Mathieu Kassovitz : « J’ai pu me comporter en gros con »

Sensible et fragile dans la dernière comédie de Thierry Klifa, « Les Rois de la piste », l’acteur se confie sur la vague MeToo.
L’acteur-réalisateur revisite « La Haine », son film culte, en l’adaptant sur les planches de La Seine musicale à partir du 10 octobre.
L’acteur-réalisateur revisite « La Haine », son film culte, en l’adaptant sur les planches de La Seine musicale à partir du 10 octobre. (Crédits : © EMANUELE SCORCELLETTI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

On m'avait prévenue : « Attention, Mathieu n'est pas facile. Voire imprévisible... » C'est pas faux. Si « Kasso » contrôle à la perfection son rôle dans Les Rois de la piste, c'est sur une autre piste, celle d'un circuit moto, qu'il a perdu le contrôle de son engin le 3 septembre dernier. Six mois après, il assure qu'il n'y a pas de quoi « en faire toute une salade », mais n'empêche que son pronostic vital a longtemps été engagé. Avec au mieux une jambe amputée. Pendant dix minutes, les réseaux sociaux ont annoncé sa mort, jusqu'à mettre son père totalement KO. En un matin pluvieux, il m'accueille debout dans l'entrée de sa maison, certes avec une botte de marche orthopédique, mais sur ses deux pieds. Ses trois chiens me font la fête, un peu plus chaleureusement que le maître... On ne perd pas de temps à s'apprivoiser pour faciliter le dialogue. « Installez-vous là, je vous écoute. » Son regard noir semble me juger. Jusqu'ici tout ne va pas très bien. L'important n'est pas ma chute, mais juste de trouver mon parachute pour atterrir dans la plus grande douceur...

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Mathieu, plus jamais une telle frayeur !

MATHIEU KASSOVITZ - Je sais, et j'en suis désolé. Il y a eu dix minutes de confusion mais elles ont été suffisantes pour affoler des milliers de personnes. Je ne pensais pas recevoir autant de messages pendant mon hospitalisation. Mais je vous rassure, tout va bien. Juste une cheville cassée. Mais on parle d'autre chose, non?

Du cinéma et de son mouvement MeToo garçons ?

Ça dépasse tout ce que je pouvais imaginer de la médiocrité. Autant je suis le premier à soutenir les femmes parce que je comprends la différence de force, de mentalité, de culture depuis des milliers d'années. Mais un homme qui se plaint du comportement d'un autre homme, ça va beaucoup trop loin.

Qu'est-ce qui vous gêne ?

Je pense que les gens s'infantilisent et ne sont plus capables de prendre eux-mêmes leurs responsabilités. Ils devraient s'expliquer entre eux avant d'en faire un tribunal médiatique. Bien sûr que les hommes sont aussi des proies de gros connards. Moi aussi j'ai reçu des mains au cul par des mecs du milieu, mais je les ai toujours menacés de leur foutre mon poing dans la gueule.

C'est difficile d'être un homme, quinqua, en 2024 ?

C'est surtout très facile d'accuser quelqu'un d'avoir eu des gestes déplacés. Il suffit qu'une personne vienne vous voir à une terrasse de café, vous pointe du doigt et balance : « Toi, tu es un pédophile ! » Il se passe quoi après ? Vous devez justifier que vous ne l'êtes pas, mais votre vie, elle est finie ! Ça me terrifie que mes enfants puissent avoir un jour un doute sur leur père.

Vous avez des choses à vous reprocher ?

J'ai pu me comporter en gros con, mais ce sont les femmes qui m'ont aidé à m'améliorer. Celles qui m'ont dit : « Non, Mathieu, on ne fait pas l'amour comme ça, on ne dit pas ça à une femme. » Je les ai toujours écoutées, et grâce à elles je suis devenu un gentleman. Je n'ai jamais compris l'attrait d'exercer son pouvoir sur un être plus vulnérable. J'ai dirigé très peu d'actrices, mais je sais comment ça peut se passer sur un tournage. Il suffit de pas grand chose pour que ça dérape. Il arrive parfois qu'une fille me dise : « Viens, on peut s'amuser. Est-ce que je peux avoir un rôle ? » Je lui réponds : « Écoute, ma grande, c'est exactement l'inverse. »

Ça vous étonne, les révélations de Judith Godrèche sur Benoît Jacquot et Jacques Doillon ?

