Depuis 1895 et son invention par deux frères lyonnais, on sait que le cinéma adore les duos familiaux, des frères Taviani aux frères Dardenne en passant par les auteurs de Matrix, frères devenus sœurs, les Wachowski, et les frères Larrieu, les frères Podalydès et d'autres encore à travers le monde. Sans oublier évidemment Joel (né en 1954) et Ethan (né en 1957) Coen, qui « communiquent entre eux par télépathie », comme l'avait dit un jour à leur propos Paul Newman.
Dans la pratique et depuis leur premier film, Blood Simple, en 1984, Joel s'occupait de la réalisation et Ethan de la production, tous deux assurant ensemble et l'écriture du scénario et le montage du film. Une mécanique parfaitement rodée qui a donné le jour, entre autres, à Fargo, The Big Lebowski et tant d'autres, mais que les deux intéressés ont décidé d'interrompre depuis 2021, année de la sortie de Macbeth, adapté et réalisé en solo par Joel. Ethan fit savoir à cette époque qu'il ne voulait plus faire de films, afin de se consacrer à la mise en scène de théâtre.
Mais comme rien n'est jamais simple ou figé, Ethan, durant le confinement, se consacra avec sa femme, la monteuse Tricia Cooke, à un documentaire sur le musicien américain Jerry Lee Lewis. Le film fut même présenté au Festival de Cannes en 2022, et le nouveau couple de cinéma ainsi formé décida d'aller plus loin avec un premier film de fiction : Drive-Away Dolls. Il faudra donc désormais compter avec ce nouveau duo hollywoodien, les Coen, mari et femme. Comme en écho d'ailleurs à l'autre couple artistique que forment depuis des années Joel Coen et son épouse, l'actrice Frances McDormand.
Pour leur première écriture commune, Tricia Cook et Ethan Coen ont décidé de porter à l'écran un scénario écrit dans les années 1990 et jamais tourné. Soit l'histoire de deux copines lesbiennes, l'une extravertie, l'autre beaucoup moins, qui sont poursuivies depuis la côte Est jusqu'à la Floride par d'affreux jojos qui veulent à tout prix récupérer une mystérieuse valise qu'elles ont emportée par inadvertance dans le coffre de leur voiture de location. La valise en question joue ici le rôle bien connu du « MacGuffin », ce vrai-faux prétexte objet de toutes les convoitises dont parlait Alfred Hitchcock à François Truffaut au cours de leurs célèbres entretiens.
On se gardera bien de dévoiler ici le contenu de ladite valise, évidemment. Mais on retrouve bien le goût prononcé et jubilatoire des Coen de l'ancien temps pour les personnages improbables et hauts en couleur, les courses-poursuites haletantes et les malfrats aussi violents que foutraques et idiots. Avec en prime une vision parfaitement binaire d'un monde où les hommes et les femmes se croisent sans jamais vraiment se rencontrer pour autre chose que pour s'affronter. Mais, héroïnes principales obligent, l'univers se fait globalement plus féminin, et on délaisse un peu les habituels bars et bowlings chers aux deux frères pour des clubs lesbiens. Ce qui fait dire sans détour à Ethan Coen : « Du côté féminin, nous avons des personnages plus cohérents et présentables là où les personnages masculins se révèlent relativement à la ramasse. »
Reste la verve d'un cinéma « bavard » au meilleur sens du terme, qui multiplie les répliques qui font mouche comme à la grande époque de The Big Lebowski. On a d'ailleurs l'impression que l'une des héroïnes du film pourrait être la fille du célèbre personnage incarné en son temps par Jeff Bridges. Cependant, on reste un peu sur sa faim et on ne retrouve pas complètement le brio et l'abattage des meilleurs films des frères Coen. La faute peut-être à ce scénario que l'on sent un peu daté, figé dans son époque et comme si, entre-temps, les Coen n'avaient pas fait progresser leur formidable univers. Sans même parler de la gravité et de la mélancolie du très réussi A Serious Man, on ne peut s'empêcher de songer à des films beaucoup plus aboutis dans le domaine de la comédie et de la dérision que ce Drive-Away Dolls finalement trop sage et presque édulcoré.
La « magie Coen » ne serait-elle définitivement que... fraternelle ? On attend avec impatience, à vrai dire, le second film du couple Tricia Cooke-Ethan Coen. Il s'intitulerait Honey Don't ! À suivre par conséquent, pour savoir si mari et femme peuvent faire mieux ou aussi bien que frère et frère.
Drive-Away Dolls, d'Ethan Coen, avec Margaret Qualley, Geraldine Viswanathan, Beanie Feldstein, Matt Damon, Pedro Pascal. 1h24. Sortie mercredi.
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