L'étau de la régulation se resserre autour de X (ex-Twitter). Après de premiers avertissements informels et des échanges virulents entre le propriétaire du réseau social Elon Musk et le Commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton, l'Union européenne a lancé ce lundi une procédure formelle d'enquête. Dans son viseur : pas moins de huit infractions supposées au DSA, le grand texte de régulation des plateformes internet, entré en vigueur fin août. D'après Bruxelles, X échouerait dans les grandes largeurs à se conformer à ses obligations, qu'il s'agisse de transparence, de modération des contenus illicites et de désinformation. Il est même accusé de tromper ses utilisateurs.
Pour autant, le spectre des sanctions semble encore loin de la plateforme d'Elon Musk, qui aura des occasions de se mettre en conformité. Certes, le DSA prévoit des seuils d'amende particulièrement dissuasifs (jusqu'à 6% du chiffre d'affaires mondial). Autrement dit, avec le lancement d'une procédure officielle, l'Union européenne se lance dans un premier test d'efficacité du DSA, accusé par ses détracteurs de n'être rien de plus qu'un épouvantail.
X coopère sur la forme... mais pas sur le fond
Sur la forme, X a pourtant coopéré avec l'UE, et ce dès sa qualification comme « très grande plateforme en ligne » qui la soumet au DSA. A l'instar de Facebook, TikTok ou encore le moteur de recherche de Google, il devait présenter une série de documents. En septembre, l'entreprise a remis son rapport de risque à la Commission, puis publié son rapport de transparence le mois suivant, avant de répondre aux compléments d'information demandés par la Commission suite à l'accélération du conflit entre Israël et le Hamas. Autrement dit, le réseau social s'est plié aux contraintes du DSA sur la forme.
En revanche, ces documents n'ont pas présenté de garanties suffisantes sur le fond. Plus précisément, l'UE reproche à X quatre grands manquements.
- Dans la lutte contre la publication de contenus illégaux, le réseau social aurait mis en place des mesures insuffisantes, à la fois en termes d'outils et en termes de moyens humains.
- Dans la manipulation de l'information, l'UE interroge l'efficacité des dispositifs mis en place, et particulièrement celle des « Community Notes », la fonctionnalité de vérification des publications par les utilisateurs tant promue par Elon Musk.
- Sur la politique de transparence, l'institution reproche au réseau social de ne pas avoir fourni correctement aux chercheurs un accès aux données publiques de Twitter et aux publicités publiées, comme le prévoit pourtant la loi.
- Sur l'interface du réseau social, l'UE soupçonne l'entreprise de tromper ses utilisateurs avec ses choix de design. Elle cite notamment les fameux macarons bleus, qui étaient autrefois des marques de vérification de l'identité de personnes ou institutions de notoriété publique, que Elon Musk a transformé en produit cosmétique numérique lié à un abonnement.
Une étape de plus dans le conflit entre X et l'UE
L'ouverture de la procédure formelle fait suite à une première enquête lancée en octobre, sous la forme de questions complémentaires à répondre avant la fin du mois. Elle avait été déclenchée par le grand raté de X dans la modération de la désinformation autour du conflit entre Israël et le Hamas. Le rapport de transparence du réseau social a ensuite révélé que le réseau social ne compte que 12 modérateurs en langue arabe et 2 en hébreux.
Plus généralement, X souffre d'un manque abyssal de moyens humains. L'arrivée d'Elon Musk à la tête de Twitter fin octobre 2022 a mené au licenciement de 80% des effectifs, dont celui d'équipes entières dédiées au contrôle des propos tenus sur la plateforme et à la lutte contre la désinformation. D'ailleurs, courant mai, la plateforme avait retiré son soutien au code de bonnes pratiques de l'UE pour lutter contre la désinformation... Face à ce constat, X s'est défendu d'avoir une « équipe internationale et inter-fonctionnelle » de modérateurs humains, qui travaillent « 24 heures sur 24 avec la capacité de couvrir plusieurs langues ».
Mais l'UE n'est pas dupe. Même si X s'était mis en ordre de bataille lors de la réception de Thierry Breton en juin, afin de montrer qu'il prenait la régulation au sérieux. Si toute une partie de la modération est automatisée, le manque criant de modérateurs humains dans des langues pourtant très parlées sur la plateforme faisait office de bombe à retardement. Reste à voir si X va réussir à la désamorcer à temps ou si elle va exploser.
Le DSA à l'épreuve du feu
« Les plateformes ne peuvent plus se cacher », tançait Thierry Breton face à la presse française le lundi 16 octobre, une semaine après ses échanges publics avec Elon Musk. L'UE va désormais devoir joindre la parole aux actes. Jusqu'ici, la mise en place du DSA s'est limitée à une dimension avant tout déclarative. L'ouverture d'une procédure formelle va permettre à la Commission de l'Union européenne d'exiger d'autres informations, de conduire des entretiens avec les dirigeants de X, et même de mener des audits si besoin, ce qui serait une première.
Pour autant, le temps des sanctions n'est pas encore arrivé. La procédure permet à la Commission de prendre des mesures pour contraindre X à se conformer aux règles, ou encore d'accepter des solutions proposées par la plateforme elle-même pour son répondre aux exigences du DSA. En outre, cette période d'enquête n'a pas de date de fin préalable, et pourrait donc s'éterniser.
C'est seulement dans le cas où la procédure mènerait à l'échec d'une quelconque mise en conformité que la menace des amendes -jusqu'à 6% du chiffre d'affaires mondial brut du groupe- entrerait en œuvre. Et quoiqu'il en soit, le Comité des Etats membres chargé d'orchestrer les sanctions, n'est toujours pas mis en place. Les Etats ont jusqu'à la mi-février pour nommer leur constituant. Autrement dit, Elon Musk peut tenter de jouer la montre...
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