Théâtre : quand le silence est d'or

Au Vieux-Colombier, Marina Hands incarne, sans un mot, une femme déchirée de douleur dans une pièce inspirée par Michelangelo Antonioni.
Marina Hands dans « Le Silence » au Vieux-Colombier
Marina Hands dans « Le Silence » au Vieux-Colombier (Crédits : © CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE)

Dans la proximité de cet espace bi-frontal, avec deux volées de gradins se faisant face, on se sent presque indiscret. Les comédiens sont là, tellement proches que l'on devine la moindre de leurs palpitations. On craint de les gêner. On y croit, malgré l'écran suspendu au milieu de l'espace de jeu. Une moquette d'un gris-vert triste monte à l'assaut des murs et coule jusqu'aux premiers rangs des spectateurs, étouffant les sons. Un grand canapé en S, une table, des lampes, un miroir, des objets, des caisses de carton que l'on vient de remplir et que l'on va faire disparaître au loin. Rien qu'à la manière dont Marina Hands se déplace, avec ses pieds nus qui se prennent dans son pantalon souple, trop long, on devine qu'elle n'est pas dans son état normal. On fait irruption dans la tragédie. Un grand malheur est advenu. Noam Morgensztern, lui non plus, ne va pas bien. Ici, les « personnages » ne portent pas d'autre prénom que le leur : Marina, Noam, Julie comme Julie Sicard, Stéphane comme Stéphane Varupenne. De grands sociétaires de la Comédie-Française, au talent sûr. Il y a aussi Baptiste Chabauty, l'un des derniers engagés de la Troupe. Et puis n'oublions pas Miki. Un petit chien noir, vif et craquant, dont Marina, comprend-on, est le grand amour !

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Le Silence est signé de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan. Étrange objet qui serait inspiré de l'œuvre du cinéaste italien Michelangelo Antonioni (1912-2007). Sans parole, mais avec du son, de la musique et des images projetées continûment. C'est à une expérience rare qu'est invité le public devant le parcours précis et muet des interprètes. « C'est éreintant, nous sortons exténués », confie Marina Hands. Une heure vingt d'un spectacle muet. « Bonsoir », dit Stéphane en pénétrant dans le salon, « je reviens », dit Julie disparaissant un moment en coulisses. C'est tout. Les corps parlent. Mouvements, postures, ruptures, gestes, pleurs, cris déchirants, craquage nerveux, regards. Et les aboiements d'un Miki très anxieux, à la fin, consolant sa belle maîtresse. On est interloqué, au tout début, mais on se fait d'autant plus attentif au déroulement de l'action.

Pour chaque personnage, Guillaume Poix a écrit des textes d'après nos récits

Marina Hands

Pour Marina Hands, qui a retrouvé il y a quatre ans la Maison de Molière, où elle avait fait un tour de 2006 à 2007, ce travail « est exaltant, mais très difficile ». Lorraine de Sagazan, plutôt metteuse en scène, et Guillaume Poix, plutôt écrivain, s'étaient affirmés ensemble en 2019 avec L'Absence de père, adaptation de Platonov de Tchekhov. « Ils ont une méthode de travail très particulière, raconte la comédienne. Lorraine pratique ce qu'elle nomme des "interviews". Elle nous interroge, s'appuie sur ce que l'on peut livrer de nos imaginaires. Pour Le Silence, nous n'étions pas toujours ensemble sur le plateau, mais souvent seule à seul(e). Pour chaque personnage, Guillaume Poix a écrit des textes d'après nos récits. Il va à l'intérieur des cerveaux. Ces fragments de pensées intérieures se mêlent aux nôtres. Si, au début du travail, nous passons par des improvisations, rien de tel au moment de la représentation, tout est très précis. » Peu à peu, on comprend. Jamais formulée dans les mots, il y a la mort par noyade d'une enfant. Marina serait la mère, Noam le père, Julie sa sœur, Stéphane l'ami. Et Baptiste, qui ne participe pas à l'action mais regarde le public. « Il observe, il est un témoin, il est le garant de l'importance des spectateurs », souligne Marina Hands. La vidéo joue un grand rôle et certaines images sont comme des cauchemars suspendus. Ainsi elle, Marina. Sur une jetée battue par la mer. Debout. Une longue corde au cou, accrochée à une énorme pierre. Sa silhouette impassible fait penser à celle de Monica Vitti. On s'interroge. « Je connaissais les films de la grande époque d'Antonioni, évoque Marina Hands. L'Avventura, La Notte, L'Éclipse. Je ne les ai pas revus systématiquement. Mais on pense à son univers, on s'en inspire. Et ce qui est étrange, c'est que, en travaillant sur la biographie du cinéaste, Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix ont découvert un projet qui se serait intitulé Le Silence, mais n'a jamais été tourné. »

C'est avec un grand bonheur que Marina Hands a retrouvé la Comédie-Française et son grand ami Clément Hervieu-Léger. « J'y suis tous les jours, je vais voir jouer mes camarades, je me balade dans les couloirs. » Au printemps sera repris le spectacle musical et chanté qu'elle a écrit et mis en scène avec Serge Bagdassarian, Mais quelle Comédie !. Et puis, surtout, elle signera en juin la mise en scène de Six Personnages en quête d'auteur, de Luigi Pirandello, en juin au Vieux-Colombier. « J'ai demandé une traduction nouvelle à Fabrice Melquiot. J'ai réuni la distribution dont je rêvais. » Citons-les : Thierry Hancisse, Coraly Zahonero, Clotilde de Bayser, Adeline d'Hermy, Guillaume Gallienne, Claire de La Rüe du Can, Nicolas Chupin, Adrien Simion. « Au travail ! » Elle n'oublie pas son cheval, Copi, ses deux chats qui s'entendent très bien avec Miki, et la campagne verdoyante où elle se ressource.

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