Foire Art Paris : les pépites de Jérôme Poggi

La foire Art Paris ouvre ce jeudi au Grand Palais éphémère. Cent trente-six galeristes s’y croisent, dont ce fin connaisseur de l’histoire de l’art et de ses marchés.
Jérôme Poggi jeudi matin dans sa galerie.
Jérôme Poggi jeudi matin dans sa galerie. (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI pour La Tribune Dimanche)

Le 4e arrondissement, rive droite à Paris, est une centrifugeuse d'art unique au monde, un aimant. S'y concentrent un nombre vertigineux de musées alléchants (Picasso, Carnavalet, Cognacq-Jay, Victor-Hugo, Centre Pompidou) et de galeries d'art contemporain incontournables.

Une galerie ne mordant pas, ne pas hésiter à en pousser les portes. Ces galeries sont une aubaine, les portes sont toujours ouvertes et l'entrée est gratuite. On en ressort ébloui, ému, interloqué, alléché ou consterné, peu importe. À chaque visite, la curiosité est émoustillée et la connaissance embellie. Certaines galeries du 4e sont des mastodontes, comme Perrotin ou Ropac, d'autres plus modestes sont également reconnues pour leur flair comme la pionnière Michel Rein, d'autres se font une place au soleil comme la sexy et tentaculaire Galleria Continua. La lutte est sévère, voire fatale. Pour survivre, mieux vaut avoir le portefeuille solide et être sélectionné par une foire puis payer le prix fort pour y participer. Art Paris fait partie de ces foires devenues inévitables.

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Un galeriste se distingue. Jérôme Poggi, quinqua érudit, a ouvert un espace en 2009. Il y a quelques semaines, il inaugurait une nouvelle galerie en face du Centre Pompidou. L'homme a fait l'École centrale. Il est historien d'art, spécialiste des marchés de l'art. Il est présent à Art Paris. Tout tombe bien.

Se méfier des apparences. L'architecture du lieu est épurée. On pense tout voir. Pourtant, dans les sols se tapissent des choses étranges, des secrets. Jérôme Poggi y a caché des minéraux venus de très loin. Lorsque le visiteur entre dans la galerie ou dans certains bureaux, il marche, en l'ignorant, sur des pierres énergisantes, bienveillantes. Sous l'entrée de la galerie est incrusté un morceau de la météorite Allende, seule roche à contenir les premiers fragments de l'histoire du Système solaire. Sous le seuil du bureau du patron, une pépite d'or, symbole du Soleil. Pas de vie sans Soleil. Poggi a installé un peu de notre existentiel sous sa moquette. Dans le bureau voisin, c'est un fragment de Lune que le visiteur foule. Soleil, Lune, homme vont disparaître. « Soyons donc humbles », dit-il alors qu'il vient d'ouvrir une galerie qui porte son nom et qu'il expose des artistes qui espèrent laisser une trace. Pour le féru d'art, ces pierres sont vivantes, comme le pensait Edvard Munch, qu'il a exposé. Poggi est en quête de sens, de cohérence. Il pense que tout est lié, que tout est un. Il croit en la force protectrice des pierres. Une force ne se voit pas. Pierres ou tableaux, l'invisible intéresse le galeriste autant que le visible. Il aime que ceux-ci le conduisent à la méditation.

Watteau

Reproduction de « L'Enseigne de Gersaint », de Watteau (1720), accrochée dans le bureau du galeriste.

« Notre rôle est d'éduquer le regard des visiteurs »

Son bureau est à son image. Par terre, sur sa table, encore des pierres. Au mur, une lettre de Manet. Celle-ci se termine par « tout est possible ». Toujours ce besoin de sens, de chemins à ne pas perdre de vue. Tout est possible, donc essayons. Ce qu'a fait Jérôme en créant une galerie dans le nord de Paris, isolée de tout, puis en ouvrant ce nouvel espace pétri de réflexions sur les liens artistes-public-marché nées de la période covidienne. Toujours dans son bureau, la reproduction d'un tableau peint par Watteau en 1720 [L'Enseigne de Gersaint]. Elle représente le commerce de M. Gersaint, lieu ouvert sur l'extérieur. Y sont vendus des objets, des tableaux que le passant peut acquérir. La première galerie publique ? Le premier marchand de tableaux avec pignon sur rue ? Jérôme étant spécialiste de l'histoire du commerce de l'art, nous la survolons.

Jusqu'au Moyen Âge, les transactions entre peintres et clients sont simples. Les artistes répondent exclusivement à des commandes. Il n'y a pas de marché de l'art. À la Renaissance, tout change. Les œuvres voyagent, les luttes de pouvoir aussi. Les royaumes, les États comme le Vatican, les villes, les grandes familles veulent « leurs » artistes, avoir la plus belle collection. Des émissaires se déplacent. Les intermédiaires, les courtiers apparaissent. Le marché de l'art est plus que restreint, le public n'y ayant pas accès. Au XVIIIe siècle apparaît la bourgeoisie, naissent des expositions publiques, des salons. De nouveaux acheteurs pointent le bout de leur portefeuille. Ils ont besoin de conseils. Le métier de critique d'art, que Diderot exerça, naît à ce moment-là. N'est alors vendu que de l'art ancien, pas les œuvres des artistes de l'époque.

Notre rôle, et mon plaisir, est d'éduquer le regard des visiteurs

Jérôme Poggi, galeriste

Au XIXe siècle, le métier de galeriste éclôt. Il est le lien entre les artistes vivants enfin reconnus et les collectionneurs ou acheteurs occasionnels. Le marché de l'art naît alors vraiment. Aujourd'hui, il y a des marchés de l'art, des acheteurs très différents, du passionné du dimanche aux grandes fortunes aux capacités vertigineuses d'investissement, sans oublier les institutions privées très riches et les musées qui achètent aussi. La demande est immense.

Pour la satisfaire, les galeristes jouent un rôle essentiel. « Nous devons susciter le désir pour des artistes en naissance, expose Jérôme Poggi. Nous sommes un peu des imprésarios. Nous devons faire connaître nos artistes, raconter en quoi une œuvre est appétissante, quelle est la démarche de l'artiste. Nous organisons des expositions, imaginons des événements, participons à des foires coûteuses, rencontrons des historiens d'art, des critiques, des commissaires d'exposition, des conservateurs de musée. Nous aidons à la production d'œuvres... Nous sommes aussi des centres d'art gratuit. Notre rôle, et mon plaisir, est d'éduquer le regard des visiteurs. Je leur explique ce qu'ils voient mais je leur rappelle d'abord qu'ils doivent se faire confiance. L'art, c'est comme un bon vin. Mieux vaut d'abord le savourer, laisser aller ses papilles, son émotion, puis passer à l'analyse. Je suis étonné de constater qu'en France le public, très cartésien, lit souvent le cartel avant de regarder l'œuvre. Il faut laisser l'œil vivre librement, voracement. Je crois en l'intelligence du regard. »

Art Paris, Foire d'art contemporain, du 4 au 7 avril. Stand D8 - Au Grand Palais éphémère (Paris 7e).

Galerie Poggi, 135, rue Saint-Martin (Paris 4e).

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