Le MuMa, un musée au bord de la mer

Au Havre, le musée d’Art moderne André-Malraux est un navire de verre amarré au bout d'un quai. Il possède l'une des plus riches collections impressionnistes.
En 1961, cette architecture moderne et transparente étonne et détonne au milieu du béton armé.
En 1961, cette architecture moderne et transparente étonne et détonne au milieu du béton armé. (Crédits : © Laurent Lachevre)

D'abord les mouettes, le port, la mer, ensuite les vaches. Dans le musée ancré au bord de la mer, pas loin de l'horizon, juste à côté de l'immense port industriel du Havre, on entend les mouettes. Mais quelles mouettes entend-on vraiment ? Celles qui voltigent dans un tableau de Pissarro représentant le port peint en 1903 ou celles qui ont choisi le toit du musée comme aire de cris ? Dans le musée, on entend parfois les sirènes. Mais lesquelles ? Celles émises par les bateaux exposés sur les cimaises où celles de ceux qui filent vers la mer, au large des tableaux ? Un léger embrun marin se faufile dans le musée. Le rêve-t-on ? En l'occurrence non. Le charme et la force du musée sont là : de celui-ci on voit la mer. Dans celui-ci, on la voit aussi.

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Et il y a les vaches. Elles paissent, nonchalantes, accrochées par dizaines sur un mur, toutes peintes par le Normand Eugène Boudin, davantage comme exercice de style que par passion pour les bovidés. Si l'on est venu au Havre en train, par la fenêtre qui forme le cadre de tableaux vivants, on peut voir des vaches ruminer comme celles de Boudin. Paysages de la région et représentations de ces paysages dans le musée, tout se répond, se complète, se prolonge. Le musée est en Normandie et la Normandie est dans le musée. La collection est composée de près de quatre mille œuvres, des dons essentiellement, comme ceux de la famille Senn, riche famille havraise, ou ce tableau de Georges Braque légué par surprise au musée par Florence Malraux, l'ayant elle-même reçu de son père André, l'homme qui a voulu le musée.

Le MuMa est un acte politique. André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, voulait démocratiser la culture, ce que disent depuis des dizaines de ministres. Pour lui, démocratisation voulait surtout dire décentralisation. Pour démocratiser la culture, il faut la rapprocher de son public potentiel. Ainsi naissent dans les années 1960 des musées, des centres culturels, un peu partout sur le territoire. Le musée du Havre sera le premier bébé de Malraux.

Le jeune musée inauguré en 1961 étonne par son architecture moderne et transparente. Il ne ressemble pas au style du quartier environnant imaginé par Auguste Perret pour reconstruire le centre-ville et le port éradiqués à la fin de la Seconde Guerre mondiale par les Anglais afin d'en chasser les Allemands. Dans les années 1945, Auguste Perret imagine et construit des quartiers entiers, austères, symétriques, harmonieux. Le musée en verre détonne alors au milieu du béton armé. Aujourd'hui, il est devenu un des emblèmes de la ville, un étendard qui flotte au gré des vents et des expositions. Même de la mer, le MuMa est devenu un repère. Venu de la Manche, en arrivant au port, voir le musée indique la fin du voyage.

Le musée est une piqûre de rappel historique. Au début du XX e siècle, trois villes comptaient dans l'art : Paris, Bruxelles et Le Havre

Les mouettes, la mer, les vaches, Malraux et la lumière. Dans le musée, celle-ci aussi a le droit de visite. La lumière toujours changeante anime le musée. Elle colore l'humeur de chacun. D'immenses baies la laissent danser dans les salles sans frapper directement les tableaux. Soleil rasant du matin venu de la terre, triomphant à midi ou timide en se couchant sur la mer, lorsque le soleil est là, il irrigue le musée. Géraldine Lefebvre, qui dirige le MuMa depuis quelques semaines, est autant touchée par la lumière qui fait vivre son musée que celle qui met le feu aux tableaux impressionnistes ou fauves qui composent une partie importante de la collection. Géraldine Lefebvre est née au Havre, rue Claude-Monet. Ça ne s'invente pas, mais cela peut influencer une vie. Géraldine Lefebvre est devenue une « monétophile » reconnue. Celle-ci a imaginé des expositions consacrées à Claude Monet à Giverny ou à Paris, révélant au passage l'importance de Léon Monet, indispensable soutien moral et financier de son frère Claude. C'est au Havre que le jeune peintre, travaillant inlassablement, s'est mis au monde. C'est à quelques mètres de l'actuel musée que Monet a fait chavirer l'histoire de la peinture. Le 13 novembre 1872 à 7 h 35 du matin, il peint le port havrais. En 1874, la toile est exposée sous le nom Impression, soleil levant.

L'impressionnisme est né avec ce tableau il y a exactement cent cinquante ans. Un tableau de Monet représentant le Parlement de Londres est exposé au musée. Il a été « vendu » au musée de l'époque en 1911 par Monet à prix d'ami afin de remercier les Havrais qui l'ont toujours soutenu et acheté. Monet est indissociable du Havre mais il n'est pas le seul. Turner a remonté la Seine sept fois entre 1802 et 1832 en partant de là où le musée se trouve aujourd'hui. Le MuMa possède deux gravures et une estampe du maître anglais. Quant à Raoul Dufy, né au Havre, le MuMa possède près de trente de ses œuvres et révèle l'incroyable l'évolution du peintre. Jeune, il représenta un Havre hyper réaliste et sombre avant de faire des tableaux où tout swingue comme du jazz joyeux. Jeune et fauché, combien de fois Dufy ne s'est-il pas rendu sur le port afin de trouver du travail. Un de ses patrons, négociant, est d'ailleurs devenu un de ses grands collectionneurs.

Monet, Turner, Dufy, Boudin mais aussi Marquet et Friez tous liés au Havre. Les tableaux de ces derniers témoignent d'ailleurs de ce que fut Le Havre au début du XXe siècle, un port qui ressemble à Honfleur situé au lointain de l'autre côté de la Seine, là où est né Boudin.

Le musée est une piqûre de rappel historique. Au début du XXe siècle, trois villes comptaient dans l'art : Paris, Bruxelles et Le Havre. Dans celles-ci, artistes et mécènes se nourrissaient intellectuellement et financièrement. La photographie, née dans les années 1830, a pris son envol au Havre. Gustave Le Gray, l'inventeur de photos représentants la mer composées de plusieurs clichés superposés, est venu et revenu au Havre dans les années 1850.

Dans le port, il y a le monde entier, dans le musée aussi. Le commerce avec la Chine ne date pas d'aujourd'hui. En clin d'œil peut-être, le musée possède des œuvres du peintre Zao Wou-ki, né à Pékin, mort à Paris en 2013. Pour les peintres impressionnistes, ceux du mouvement fauve, pour la mer, le ciel, le port, les vaches et les nuages de Boudin, larguez vos amarres et voguez dans l'histoire de l'art. Venez écouter les mouettes du musée du bout du quai.

Le MuMa en 5 dates

1845

Inauguration du premier musée du Havre

1944

Destruction du centre du Havre et d'une partie du port

1961

Inauguration du musée actuel

2017

Exposition événement autour du tableau « Impression, soleil levant » de Monet

2024

Ouverture le 25 mai de l'exposition « Photographier en Normandie »

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