Pas du tout. Il suffit de regarder leurs films pour comprendre. Judith s'est réveillée d'un long cauchemar et a eu le courage de dénoncer. C'est naturel, libérateur. À 14 ans, on ne peut pas être consentante. À 14 ans, on est encore une enfant. Et on ne touche pas à un enfant. Je ne peux pas imaginer ce que c'est que d'avoir été violée, manipulée et de s'en rendre compte des années plus tard. Mais si vous condamnez Jacquot, il faut aussi condamner les parents, et ce juge qui a laissé une gamine vivre avec ce Jacquot. Condamnez aussi tous les critiques ciné qui, pendant trente ans, ont applaudi leurs films sans se poser les vraies questions.

On devrait intervenir aussi quand un mec fait des films chelous sur les relations entre les adultes et les ados

Quels conseils donnez-vous à vos deux filles ?

Il ne faut pas hésiter à gifler un mec. Souvent les femmes n'osent pas répondre par peur de se faire gifler en retour. Mais je vous garantis que ces mecs-là sont des lâches et qu'ils s'enfuiront immédiatement. Les femmes devraient avoir le courage de frapper les hommes. Mais c'est aussi à nous de rester attentifs et d'intervenir quand on est témoin d'un comportement que l'on n'accepterait pas avec notre mère, nos sœurs. On devrait intervenir aussi quand un mec fait des films chelous sur les relations entre les adultes et les adolescents ou les adolescentes.

Vous l'aimez, cette société ?

Elle est assez incroyable car elle représente bien l'être humain, capable du meilleur comme du pire. C'est formidable tous ces progrès sur la science, l'art, l'intelligence humaine. Cette capacité de comprendre l'univers dans lequel on vit, de repousser les limites de la connaissance. Et de l'autre côté, il y a l'utilisation de cette connaissance pour fabriquer de la merde.

C'est vrai que vous logez tous vos potes en galère ?

Oui, mais j'ai surtout hébergé beaucoup de clochards, des mecs paumés qui dorment sous une tente dans le bois de Vincennes. J'en ai même eu trois chez moi en même temps pendant six mois. Quand j'ai réussi à les reloger, je leur ai dit : « Les gars, c'est pas idéal ce que je vous ai trouvé, mais je ne veux plus jamais entendre parler de vous. »

Parce que c'était trop lourd ?

Une très lourde responsabilité. J'ai même failli perdre ma famille. Tu penses bien faire, mais ils ne veulent pas forcément la même chose que toi. Certains regrettaient même de ne plus pouvoir faire la manche...

C'est comment, le dimanche de Mathieu Kassovitz ?

Comme pour chaque artiste, tu te fous des jours de la semaine. Le seul intérêt d'un dimanche, c'est de réunir mes trois enfants chez moi. Ma maison est une sorte de nid familial où il se passe toujours quelque chose. Tout ce que je leur souhaite, c'est d'avoir une passion et d'avoir ce sentiment de liberté. Mais pas trop... [Rires.] L'une de mes filles vient de bousiller ma poêle en cuisant des pâtes. Et elle n'en avait rien à foutre !

Les Rois de la piste, de Thierry Klifa, avec Mathieu Kassovitz, Fanny Ardant, Nicolas Duvauchelle, Ben Attal. 1 h 58. Sortie mercredi. La Haine - Jusqu'ici, rien n'a changé, spectacle musical, à partir du 10 octobre à la Seine musicale.

>>> Retrouvez l'édition complète de La Tribune Dimanche du 17 mars 2024 dans vos kiosques à journaux et sur notre kiosque numérique.

Ses coups de cœur

C'est dans un repaire de flics et d'anciens brigands, l'Obrigado, un resto tenu par ses potes marocains, qu'il vient goûter à la cuisine brésilienne dans une ambiance familiale. Passionné de sciences, de Thomas Pesquet, avec lequel il rêve de partager l'ISS, il s'évade avec le livre de Christophe Galfard Voyage vers l'infini.

Obrigado : 8, avenue de la Porte- de-Montreuil (Paris 20e).

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