Musique : La chanteuse Rosemary Standley, du groupe rock-folk Moriarty, interprète Carmen

Accompagnée de cinq musiciennes, Rosemary Standley offre à l’ouvrage de Bizet, recomposé par François Gremaud, une éblouissante luminosité.
Rosemary Standley dans la reprise de « Carmen » par François Gremaud.
Rosemary Standley dans la reprise de « Carmen » par François Gremaud. (Crédits : ⓒ Dorothée Thébert Filliger)

Rosemary Standley subjugue, et dès qu'il l'entendit et la vit, un jour de l'été 2019, chanter des standards de jazz, l'écrivain et metteur en scène François Gremaud sut qu'il avait trouvé « sa » Carmen. Il la cherchait. Il voulait parachever la trilogie des « grandes figures féminines tragiques des arts vivants classiques » : après Phèdre pour le théâtre, après Giselle pour le ballet, c'était au tour de l'opéra. Attention ! Il ne s'agit donc pas de mettre en scène l'ensemble d'un ouvrage mais de procéder à « une réduction de spectacle pour interprète seul(e) » Après le premier spectacle qui le fit bien connaître, une Conférence de choses en plusieurs épisodes, aussi drôle qu'érudite, délivrée par Pierre Mifsud, François Gremaud avait mis au point une Phèdre destinée aux écoliers. Vincent Baudriller, directeur du Théâtre Vidy-Lausanne, eut l'occasion de voir ce travail et lui proposa d'en faire une version étoffée pour la scène. Ce fut, par l'extraordinaire Romain Daroles, Phèdre ! Mais oui, un garçon ! Ce spectacle a fêté sa 500e, quant à Giselle..., avec la magnifique Samantha van Wissen dans le rôle titre, elle en est à plus de 100 représentations.

Carmen est en bonne route pour ces records. Plus exactement Carmen., c'est-à-dire Carmen avec un point. François Gremaud adore la langue et ses subtilités. Il emprunte au regretté Jacques Drillon et à son Traité de la ponctuation française (Gallimard, 1991) l'idée qu'un point tout simple peut être exclamatif. C'est surtout, pour le concepteur du spectacle, le souhait de faire la différence entre l'ouvrage et sa proposition originale, savante et savoureuse.

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Un timbre singulier

Interprète idéale, Rosemary Standley est déjà très connue. Elle est, depuis 1999, la chanteuse du groupe Moriarty, rock et folk mêlés. Cela va très bien à cette jeune fille élevée à Paris par une mère française et un père américain. Avec ces vacances dans le Finistère qui vous forgent un tempérament.

Le principe de la trilogie de François Gremaud pourrait être circonscrit à l'idée d'une conférence à propos d'une œuvre, éclairée d'analyses, d'anecdotes et de démonstrations à partir d'extraits. Pour Carmen., le compositeur Luca Antignani a réinstrumentalisé la partition pour flûte, harpe, violon, saxophone, accordéon. Au fond du plateau, les chaises et lutrins des musiciennes. Ravissantes virtuoses, elles sont cinq (dix, en alternance) pour accompagner celle qui incarne l'héroïne de ce « tragique opéra-comique » et raconte. C'est très beau. Le livret de Meilhac et Halévy d'après la nouvelle de Mérimée est respecté, magistralement expliqué, enrichi de détails passionnants.

Rosemary Standley déploie son timbre singulier, sa tessiture ample, cette voix plus grave qu'une mezzo-soprano. Reconnaissable au premier souffle par une tendresse fruitée, le voile léger d'une brise de printemps. Elle peut tout chanter, Schubert comme la variété. Dans sa robe souple et noire à empiètement de velours, elle est tout harmonie. Un teint très pâle, une peau nacrée, des cheveux sombres qui dégagent un visage plein qu'éclairent des lèvres rouges. Blanche-Neige. L'intensité des yeux bleus donne une touche éclatante à cette beauté. Une déesse, reconnaissent ceux qui la connaissent bien. Pieds nus, elle glisse sur le plateau et passe de la voix parlée à la voix chantée avec une fluidité bouleversante. Elle est grave, spirituelle, mutine quand ce farceur de Gremaud s'amuse, déchirante lorsque la fière héroïne souffre.

Tout ici est d'une éblouissante intelligence. Le cœur serré, on songe à Georges Bizet. Le 3 mars 1875, la première représentation de Carmen fit scandale. Meurtri, le compositeur devait mourir trois mois plus tard, à 36 ans. Sans rien imaginer du destin de son ouvrage.

Dans le cadre du Festival d'automne, après les représentations du Théâtre de la Ville (Les Abbesses), le spectacle est en tournée. Les 16 et 17 novembre à l'Espace 1789 de Saint-Ouen, le 24 à Rennes, le 28 à Grasse, le 29 à Arles, le 30 à Cavaillon, du 19 au 23 décembre aux Célestins de Lyon. Suite de la tournée en 2024, jusqu'en mai.

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