LA TRIBUNE DIMANCHE - Pensez-vous que le cinéma français a enfin le vrai MeToo qu'il attendait ?
EMMANUELLE DEVOS - Si l'on prend du recul, je pense que nous sommes dans un moment de bouleversement, comme une sorte de nettoyage du passé avant de voir si le présent sera mieux ou pas. En tout cas, de mauvaises pratiques du passé sont en train d'être mises au jour, quelquefois avec excès... Tout le monde est très exalté par ce qui se passe, parce qu'on ne réfléchit plus, on ne se parle plus. Il y a un tel manque de dialogue que tout le monde a la trouille : même les comédiens de plus de 50 ans qui ont toujours eu un comportement impeccable se mettent à avoir peur !
Craignez-vous la « cancel culture » ?
Pour le moment, éviter les films avec Depardieu sur France Télés car le sujet est sensible, pourquoi pas ! Mais il ne faut pas que cela soit pérenne : Le Dernier Métro est un film magnifique avec un personnage de femme très fort, pourquoi empêcherait-on les gens de le voir ? De toute façon, on ne peut effacer un artiste, quoi qu'il ait fait... J'étais au CNC pendant deux ans et j'ai vu qu'on écartait déjà des personnes de certains projets en raison de leur comportement. Moi, je sépare très volontiers l'homme de l'artiste. Quand on aura enfin compris qu'on n'a pas le droit de peloter une figurante ni de mal parler à un technicien, qu'on peut être viré d'un film même si on est une grande star, les choses changeront. Nous sommes dans un vaste changement sociétal dont le cinéma est un peu le miroir, puisque l'art est le miroir de tout.
Pensez-vous que ce soit un problème de conflit de générations ?
Oui, car les anciens ne voyaient même pas où était le mal ! Pour eux, une main aux fesses, ce n'était pas grave... Et moi, si tu me mets une main aux fesses, je te mets ma main dans la figure. Mais tout le monde ne peut pas faire ça, je sais que j'ai été élevée avec un immense respect de moi-même et de mon corps. Maintenant, c'est aux jeunes générations de faire leur propre cinéma : de toute façon, les vieux vont bientôt arrêter, donc je suis curieuse de voir si les suivants vont être plus vertueux, parce que tant qu'il y a du pouvoir et de l'argent, comme dans ce métier, ce sera compliqué. Mais je pense surtout à celles qui n'ont pas de pouvoir : les maquilleuses, les techniciennes, les régisseuses. Pour elles, j'espère vraiment que cela va changer.
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