de ma génération ont été éduquées pour éviter le viol. Depuis toute petite, on entend qu'il ne faut pas s'habiller trop court, qu'il faut surveiller son verre, ne pas se mettre trop en avant... Aujourd'hui, on est enfin en train d'enseigner le consentement aux garçons. Et donc à ne pas violer.

D'autant que vous connaissiez très bien votre violeur !

Raison de plus pour me dire « c'est ma faute, je suis responsable ». Nous sommes en 2001, je viens d'être larguée par le mec que je devais épouser. Son meilleur pote sonne chez moi. Je le laisse entrer. Il reste dormir. Et puis c'est un ami, alors pourquoi je serais en danger ? Je me réveille, il est en train de me violer. Je ne bouge pas, ne crie pas. J'étais juste tétanisée. Une fois terminé, il s'est rhabillé puis est parti. Il m'a fallu du temps pour que je me dise : « Mais pourquoi a-t-il attendu que je dorme ? » Il m'a fallu du temps pour comprendre que si le mec avait eu envie d'un rapport consenti, il aurait essayé de m'embrasser dans la soirée.

Vous continuez à aimer la présence des hommes ?

Je ne vais pas tous les condamner à cause de trois connards qui ont croisé ma route. Il y a aussi plein de femmes qui n'aiment pas les femmes et que je n'aime pas ! Tout est une question d'éducation. Encore une fois, il faut prendre le temps de déconstruire un truc construit.

Vous avez confié il y a quelques années que votre papa, votre pilier, n'avait jamais
réussi à vous dire « je t'aime ». Il n'est plus là aujourd'hui. A-t-il pu prononcer
ces mots avant ?

Jamais. Je me suis fait une médaille sur laquelle j'ai écrit « ma petite chérie, je t'aime ». Parce que je suis sûre qu'il m'aimait, je n'ai pas de doute là-dessus. Avec mon père, nous sommes en ligne directe. On se parle d'ailleurs beaucoup plus depuis qu'il n'est plus là.

Aujourd'hui, vous avez fait votre deuil ?

Mais ça veut dire quoi, faire le deuil ? C'est apprendre à vivre sans un papa alors que tu l'as eu toute ta vie ? J'apprends à vivre sur une jambe. Il m'en reste encore une, grâce à ma mère... En revanche, j'ai compris une chose. Nos parents doivent partir en premier pour qu'ils n'aient pas à subir la perte d'un de leurs enfants.

C'est comment, le dimanche de Caroline Vigneaux ?

C'est un jour comme un autre. En revanche, les dimanches de mon enfance étaient vraiment particuliers. Pour le dîner, on prenait un petit déjeuner. Du lait, des tartines de beurre, du Benco, parfois du Poulain, mais il ne fallait surtout pas éternuer dans la cuillère sinon tu en avais partout, devant Benny Hill ou un bon film. Ce rituel chassait l'angoisse du dimanche soir. Je ne me souviens plus si l'émission Collaro Show était diffusée ce jour-là, mais j'ai aussi beaucoup de souvenirs devant ma télé. À l'époque, je n'étais pas choquée. Je rêvais même d'être une coco-girl. Les mentalités évoluent et c'est pour ça que je ne fais pas le procès de cette époque.

En tournée avec son spectacle In Vigneaux veritas, et au Grand Rex du 20 au 22 mars 2025.

Ses coups de cœur

Le livre de recettes de Chloé Saada Zéro Sucre (Hachette Pratique), c'est sa bible. « J'essaie de manger sans sucre, car ce truc est un poison. Et dans notre société qui
regorge de nourriture industrielle, bien manger est une lutte ! » Et pour bien manger,
c'est À l'Épi d'Or*, le restaurant de Jean-François et Élodie Piège, qu'elle craque pour « le poisson pané d'Antoine » (le fils). « C'est exactement comme celui que cuisinait ma grand-mère. Un délice qui a le goût de l'enfance. »

* À l'Épi d'Or, 25, rue Jean-Jacques-Rousseau (Paris 1ᵉʳ).

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Commentaire 1
à écrit le 05/05/2024 à 9:43
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Bah tant que vous n’appelez pas les étudiants à la fermer c'est déjà bien pour une ancienne avocate !

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