Tiphaine Auzière : « Je reste une naïve »

La belle-fille d'Emmanuel Macron publie son premier roman. Avocate, elle nous plonge dans l’enfer des femmes victimes de violences.
(Crédits : © Astrid di Crollalanza)

« Moi, romancière ? » À cette question, Tiphaine Auzière répond par un hochement de tête. Non, non, elle n'a pas la prétention de devenir un écrivain professionnel. La fille de Brigitte Macron n'a pas de plan de carrière pour entrer, un jour, à l'Académie française, que les rabat-joie se rassurent. Ce livre, elle l'avait dans les tripes depuis si longtemps. Comme un virus indétectable, qui vous ronge l'âme à petit feu.

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Un mal contracté au cours de ses premières années d'avocate, quand elle officiait au barreau de Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais. Au cœur de ce tribunal du bout du Nord, elle a croisé les fantômes d'Outreau, hantant encore les esprits du lieu. Alors commise d'office, Tiphaine Auzière, qui n'était pas encore « la fille de », a défendu des enfants traumatisés, des femmes battues, des êtres en perdition, des douleurs englouties dans des puits sans fond. « Mon héroïne principale, Laura, pourrait ressembler à quelqu'un que j'ai défendu à cette époque, confie-t-elle. J'ai, bien sûr, brouillé les pistes, pour la laisser tranquille dans sa nouvelle vie. J'avais en moi cette interrogation : pourquoi ces femmes victimes de violence ne parvenaient que rarement à révéler leur immense détresse. C'est cette notion d'emprise du bourreau sur sa victime qui m'a taraudée durant toutes ces années. » Pour exorciser la douleur, le roman était la seule issue, l'unique voie de salut. Au risque de s'exposer et de prendre des coups. Quand on est la belle-fille du président de la République, rien n'est simple. Avec cet ouvrage très personnel, dans lequel elle fait un léger clin d'œil à sa mère en nommant un de ses personnages Brigitte et en l'habillant du costume de journaliste spécialisée dans les faits divers, écumeuse de cour d'assises, on sait que la mitraille va pleuvoir.

« Mon livre est un peu une fusée de détresse »

Elle est prête au combat. Elle en a vu d'autres. Des menaces de mort, du harcèlement sur les réseaux sociaux. Ses futurs contempteurs, ses procureurs qui avancent en meute, devraient lire ce livre. Il raconte bien plus qu'une histoire de femmes blessées. Il plonge dans l'univers de la machine judiciaire, en révèle ses errements, mais aussi son humanité. « À Boulogne, raconte-t-elle, j'ai adhéré à l'association Droit direct, qui aide les femmes victimes de violences conjugales, mais aussi toutes les violences. Soutien pour porter plainte au commissariat, centre d'hébergement, aides psychologiques pour se reconstruire. J'ai suivi leur parcours, souvent chaotique. Alors, mon cas personnel, voyez-vous... »

Et pourtant, impossible d'échapper à son histoire personnelle, illusoire de débarquer sur la planète des raconteurs d'histoires sans passer par la case « biographie ». Par l'ombre tutélaire d'une mère professeure de lettres devenue First Lady après avoir épousé un surdoué, élève de son cours de théâtre au lycée La Providence à Amiens, où Tiphaine était élève, elle aussi. La néoromancière ne cache pas qu'elle a attendu l'extrême limite pour lui faire lire son ouvrage. « Bien sûr que j'avais un peu peur de son jugement, avoue-t-elle. Quand j'ai été sûre du résultat, après les dernières retouches, je lui ai présenté. Je suis une juriste, spécialiste du droit du travail, pas une littéraire. Le verdict m'a rassérénée... » La première dame a mis bien plus que la moyenne à sa fille. Elle lui a glissé qu'elle regrettait amèrement de ne pas avoir décelé plus tôt le talent qui sommeillait en sa petite dernière. À 40 ans, Tiphaine, cavalière émérite, spécialiste du saut d'obstacles, est une grande amoureuse des chevaux. Seule, ou en famille, elle part régulièrement sillonner les plages de la Côte d'Opale, à dos de sa jument Bonny, avec qui elle entretient une relation quasi fusionnelle. « Un cheval ne ment pas. Il ressent profondément l'état d'esprit du cavalier qui le monte. C'est une éponge à émotions, souligne-t-elle. Ces chevauchées dans ma région sont vitales pour moi. » Courir les grandes étendues du Nord, près de Montreuil-sur-Mer, où elle vit en famille la moitié de la semaine, au milieu des chiens, des chats, des chevaux et des poules. Loin de la fièvre de Paris, où elle est associée dans un cabinet d'avocats. Celle qui fut un temps stagiaire à la CFDT reste avant tout une spécialiste du droit du travail et du rôle du numérique dans les nouveaux rapports sociaux. Elle multiplie les interventions en entreprise pour évoquer la notion d'emprise, qui ne se manifeste pas seulement chez les pervers narcissiques violents. « Le harcèlement a des formes multiples ; certains avancent à bas bruit, voire masqués, ajoutet-elle. De nombreux managers ne perçoivent même pas le mal qu'ils peuvent faire à leurs salariés. Ces derniers temps, on a beaucoup parlé des abus au cinéma, des révélations de Judith Godrèche, Isild Le Besco, ou d'autres. C'est toujours la notion d'emprise qui est au cœur de toutes ces souffrances. On retrouve cette violence dans tous les secteurs du monde du travail, qu'elle soit réelle ou symbolique. Mon livre est un peu une fusée de détresse pour qu'on n'oublie pas toutes celles qui n'ont pas le courage de se libérer de cette toile d'araignée mentale. »

Pour écrire Assises, Tiphaine Auzière invoque quelques fées littéraires comme Karine Tuil et son roman Les Choses humaines, Delphine de Vigan, Les Loyautés, et François Bégaudeau, L'Amour. La politique ? « Jamais, lâche-t-elle. Je n'ai pas les codes, vraiment pas, contrairement à ce que certains peuvent croire, même si j'ai été suppléante du candidat En marche dans ma circonscription, et que j'ai tracté pour Emmanuel en 2017. Non, la politique, ce n'est pas mon truc. Je reste une naïve, passionnée par ceux qui tentent de faire bouger les lignes dans la société civile. » Pas question, donc, de sortir de son couloir de juriste. À moins que les lecteurs, et lectrices, de ce roman « tripal », écrit au scalpel, bouleversent son agenda. Et l'avis du président ? « Je ne lui ai pas encore offert. En ce moment, vous l'avez remarqué, il est un peu surbooké... »

AssisesTiphaine Auzière, Stock, 264 pages, 20,90 euros, en librairies mercredi.

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Commentaires 3
à écrit le 05/03/2024 à 12:38
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Une naïve je ne sais pas , une incompétente surtout préoccupée de sa petite personne c'est évident

à écrit le 03/03/2024 à 22:52
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A l’image de macron....c’est de famille.

à écrit le 03/03/2024 à 9:29
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Les femmes sont naïves de façon générale, ingénues bien souvent et c'est bien ce qui leur permet d'avancer malgré tout en se reposant sur leur instinct et non sur une réalité particulièrement déroutante parce que nos dirigeants et leurs opposants son...

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